Le 9 novembre dernier, à l’occasion du symposium annuel de la Fondation contre le Cancer, consacré cette année aux cancers du gros intestin, la Ministre de la Santé de la Communauté française, Catherine Fonck a annoncé l’organisation prochaine d’un programme de dépistage systématique de ces cancers.
La fondation, en la personne du Dr Didier Vander Steichel , son directeur scientifique, s’en réjouit à plus d’un titre.
Tout d’abord, ce dépistage systématique fait l’objet de plusieurs recommandations scientifiques et enregistre un consensus quant à sa nécessité et à son utilité.
Comme la ministre l’a rappelé lors du symposium, une étude récente du Centre fédéral d’expertise des soins de santé estime que le dépistage systématique des cancers du gros intestin peut diminuer de 15% la mortalité due à ce cancer en Belgique. Comme il s’agit d’un des cancers les plus fréquents chez l’homme comme chez la femme, la pertinence d’un programme de qualité semble évidente.
D’autre part, la manière dont l’organisation de ce dépistage est envisagée tient compte des expériences antérieures en la matière (dépistage du cancer du sein). Nous savons en effet que pour fonctionner, une campagne de dépistage suppose préalablement un consensus entre les différents médecins concernés afin qu’ils parlent d’une seule et même voix.
Quelle prévention?
Face aux cancers du gros intestin (second cancer le plus fréquent chez la femme et troisième chez l’homme), une série de facteurs de risque ont été identifiés. Le rôle de l’alimentation, que le grand public associe spontanément à la prévention de ce cancer, est encore relativement mal connu. Toutefois, le Fonds mondial de recherche contre le cancer et l’Institut américain pour la recherche sur le cancer viennent de publier un état des connaissances scientifiques sur les liens alimentation – cancers.
Quoi de nouveau du côté de la prévention?
La priorité est clairement donnée à la lutte contre l’obésité et la sédentarité.
Avant même de parler de ce que nous mangeons et buvons, le premier conseil qui nous est donné est d’être et de rester aussi minces que possible (en évitant toutefois l’insuffisance pondérale).
Seconde recommandation: pratiquer minimum 30 minutes d’activité physique par jour!
Troisième conseil, également destiné à lutter contre les kilos superflus: éviter les boissons sucrées et les aliments à haute densité calorique (très gras ou très sucrés).
Suivent la confirmation de conseils déjà connus comme de manger davantage de fruits et légumes aussi variés que possible (minimum 400gr par jour), de limiter sa consommation de viande rouge (maximum 300gr par semaine), de boire très modérément de l’alcool (maximum 2 verres par jour pour l’homme et 1 verre par jour pour la femme) et de limiter sa consommation de sel (maximum 5gr par jour).
D’autres recommandations intéressantes sont encore prodiguées:
– ne pas prendre de compléments alimentaires et autres vitamines pour se protéger du cancer mais privilégier une alimentation variée et équilibrée;
– pour les jeunes mamans, nourrir exclusivement leur enfant au sein pendant six mois. C’est tout bénéfice pour la mère et pour l’enfant;
– pour les personnes qui ont déjà eu un cancer, appliquer, elles aussi, ces conseils de prévention.
Promouvoir la minceur, lutter contre les sodas, les suppléments vitaminiques et le tout en voiture ou devant la télévision… Cela démontre un bel esprit d’indépendance quand on sait que ce rapport a été rendu public aux USA!
Facteurs de risque des cancers du gros intestin
Un facteur de risque est une circonstance qui favorise le développement d’une maladie. Certaines personnes ont en effet beaucoup plus de probabilités que d’autres d’être atteintes par un cancer colorectal (gros intestin). Mais cela ne signifie pas que la maladie se développera automatiquement lorsque certains facteurs de risque sont présents. Cela ne signifie pas non plus qu’elle sera toujours absente chez ceux qui n’ont aucun facteur prédisposant.
L’âge . La plupart des cancers du gros intestin atteignent des personnes de plus de 50 ans, même s’ils peuvent parfois se manifester plus tôt.
Les polypes de l’intestin . Un polype est une excroissance bénigne (non cancéreuse) de la paroi intestinale. Certains d’entre eux peuvent ultérieurement se transformer en cancer, d’où l’importance de les enlever préventivement.
Le tabac . Fumer augmente – aussi – le risque de cancer du gros intestin.
Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin . Les formes chroniques de la maladie de Crohn et de la rectocolite ulcéro-hémorragique (deux maladies inflammatoires de l’intestin) s’accompagnent d’un risque augmenté de cancer colorectal.
Les antécédents familiaux . Le risque de développer un cancer du gros intestin est plus important que la moyenne en présence d’un ou plusieurs cas de ce type de cancer dans la famille. Certaines formes relativement rares de cancer colorectal sont même fortement influencées par l’hérédité.
L’obésité et la sédentarité . Les kilos superflus et le manque d’activité physique sont fortement soupçonnés de favoriser le développement de ce cancer.
Et l’alimentation?
Différentes études épidémiologiques ont montré que l’on meurt moins de cancers du gros intestin dans les régions où l’on consomme peu de graisses animales et beaucoup de fruits et légumes. Reste à savoir ce qui, dans une telle alimentation, offrirait une protection contre ces cancers. Les recherches portant sur le rôle de tel ou tel autre composant alimentaire particulier (les graisses, les protéines, les calories…) ont abouti à des résultats contradictoires. Même l’effet bénéfique des fibres alimentaires, longtemps considéré comme probable, ne s’est pas vérifié dans des études récentes.
Signalons aussi que certaines recherches évoquent un rôle néfaste de l’alcool dans l’augmentation du risque de cancer du gros intestin.
Médicaments préventifs?
Chez la femme, le traitement hormonal substitutif de la ménopause s’accompagne d’une diminution du risque de cancer colorectal. Mais rappelons que ce même traitement hormonal augmente la fréquence des cancers du sein…
La prise au long cours de médicaments anti-inflammatoires (aspirine…) pourrait réduire le risque de développement de nouveaux polypes chez des personnes qui en ont déjà présenté ou ont déjà été atteintes par un cancer du gros intestin. Mais attention, la prise chronique de ce type de médicaments n’est pas dépourvue d’un risque d’effets secondaires graves (saignements intestinaux, hémorragie cérébrale, problèmes cardiaques).
Des suppléments d’acide folique et le calcium pourraient réduire le risque de cancer du gros intestin.
De sérieux points d’interrogation persistent donc à ce niveau, notamment en raison des effets indésirables ou potentiellement graves de tels traitements préventifs.
Dr D. Vander Steichel , Directeur scientifique Fondation contre le cancer
Pour plus d’informations: http://www.wcrf.org (en français).
Ce travail de concertation entre médecins est en cours et précède le lancement effectif du dépistage auprès du grand public. La concertation a notamment pour but de déterminer avec précision le public cible du dépistage, le type d’examen à proposer et à quel rythme. La ministre tient également compte des expériences similaires dans les pays voisins de la Belgique.
Enfin, une campagne de communication destinée au grand public sera réalisée le moment venu en concertation avec tous les acteurs concernés.
Ce travail de préparation et d’organisation en profondeur va certes demander encore un peu de patience puisque le test sera disponible en 2009. Mais ceci est une condition indispensable au succès d’une telle campagne de dépistage.
Extrait du discours de Catherine Fonck
«Jusqu’à présent, ce dépistage n’est pas organisé de manière généralisée en Belgique, mais seulement sporadiquement ou lorsque l’on soupçonne un problème de cancer. Des exemples provenant de l’étranger, de France notamment, ont montré qu’un dépistage organisé, avec un bon enregistrement des participants, conduit à une diminution de la mortalité liée au cancer colorectal et ceci de manière intéressante en termes de coût-efficacité. Le KCE a chiffré le coût de l’introduction d’un tel programme de dépistage à 20 à 35 millions d’euros par an, selon le mode d’organisation.
Le KCE estimait en 2006 qu’il existait encore de nombreux points d’interrogation quant à la pertinence en termes de coût-efficacité d’un dépistage généralisé.
L’incertitude la plus importante concerne le taux de participation au dépistage organisé. Compte tenu des frais fixes importants, une participation minimale est nécessaire pour justifier le coût du dépistage et pour observer son effet sur la population. Il faut également examiner comment les participants seront invités et comment le test sera perçu: ces deux aspects peuvent influencer fortement la participation.
C’est dans ce cadre que j’ai chargé un groupe de travail scientifique, sous la houlette du Professeur Coche , expert au sein de mon cabinet, de travailler sur la faisabilité d’un programme de dépistage du cancer colorectal. Les travaux ont progressé dans un excellent climat. Ce groupe comprenait des représentants des médecins généralistes, des gastroentérologues, de la Direction générale de la Santé en Communauté française, des mutualités, de Question Santé et de mon Cabinet.
Le groupe de travail scientifique a abouti à une proposition de programme de dépistage systématique qui sera débattue dans les prochains jours au sein du Gouvernement de la Communauté française (1).
Il est important de rappeler ici que les programmes de dépistage mis en place dans le cadre d’un programme de santé publique doivent répondre à une série de critères qui ont été définis par l’OMS:
-les répercussions de la maladie sur l’individu et la société doivent avoir été mesurées (en termes de morbidité/mortalité et d’impact socio-économique);
-l’épidémiologie et l’histoire naturelle de la maladie doivent être suffisamment identifiées;
-un test de dépistage simple à mettre en œuvre, fiable, reproductible et valide doit être disponible. Le test doit être acceptable par la population;
-un accord est nécessaire dans la communauté scientifique sur les investigations diagnostiques à poursuivre chez les personnes dont le test est positif et sur les choix disponibles pour ces individus;
-une intervention doit être efficace pour les patients identifiés précocement, avec la preuve que l’intervention précoce apporte de meilleurs résultats qu’une intervention plus tardive;
-en dessous d’un certain taux de participation, le programme de dépistage n’est plus efficace, d’un point de vue collectif;
-le dépistage organisé se justifie lorsqu’il offre un rapport coût-efficacité avantageux relativement à une situation de référence (absence de dépistage ou dépistage individuel) et au regard de ce que le financeur est disposé à payer pour privilégier cette intervention de santé;
-si un dépistage peut être systématiquement proposé, afin de garantir l’équité dans l’accès à celui-ci, les individus doivent rester libres d’accepter ou de refuser le test. Le consentement doit être obtenu après information sur les avantages et inconvénients du dépistage.
C’est sur ces bases que le groupe de travail scientifique m’a remis voici quelques temps ses recommandations.
Selon les recommandations, le programme de dépistage devrait s’adresser aux personnes à risque moyen c’est-à-dire âgées de 50 à 74 ans, asymptomatiques et sans antécédents particuliers. Ce risque moyen de souffrir d’un cancer colorectal peut être estimé à 3,5%. Il ne concerne donc pas les personnes avant 50 ans et celles qui ont un risque élevé (ayant un antécédent familial de cancer colorectal) ou très élevé (dans les cas de cancer colorectal héréditaire non polyposique ou d’une polypose héréditaire).
Le groupe de travail a recommandé une phase préparatoire d’information et de formation des médecins généralistes de terrain au cours de l’année 2008 avant d’envisager l’information du grand public et de la mise en place du programme au début de l’année 2009.
Les médecins généralistes, en parfait accord avec les confrères gastroentérologues, seront la pierre angulaire de ce programme. Le programme de formation a été élaboré par des représentants de ces deux spécialités et la formation dispensée au cours de l’année 2008 le sera par un couple gastroentérologue-médecin généraliste de proximité.
Pour le programme de dépistage du cancer colorectal, la seule méthode dont la validité a été démontrée, est la recherche de sang occulte dans les selles par la méthode de Gaïac. Pour qu’une méthode de dépistage de masse soit retenue, il est indispensable que la sensibilité soit satisfaisante et la spécificité très élevée. Il faut aussi que la méthode soit d’une utilisation simple, reproductible, bien acceptée par les personnes concernées et de coût raisonnable. D’après les données disponibles en France où ce programme existe depuis quelque temps, la spécificité de l’«Hemoccult II» est de 98%, la sensibilité est de l’ordre de 20% pour un adénome dont le diamètre est de 1 à 2 cm et entre 30 à 75 % pour un adénome de plus de 2 cm.
Il faut avoir à l’esprit qu’un adénome de moins d’1 cm va prendre environ 10 ans pour se transformer en cancer. Par ailleurs, sur 1.000 adénomes de moins d’1 cm, seulement 100 dépasseront la taille d’1 cm et seuls 25 deviendront des cancers. La sensibilité relativement faible est compensée par la répétition de l’examen de dépistage tous les 2 ans. Ce programme de dépistage ne peut occulter les nécessaires actions de prévention auxquelles doivent participer tous les acteurs de terrain.
C’est dans ce sens que la Communauté française s’est engagée dans un Plan stratégique attitudes saines qui se base sur des recommandations simples mais essentielles telles que la consommation de fruits et de légumes, la lutte contre la surcharge pondérale et la pratique régulière d’une activité physique.
C’est un défi de taille qui nous attend: d’abord car l’enjeu est important, puisque l’objectif est de réduire la mortalité due au cancer colorectal, mais défi de taille aussi pour le programme de dépistage dont l’organisation est déjà fort élaborée mais pour lequel il faut être attentif à ne pas brûler les étapes sous peine d’en réduire l’efficacité.» D’après un communiqué de la Fondation contre le Cancer
(1) Ce débat n’avait pas encore eu lieu au moment de la mise en forme de cet article (ndlr).