Octobre 2004 Par M. MARCHAND Initiatives

Après le clash de l’action patches, place à un travail de fond qui passe par le médecin généraliste dans l’accompagnement du fumeur vers une décision libératrice…
Si l’ex-ministre de la santé en Région wallonne, Thierry Detienne , a soulevé l’ire de nombre de professionnels lors du lancement de sa campagne «Action patches gratuits» qui s’est terminée en avril dernier, il aura eu le mérite de créer une dynamique, avec aujourd’hui le lancement de projets plus durables.
A son initiative, un comité de pilotage des projets tabac a été créé au Ministère de la Région wallonne, regroupant des professionnels et experts en la matière. Parmi eux, Axel Roucloux et le Dr Jean Laperche , de l’Association ‘Promotion de la santé et du développement durable’. « On a mis en place un groupe de réflexion dans le cadre d’une formation de professionnels de la santé sur l’accompagnement du patient fumeur », explique Axel Roucloux, avec pour objectif premier de chercher à offrir au patient fumeur une autre alternative que les substituts nicotiniques. « Après 2 3 cycles de formation , on a pu expérimenter une étude pilote autour de la manière de préparer et motiver son patient à arrêter de fumer , convaincus que le moment de l’arrêt du tabac est un moment important , mais que ce qui est le plus important pour le fumeur , c’est tout le cheminement pour y arriver .» Une réflexion qui, aujourd’hui, porte ses fruits.

La brochure «Mon patient fume…, Attitudes du généraliste»

« On s’est aperçu que , dans la littérature , on parlait beaucoup du moment où on devait donner un patch ou un autre substitut nicotinique , mais très peu de l’accompagnement et de comment amener une personne à arrêter de fumer , sachant que ça peut prendre des mois voire des années avant que la décision d’arrêter de fumer ne soit prise . Et c’est là que nous avons voulu intervenir pour aider les professionnels », raconte Axel Roucloux.
De l’association de plusieurs spécialistes en la matière (Société scientifique de médecine générale, UCL, ULB, ULg, Fédération des Maisons Médicales, FARES), et se basant sur leurs expériences respectives, est née la brochure «Mon patient fume…, Attitudes du généraliste» destinée aux médecins généralistes et distribuée à l’ensemble de ceux-ci ainsi qu’aux étudiants en dernière année de médecine, en Région wallonne et à Bruxelles.
Détail qui a son importance, elle n’a bénéficié d’aucun soutien provenant de firmes pharmaceutiques. « La brochure est née de la convergence de plusieurs approches , avec l’intérêt de mettre en évidence les différentes phases de l’accompagnement dans lesquelles on pouvait aborder la motivation , le changement , les résistances au changement , les résistances au fait d’arrêter de fumer . C’est vraiment un outil interactif », explique Axel Roucloux. « Le concept est assez novateur dans le sens où on aborde toutes les étapes par lesquelles passe le patient fumeur , et le rôle que peut jouer le médecin traitant à chacune de ces étapes
Le traitement de la rechute est une des spécificités de cette brochure qui encourage sans juger: «La dépendance à la nicotine est une dépendance forte. S’en libérer doit être progressif et demande un soutien positif du généraliste, une empathie faite d’écoute, de respect, de confiance et de dialogue». « Là où les programmes classiques voient la rechute comme un échec , nous disons que c’est peut être là que commence réellement le traitement », poursuit Axel Roucloux. « On peut alors explorer avec le patient les causes de cet échec , comment rebondir …»
Si elle s’intitule «Mon patient fume…, Attitudes du généraliste», cette brochure a cependant été conçue pour l’ensemble des professionnels de santé de première ligne, soulignent mes interlocuteurs, qu’ils soient assistants sociaux, psychologues, médecins généralistes ou éducateurs. L’objectif est de mettre chaque intervenant à l’aise dans ses aspects relationnels avec le patient pour pouvoir lui parler facilement des questions du tabac, sans le heurter et provoquer un repli sur lui-même, et permettre ainsi de l’amener éventuellement à changer…
Enfin, à noter cette initiative des Mutualités socialistes: «Se préparer à arrêter. Guide à l’attention des fumeurs insatisfaits», rédigée dans le même esprit que la brochure ‘médecins’ mais destinée celle-ci aux patients. Un complément parfait de la précédente…

Les ‘superformateurs’ tabac

A côté de cette brochure distribuée à grande échelle, le Comité de pilotage a mis sur pied une formation à l’arrêt du tabac à destination des médecins généralistes. Une vingtaine d’entre eux, déjà impliqués dans le projet patches, ont choisi volontairement de devenir en 10 heures de formation, des ‘superformateurs’, c’est-à-dire des relais permettant de transmettre l’information auprès des associations de médecins de leur région (glems, dodécagroupes…). Selon le Dr Laperche, cet intérêt pour les formations sur le tabac est nouveau. « Les médecins sont très demandeurs parce que leurs patients eux mêmes sont plus demandeurs qu’avant . C’est peut être un impact de la campagne patches gratuits . Les médecins ont besoin d’être formés et ils s’y intéressent .» Et de poursuivre: « Notre approche est centrée sur la personne , pas sur le produit . La spécificité du médecin généraliste , c’est aussi d’avoir une approche globale de la personne , sa famille , ses conditions de vie . C’est une manière extrêmement riche de travailler et qui se révèle concluante
« Ce qu’on espère , c’est la mise en place d’une dynamique », indique Axel Roucloux. « Que ces médecins superformateurs puissent être bien accueillis , et qu’il y ait éventuellement des retours vers l’association ( en terme de demande de formation à l’accompagnement ) ou vers la tabacologie ( plus centrée sur les traitements pharmacologiques ), voire même vers les écoles via les médecins scolaires C’est plus en terme de formation continue qu’on est en train de réfléchir , notre souhait est de mettre en place un processus structurel qui permet de garder cet élan et cette dynamique
La réflexion par ailleurs se poursuit et s’élargit au concept de gestion de la santé au sens large qui permettra de conduire à l’arrêt du tabac. « Nous sommes persuadés que quelqu’un peut arrêter de fumer sans même parler du tabac . C’est vraiment dans la relation avec le médecin . On est dans la dynamique de promotion de la santé , de gestion de sa santé et ça c’est le rôle clé du généraliste et même du professionnel de la santé , qu’il soit kiné , infirmier ou éducateur », estime Axel Roucloux.
Il rappelle par ailleurs que l’Association Promotion de la santé et du développement durable propose depuis quatre ans déjà d’autres formations en matière de tabac touchant trois publics: formation de formateurs pour aborder le tabagisme avec les jeunes, formation de personnes ressources à la gestion du tabagisme (pour pouvoir aborder cette question sur les lieux du travail), et formation de groupes d’accompagnement pour le respect des réglementations sur le bien-être sur les lieux du travail.
Avec la nouvelle réglementation interdisant de fumer sur les lieux de travail dès 2006, les demandes affluent de la part des médecins du travail, de plus en plus sollicités…

Formation des assistants en médecine générale

Toujours dans le concept d’un changement des mentalités mais aussi de la mise en place de nouvelles pratiques, une autre formation est en préparation, à l’initiative de l’Université de Liège: une formation destinée spécifiquement aux assistants en médecine générale (docteurs en médecine qui ont choisi la voie de la médecine générale, à savoir deux années d’assistanat avant de devenir médecin généraliste). Soit 240 jeunes médecins généralistes, chaque année, dans les trois universités. «Pour ceux-là, l’ULg propose de former trois groupes de 15 médecins qu’on va sensibiliser, former, avec pour projet qu’ils deviennent aussi un relais vis-à-vis de leur maître de stage.»

En milieux précarisés

A l’UCL, ce sont les besoins des patients gros fumeurs précarisés qui vont être ciblés. Comme le rappelle le Dr Laperche, 75% des plus de 16 ans sont fumeurs en milieu précarisé, alors que dans la population belge générale, le nombre tourne autour des 30%. Soit plus du double. Face à ce constat, l’UCL va engager un chercheur afin de réaliser des interviews qualitatives approfondies auprès de patients gros fumeurs précarisés, afin d’évaluer leurs besoins en matière de santé. « Il ne suffit pas de leur dire d’arrêter de fumer ou même de leur dire qu’on veut bien les aider pour arrêter », explique Jean Laperche. « Il faut voir quel est l’ensemble des difficultés ou des besoins de santé que la personne rencontre pour savoir à quoi on touche lorsque nous , médecins généralistes , voulons aborder ces questions du tabac . Peut être que le tabac est le seul plaisir qui leur reste , on ne va quand même pas le leur enlever …»
Il rappelle par ailleurs que le professionnel de santé de référence des populations précarisées, en dehors des services d’urgence, c’est précisément le généraliste. « L’une des principales difficultés de ces populations est d’avoir des liens sociaux qui durent . Quand par bonheur , ils rencontrent un médecin en qui ils ont confiance , ils n’en changent pas . Ils sont très demandeurs et la relation peut parfois être très forte .» Un climat de confiance favorable à une démarche de prévention.

Evaluation

« On n’a jamais autant parlé du tabac que maintenant », indique Axel Roucloux: articles de presse, colloques scientifiques, formations nombreuses et bien suivies. « De ce côté , l’évaluation est positive
Concernant chacun des projets, une évaluation est bien entendue prévue, indique le Dr Laperche. Mais il ne s’agit pas encore d’une évaluation de l’ensemble de tout ce qui se fait en Belgique autour du tabac. L’idéal serait de pouvoir évaluer les changements de comportements au travers d’une analyse de ces petits gestes ou sentiments des patients au long de leur parcours, comme la confiance qu’ils ont dans leurs possibilités de changement, le fait qu’ils osent en parler plus facilement avec leur entourage, etc. « Nous sommes très demandeurs de ce type d’évaluation », explique Jean Laperche, « mais c’est une question de moyens
Reste à espérer que le Fonds antitabac dont le Ministre fédéral de la santé Rudy Demotte vient de reparler dans le cadre du plan fédéral de lutte contre le tabagisme, puisse le permettre…
Myriam Marchand
La brochure «Mon patient fume…, Attitudes du Généraliste» peut être obtenue auprès de l’association ‘Promotion de la santé et du développement durable’, Axel Roucloux, tél.: 0478 48 30 28.
La brochure «Se préparer à arrêter. Guide à l’attention des fumeurs insatisfaits» peut être obtenue auprès des Mutualités socialistes, Département communication, rue Saint-Jean 32-38, 1000 Bruxelles, tél.: 02 515 05 59, fax: 02 512 62 74.