Janvier 2001 Par I. BAURAIND Initiatives

“Les antibiotiques: à utiliser moins souvent et mieux”, tel est le slogan d’une campagne qui a été lancée le 27 novembre dernier par les ministres Frank Vandenbroucke , des Affaires sociales, et Magda Aelvoet , de la Santé publique.
Ce slogan constitue le fil conducteur d’une série d’initiatives soulignant chacune que nous utilisons trop souvent les antibiotiques, même lorsqu’ils sont inutiles, et qu’ils risquent de devenir inefficaces dans un proche avenir.
A cause de la surconsommation, de plus en plus de bactéries développent en effet des mécanismes de défense contre les antibiotiques: elles deviennent “résistantes”. Cette résistance est stimulée surtout par l’emploi d’antibiotiques dans des situations où leur effet sur l’évolution de la maladie est inexistant ou à peine démontrable.
Tant que l’administration d’antibiotiques se poursuivra sans restriction, cette résistance s’accroîtra toujours plus vite, et à ce rythme, l’ère des antibiotiques sera définitivement révolue dans un avenir proche. Avec pour conséquence que les malades mourront à nouveau d’infections telles que les pneumonies, méningites, septicémies, fièvres typhoïdes.
Par ailleurs, de très nombreuses méthodes de traitement modernes, pour lesquels les antibiotiques sont indispensables, seront compromises (entre autres les interventions de chirurgie cardiaque, les implantations de prothèses de la hanche, les transplantations d’organes, le traitement intensif de la leucémie et des tumeurs solides).

Santé publique et gros sous

Le Ministre des Affaires sociales insiste sur le fait que cette campagne est d’abord motivée par le souci de protéger la santé des consommateurs de soins de santé. Il n’en a pas moins souligné que les antibiotiques pèsent lourd dans le budget médicaments de l’INAMI, quelque 10 milliards par an.
Selon Frank Vandenbroucke, si la campagne a les effets escomptés en termes de consommation, cela dégagera des moyens permettant de mieux rembourser les nouvelles molécules véritablement innovantes.

La grande majorité des infections virales et bactériennes (comme les bronchites, angines, diarrhées, otites moyennes) guérissent spontanément après quelques jours. La personne qui est atteinte d’une de ces infections et qui prend des antibiotiques peut avoir à tort l’impression de guérir grâce à ces antibiotiques “miraculeux”, alors qu’il s’agit en fait d’un processus de guérison naturel. Le médecin ne prescrira éventuellement des antibiotiques que pour certains patients à risques ou lorsque la maladie ne guérit pas spontanément.
Les antibiotiques peuvent aussi contrecarrer l’évolution d’une infection bactérienne grave: ils ne guérissent pas mais empêchent la prolifération des bactéries et donnent ainsi au corps le temps d’organiser sa défense et de supprimer ces bactéries. Les antibiotiques ne contribuent donc pas à accélérer la guérison, sauf dans des cas exceptionnels, mais ils donnent plus de temps au corps attaqué par des infections graves pour organiser une résistance naturelle.

La campagne

La campagne s’adresse aussi bien à la population générale qu’aux médecins et aux pharmaciens. En ce qui concerne le grand public, un spot de sensibilisation est passé sur toutes les chaînes de télévision et de radio francophones grâce au soutien de la Communauté française. Ce spot renvoie à un dépliant, imprimé à 400.000 exemplaires, et à une brochure, imprimée à 600.000 exemplaires. Ces imprimés sont gratuits et diffusés entre autres par les mutualités.
A l’occasion de cette action, un site internet a également été conçu à l’intention du grand public; il peut être consulté à l’adresse http://www.antibiotiques.org.
Les médecins et pharmaciens participent aussi activement à la diffusion du message à l’intention de leurs patients. Outre les imprimés et une lettre les invitant à collaborer à la campagne les médecins et pharmaciens ont reçu aussi des textes scientifiques sur la résistance aux antibiotiques et sur leur utilisation adéquate. A leur intention, un site internet a été ouvert, qui peut être consulté via le site http://www.health.fgov.be.
La campagne a été mise au point par un groupe de travail de la “Commission de coordination de la politique antibiotique” (1), créée il y a deux ans par l’Administration des soins de santé du Ministère de la Santé publique, des Affaires sociales et de l’Environnement. Cette campagne est issue des recommandations de la Conférence européenne “The Microbial Threat” qui a eu lieu à Copenhague en septembre 1998.

Une enquête

Pour préparer cette campagne de sensibilisation, une enquête a été menée par le bureau d’études INRA-Medical à la demande de la Commission de coordination de la politique antibiotique. Cette enquête portait sur les connaissances, les attentes et les attitudes de la population par rapport aux antibiotiques, aux maladies infectieuses, à l’utilisation d’antibiotiques, au problème de l’antibiorésistance et sur d’éventuelles mesures visant à maîtriser ce phénomène. Il s’agissait d’effectuer une ‘mesure-zéro’ afin de cibler avec un maximum de précision la campagne d’information et de trouver des indicateurs qui permettront de mesurer l’effet de la campagne et d’en suivre l’évolution dans le temps.
L’enquête a été menée selon la méthode du ‘face-à-face’ auprès d’un échantillon représentatif de 1014 personnes âgées d’au moins 15 ans au mois de juillet 2000. Elle comprenait, d’une part, une série de questions ouvertes à réponse libre et, d’autre part, des questions concrètes auxquelles il pouvait être répondu par oui ou par non. Certaines questions ont également donné lieu à une évaluation de la motivation de la réponse. Les questions ont été rédigées par les membres du Groupe de travail ‘Sensibilisation’ de la Commission sur base des résultats obtenus à la suite d’un mini-sondage préliminaire réalisé par l’asbl Question Santé / vzw Omtrent Gezondheid.

Résultats

Il ressort des résultats que la majorité de la population interrogée associe les antibiotiques avec des maladies infectieuses et qu’une petite minorité seulement leur attribue un effet erroné (fébrifuge, analgésique) ou n’a pas la moindre idée sur leur utilisation.
A une très grande majorité, les personnes interrogées estiment que les antibiotiques sont une découverte majeure pour la médecine, mais 70% pensent également que l’on utilise trop souvent des antibiotiques en Belgique. Un pourcentage égal se rend compte que de plus en plus de bactéries développent une résistance aux antibiotiques, mais pense néanmoins que la science continuera de mettre au point de nouvelles molécules. Cet optimisme est sensiblement plus élevé dans le Sud du pays (87%) que dans le Nord (59%). 1/3 seulement de la population pense que la majorité des infections guérissent spontanément sans recourir à des antibiotiques, mais la plupart savent que les antibiotiques ont aussi des effets secondaires.
La plupart des Belges s’attendent à ce que l’on prescrive des antibiotiques en cas de méningite, mais un nombre presque aussi important a les mêmes attentes en cas de bronchite. Les opinions sont partagées à égalité en cas de grippe. Pour un mal de gorge ou une fièvre, 1/3 des personnes interrogées persistent à penser que les antibiotiques sont nécessaires, mais pour un rhume ou une diarrhée, ce chiffre se réduit à 1/6.
De nos jours, une petite minorité seulement demandera spontanément une prescription d’antibiotiques à son médecin et seulement 5% consultera un autre médecin en cas de refus. Une grande majorité estime par ailleurs que seul le médecin est compétent en ce qui concerne le choix du traitement adéquat.
Devant la question de savoir si l’on est disposé, en concertation avec son médecin, à recourir moins souvent aux antibiotiques afin de préserver l’efficacité de ceux-ci, une petite minorité a exprimé ses réticences, mais 28% est sans opinion. Lors de l’évaluation de la motivation, la moitié répond que ‘ils utilisent de toute façon déjà peu d’antibiotiques’; d’autres estiment que ‘en ces matières seul le médecin décide’ et quelques-uns pensent avoir besoin d’ antibiotiques ‘parce qu’ils ne peuvent pas s’absenter longtemps de leur travail’ ou ‘parce qu’ils trouvent que des antibiotiques sont nécessaires pour toute infection.’
Il semble que l’opinion belge soit très ‘sensibilisable au moyen d’une campagne d’information ciblée qui pourrait corriger quelques opinions erronées concernant les maladies infectieuses et l’utilité d’un traitement par antibiotiques. Par ailleurs, la campagne doit également s’adresser au corps médical, lequel jouit d’une large confiance de la part des patients. Dès lors, un but important de la campagne est de stimuler le dialogue entre médecin et patient à ce sujet.

L’exemple du pneumocoque

Les infections des voies respiratoires (supérieures et inférieures) constituent la première cause de consultation pour maladie infectieuse en médecine générale.
Il faut souligner que l’antibiothérapie est bien souvent, dans ce contexte des voies respiratoires, un anxiolytique pour le médecin (et éventuellement pour le patient), car dans un tiers à la moitié des cas au moins, il s’agit d’infections purement virales sur lesquelles l’antibiothérapie n’aura aucune prise.
Lorsque l’infection est bactérienne, le pneumocoque (pneumoniae) est une des trois bactéries les plus fréquemment rencontrées, et est celle qui provoque le plus d’infections compliquées au niveau otites/sinusites, ou le plus d’infections invasives avec pneumonies et éventuellement passage de microbes dans le sang (septicémie) dans le cas des infections des voies respiratoires inférieures. Chaque année, plus ou moins 1500 personnes décèdent en Belgique suite à une infection pneumococcique.
Dans ce contexte, lorsque l’infection justifie une antibiothérapie, le médecin s’attache à utiliser un antibiotique qui soit certainement actif sur ce microbe.
Actuellement l’évolution de sa résistance vis-à-vis des antibiotiques les plus couramment employés dans les infections des voies respiratoires pose problème en Belgique comme dans de nombreux autres pays.
Dans notre pays, on constate depuis le début des années 90, une augmentation continue de la résistance du pneumocoque aux antibiotiques des groupe pénicillines, macrolides ou tétracyclines.
Si, en 1993, seuls 2.3% de ces germes étaient résistants à la pénicilline, 12.6% aux tétracyclines, et 21.5% aux macrolides, on atteint en 1999 les chiffres respectifs de 16.6%, 30 % et 35%.
Plusieurs études, notamment en France et en Espagne, ont montré la corrélation qui existe entre l’emploi des antibiotiques et l’isolat de pneumocoques résistants.
En Hollande, par contre, dont la politique antibiotique est beaucoup plus restrictive que la nôtre, et cela sans répercussion négative sur la qualité des soins, seuls 3% des pneumocoques sont résistants à la pénicilline.

(1) Pour de plus amples informations sur cette commission et ses activités: Commission de coordination de la politique antibiotique, Dr Bauraind, Cité administrative de l’Etat, Vésale 534, 1010 Bruxelles. Tél.: 02-210 47 99. Fax: 02-210 44 93. Mél: isabelle.bauraind@health.fgov.be.D’après le dossier de presse de la campagne, en collaboration avec le Dr Isabelle Bauraind .