Alors qu’un jeune Belge sur six vape régulièrement, la campagne « Sans Filtre » veut sensibiliser aux risques de la nicotine pour la santé. Portée par le Fonds des Affections Respiratoires (FARes) et financée par l’AVIQ, elle a démarré en mai dernier et prend sa vitesse de croisière en s’appuyant sur une dynamique participative.

Orchestrée par le Fonds des Affections Respiratoires (FARes), la nouvelle campagne de sensibilisation à destination des jeunes de 11 à 24 ans a démarré le 16 mai dernier et s’est déclinée tout l’été sur le terrain et sur la plateforme TikTok.
En passant la souris sur la page d’accueil du site Sansfiltre.info, le symbole habituel (une flèche) part en fumée. Des pages présentent les différents types de produits du tabac et déconstruisent au scalpel leurs caractéristiques. Les perles à la nicotine ? “Ce sont des « bonbons » à sucer avec de la nicotine, des édulcorants et des arômes. Elles sont plus addictives que les clopes. Interdites depuis 2023 en Belgique, mais vendues sur internet comme des « bonbons » discrets et sans fumée → très attirant pour les jeunes”.
La mission du FARes est de dénormaliser l’usage des nouveaux produits du tabac et d’en réduire l’attractivité, notamment en contrant les stratégies marketing des géants du tabac sur leur nouveau terrain de jeu : les réseaux sociaux. Ce projet est financé par l’AVIQ dans le cadre de la Programmation Wallonne en prévention et promotion de la santé 2023-2027. L’enjeu est de taille, car les derniers résultats de l’enquête Santé de Sciensano publiés en juillet 2025 constatent que la part de fumeurs occasionnels a augmenté chez les jeunes de 15-24 ans.
Près de la moitié d’entre eux (45,1 %) ont déjà expérimenté l’e-cigarette, et 17,3 % l’utilisent actuellement. En outre, 6,3 % déclarent l’utiliser quotidiennement, alors qu’en 2018, ce chiffre n’était que de 0,6 %. Et 80% des jeunes choisissent des liquides avec nicotine. Alors, même si l’e-cigarette ne constitue pas nécessairement une passerelle vers le tabac, ces chiffres demeurent préoccupants au vu du nombre croissant de jeunes exposés à la nicotine, souligne Sciensano.
Le choix d’une approche collaborative
“La campagne Sans Filtre est faite par les jeunes, pour les jeunes – le but, c’est que ce ne soit pas quelqu’un du monde de la santé qui s’adresse à eux, mais bien d’autres jeunes”, explique Sara Rozinska, chargée du projet Sans Filtre pour le FARes. L’objectif est notamment de créer une communauté engagée, qui relaie les messages de prévention dans ses propres cercles en utilisant la plateforme TikTok et sur le terrain grâce au relais de jeunes ambassadeurs.rices.
En mars dernier, six adolescentes en secondaire à l’Institut Saint-Luc de Mons, sont devenues les premières ambassadrices de la campagne. Elles se sont impliquées dans toutes les étapes de la création du site SansFiltre.info : le choix du logo, des couleurs, la rédaction de la Foire aux questions, les brainstormings pour concevoir des concours et des contenus. Les réunions se sont tenues à échéances régulières sur le temps de midi au cœur de l’établissement scolaire, et un groupe WhatsApp permettait de prolonger les échanges.
Cette approche collaborative a permis de générer des contenus adaptés à la réalité de la jeune génération pour parler des Puffs, des Snus, des perles de nicotine. « Chacun donnait son avis et disait ce qui lui paraissait le mieux« , explique Kalysta qui a mobilisé son groupe d’amies sur le projet. Parmi elles, Maeva, dont les parents fument, constate que certaines personnes “sont conscientes du danger et du risque de dépendance, mais d’autres non”. Leur amie Océane confirme que les échanges l’ont “aidé à comprendre certaines choses sur le tabagisme de ses propres parents”. Les parents de Daria l’avaient au contraire sensibilisée aux méfaits du tabac : “c’est intéressant que les gens sachent vraiment ce qu’ils fument et que c’est pas à prendre à la légère”, dit-elle.
Sur le terrain, capter des réactions authentiques
En juin, les élèves de St-Luc ont tenu un stand pour challenger leurs camarades autour de jeux et de quizz, ce qui a généré des discussions. “Ces moments sont aussi l’occasion de produire des vidéos, en captant des réactions authentiques, explique Sara Rozinska. Les jeunes aiment participer, se filmer ou apparaître sur les réseaux, parfois juste pour faire rire leurs potes, ce qui donne une dynamique gagnant-gagnant : eux s’amusent, nous récoltons des réactions authentiques et percutantes”. Les premières vidéos ont rapidement atteint des centaines de milliers de vues et trois mois après le lancement, le compte de Sans filtre @sansfiltre.info cumule déjà 45.800 likes et 646 abonnés.
L’été a aussi été ponctué par la présence de « Sans Filtre » sur des événements, notamment les festivals des Ardentes et des Solidarités. “C’est essentiel : cela nous permet de rencontrer les jeunes directement, de créer un échange réel et de les amener à réfléchir à leur consommation” ajoute Sara Rozinska.
Une vidéo tournée le 22 août dernier à Namur a d’ailleurs explosé les compteurs avec près d’un million de vues en 24h. La punchline “POV : t’apprends qu’une PUFF 10k = 20 paquets de clopes” précède les réactions en cascade : “oh l’hallu”, “trop choquant”, “juste une ?”, “j’peux prendre une photo ?”. Et la légende propose de partager cette vidéo “à ton/ta pote”.
Faire référence et faire résonnance
Le défi de “Sans Filtre” est de s’imposer dans le paysage médiatique un peu à la manière de “Tournée Minérale” en devenant une campagne forte et bien identifiée auprès du public cible. En bref, faire référence.
Stickers, informations faciles à lire, à comprendre et accessibles, événements. Les déclinaisons vont être multiples. L’équipe est actuellement en train de développer un nouveau quizz centré sur la dépendance à la nicotine. Prochainement, un calculateur de nicotine numérique permettra aussi de sélectionner le modèle de puff utilisé, d’indiquer son taux de nicotine ; pour que l’outil affiche l’équivalent en « nombre de paquets de cigarettes » ce qui permettra d’insister sur le décalage entre l’aspect inoffensif du packaging et la dangerosité du produit.
Cela permettra de diffuser sous d’autres formes les informations déjà présentes sur la page dédiée du site. “Les e-cigarettes contiennent souvent des sels de nicotine : te rend accro plus vite que la nicotine classique, jusqu’à 20 mg/ml (le max autorisé en Europe)”. Le message insiste pour démonter les déterminants commerciaux de la santé : “Les marques savent y faire pour te vendre du rêve. Voici leurs techniques préférées : Couleurs flashy + goûts sucrés = combo parfait pour paraître fun et inoffensif – Packaging stylé, qui donne l’impression que c’est un gadget plus qu’un produit à risques – Discours rassurants du type “moins dangereux que la clope”, “sans goudron”, “sans fumée”… – Influenceurs sur TikTok ou Insta qui en parlent comme si c’était cool ou sans danger”.
Se déployer auprès des 18-25
A la différence, de « Tournée Minérale » dont les actions se concentrent sur un mois, “Sans Filtre” se déploie tout au long de l’année, en suivant le rythme des jeunes (vacances, rentrée scolaire, festivals, temps forts estudiantins…). Si l’aspect coaching ne fait pas partie du projet, le site Sans Filtre oriente toutefois pour l’arrêt du tabac/ de la vape vers des tabacologues ou des professionnels de santé formés. “Notre rôle avec les ambassadeurs est d’informer, de sensibiliser et de déconstruire certaines idées reçues que les jeunes ont sur le sujet. En revanche, nous redirigeons toujours vers les ressources d’aide à l’arrêt existantes, pour que les jeunes sachent vers qui se tourner s’ils veulent entreprendre une démarche personnelle” décrit la coordinatrice.
La priorité du FARes est désormais de recruter des ambassadeurs de 18-25 ans, en développant des collaborations avec des Hautes Ecoles, des universités et des maisons de jeunes. L’idée est d’élargir progressivement le cercle des ambassadeurs pour qu’il soit représentatif de différents âges, milieux et régions de Wallonie, afin de toucher le maximum de jeunes et de TikTokeur.euses.
Pour aller plus loin :
– tiktok.com/@sansfiltre.info
– Le site Sans Filtre : sansfiltre.info
– Le site du FARes : fares.be
– Tabac : éteindre l’envie de fumer | En Marche
– Ces « puffs » qui enfument la jeunesse | En Marche
Les principaux chiffres de la nouvelle enquête de santé de Sciensano – juillet 2025
Entre 2004 et 2023-24, la proportion de fumeurs dans la population a diminué de 10 points de pourcentage, passant de 27,8% à 17,6%. La baisse la plus marquée est chez les jeunes de 15 à 24 ans qui fumaient au quotidien, elle passe de 23,4% en 2004 à 7,7% en 2023-24.
Parallèlement, la part des jeunes fumeurs occasionnels a augmenté, passant de 2,8% à 7,1% entre 2018 et 2023-24. Ces évolutions pourraient s’expliquer par l’usage de la cigarette électronique, une tendance très en vogue chez les jeunes, et utilisée de manière exclusive ou par intermittence avec le tabac. D’ailleurs, à peine la moitié (53,9 %) des utilisateurs âgés de 15 à 24 ans ont des antécédents de tabagisme “classique”, alors qu’ils étaient les deux tiers en 2018.
Lien vers les deux études complètes
– Gisle L, Demarest S. Enquête de santé 2023-2024 : Consommation de tabac. Bruxelles, Belgique : Sciensano ; 2025. Numéro de rapport : D/2025.14.440/74.
– L. Hermans, R. Charafeddine, S. Demarest. Usage de la cigarette électronique Bruxelles, Belgique : Sciensano ; 2025 Numéro de rapport : D/2025.14.440/66.