Être entrepreneur va souvent de pair avec un sentiment de liberté, une possibilité de décider de son temps, de choisir ce dans quoi on s’investit. Mais en raison des mutations toujours plus rapides du monde du travail, de l’évolution des sociétés et de nos modes de vie effrénés, le quotidien du chef d’entreprise est bien souvent rempli de contraintes. Il n’est pas à l’abri de démarches administratives pesantes, de déplacements longs, d’une alimentation déséquilibrée, du manque de sommeil et bien d’autres choses encore. Sa santé est souvent reléguée au second plan.
C’est pourquoi l’asbl Question Santé s’est lancée dans un ambitieux projet de soutien au bien-être des indépendants et très petites entreprises (TPE) en région bruxelloise. Nous avons rencontré la cheville ouvrière de cette initiative, Thomas Deprins.
Éducation Santé : 7 Jours Santé, c’est quoi ?
Thomas Deprins : 7 Jours Santé, c’est un projet de promotion de la santé mis en place par l’asbl Question Santé, à destination des travailleurs indépendants, dirigeants et salariés des très petites entreprises bruxelloises. Ce projet s’inscrit dans les missions de promotion de la santé de l’asbl, avec le soutien financier de la Commission communautaire française (1).
Un public cible quelque peu oublié
ES : Des indépendants ? Original… Pourquoi ce choix ? D’où est née cette idée ?
TD : Le projet est parti à l’initiative du Cabinet du Ministre bruxellois de l’Économie, l’Emploi, la Recherche scientifique, le Commerce extérieur et la Santé. Bruxelles comptait alors près de 18 000 TPE-PME (des entités de 1 à 19 personnes) et plus de 60 000 travailleurs indépendants. Le cabinet cherchait une organisation sensible aux questions de santé et de bien-être au travail et disposant d’une expertise en matière de communication. L’asbl Question Santé répondait parfaitement à cette double qualification.
Ainsi, nous avons répondu à cet appel en partant du constat que, contrairement aux grandes entreprises ou PME, les indépendants et TPE n’avaient pas accès au même soutien en matière de bien-être en entreprise. Même si la petite entreprise, comme toutes les entreprises belges, est soumise à la loi relative au bien-être au travail de 1996, celle-ci est toutefois moins contraignante pour la TPE. Par exemple, la mise en place d’un comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) n’est exigée que pour les entreprises de plus de 20 personnes.
Pour l’indépendant seul, c’est encore pire, il doit souvent endosser seul de multiples rôles (secrétariat, comptabilité…), son bien-être (mais parfois aussi sa vie sociale, culturelle…) est alors relégué au second plan. Ainsi, il est le seul garant de sa santé et, s’il n’en exprime pas le souhait, il n’est jamais en contact avec la médecine du travail alors que ce dispositif bénéficie aux travailleurs des plus grandes structures.
ES : Dans cette optique, quel est l’objectif du projet ?
TD : L’objectif est de sensibiliser ce public à l’importance de la santé et du bien-être global, en abordant des thématiques comme la gestion du temps, le stress, l’alimentation, l’activité physique, le suivi préventif mais aussi la mobilité sur Bruxelles, ou la relation avec les clients abordée sous l’angle du bien-être (comment gérer la charge émotionnelle entraînée par ces relations tantôt agréables tantôt tendues tout en sauvegardant sa clientèle), etc.
ES : Et concrètement, que proposez-vous ? Cela se limite-t-il à de l’information santé ?
TD : Non, l’idée est de donner de l’information en effet, mais aussi d’offrir des activités thématiques permettant aux personnes concernées de prendre le temps de s’interroger sur leurs pratiques et leurs effets sur leur santé afin qu’elles puissent prendre, en toute autonomie, la meilleure décision pour elles. Ces activités prennent la forme de formations sur le court ou le long terme, de séminaires de réflexion sur les déterminants de santé, de séances d’informations sur les ressources et organismes à leur disposition, etc.
Indispensables partenariats
ES : Comment entrez-vous en contact avec ce public bien particulier ?
TD : Voilà une bonne question ! Dès le départ, nos partenaires, le BECI (2) et le CEd (3), ont relayé nos actions et nos outils d’information. Ensuite, au fur et à mesure des rencontres avec les indépendants et TPE mais aussi avec toutes les structures d’aide aux indépendants et petites entreprises sur la Région de Bruxelles-capitale, nous avons étoffé et étoffons encore notre carnet d’adresses et entretenons un contact régulier (mensuel) via notre newsletter spécifique. Nous avons notamment agrandi notre réseau en interpellant une série d’acteurs proches ou moins proches des TPE bruxelloises.
Aujourd’hui, nous avons le soutien de centres d’entreprise, de guichets d’économie locale, de services communaux, d’associations de commerçants, d’agences conseil, de centres de formation, de mutualités… qui relaient, dans la mesure de leur disponibilité, nos activités et outils d’information et de sensibilisation. Ce travail de mise en réseau est essentiel pour le projet et permet de le faire connaître et évoluer. Nous sommes d’ailleurs toujours à l’affût d’organisations acceptant de relayer nos actions ou de collaborer avec nous, d’autant que de nombreuses structures d’aide à l’entrepreneuriat voient régulièrement le jour puisque celui-ci est encouragé en région bruxelloise en réponse au chômage.
ES : Pour la publication de contenus et les axes thématiques à privilégier dans le projet, avec qui collaborez-vous ?
TD : Nous travaillons avec des experts à différents niveaux… D’abord, afin de collecter des informations, nous réalisons régulièrement des interviews de spécialistes: du stress ( Pierre Firket du CITES-Clinique du Stress au CHP de Liège), de l’activité physique ( Bruno Bériot , coach sportif et Catherine Lallemand , athlète de haut niveau), de la gestion de l’équilibre de vie ( Anne-Françoise Gailly , formatrice, coach et thérapeute), etc. Ces interviews sont soit retranscrites, soit filmées et dans tous les cas, publiées sur le site de 7 Jours Santé. Ensuite, nous les sollicitons pour qu’ils animent des ateliers thématiques tels que : la gestion du temps (Anne-Françoise Gailly), la mobilité alternative à vélo à Bruxelles (asbl ProVélo), coaching sportif (Bruno Bériot)… Enfin, en matière de recherche, nous travaillons avec Olivier Torrès, Président d’Amarok, l’Observatoire de la santé des dirigeants d’entreprise; Céline Mahieu, chercheuse à l’ULB sur la question de la relation client, ou encore Alain Piette, chercheur sur l’amélioration des conditions de travail au SPF Emploi.
Activités diversifiées
ES : Comment faites-vous vivre le projet au quotidien, au-delà des animations avec le public cible ?
TD : Nous avons développé un site internet (http://www.7jsante.be) dès le lancement du projet. Il propose conseils, activités pratiques et conseils d’experts en matière de santé et de bien-être, à l’instar de notre page Facebook (http://www.facebook.com/7jourssante). Nous y publions des articles et des vidéos issus de la presse spécialisée ou fournis par les experts que nous rencontrons sur nos thématiques phares (stress, alimentation, activité physique…), ainsi que les événements à venir. Ce travail est capitalisé puisque nous synthétisons les contenus pour publier périodiquement une brochure d’information. Ces brochures sont disponibles gratuitement dans de nombreux points relais pour entreprises (communes, centres d’entreprises, Guichet d’économie locale…) ou sur demande à Question Santé asbl. Par ailleurs, nous organisons des ateliers avec des professionnels de la santé sur les thèmes clés du projet et invitons notre public à y participer gratuitement.
ES : Quels sont les leviers et freins au projet ?
TD : Le levier principal est l’équilibre travail-vie privée que vise, consciemment ou inconsciemment, tout un chacun, même les travailleurs indépendants. Et cet équilibre passe par un état de santé global acceptable… Or, il y a de plus en plus de travailleurs indépendants et de TPE. Entre 2006 et 2011, le nombre d’indépendants a augmenté chaque année en Région bruxelloise : +18,1% (4), l’emploi salarié étant de plus en plus rare et la population étant par conséquent de plus en plus encouragée à entreprendre. Dès lors, le public cible est large !
Pour ce qui est des freins… «Je vais bien sans me soucier de ma santé» pourrait être la devise de beaucoup d’indépendants ! Ils sont nombreux à lancer leur projet toutes voiles dehors, mettant leur santé (temporairement) de côté. Leur sentiment d’invincibilité ne dure malheureusement souvent que peu de temps. Troubles du sommeil, dépression, burnout, sont la triste réalité d’un certain nombre d’entre eux. Dès lors, la difficulté de notre projet est de conscientiser ce public… avant qu’il ne craque ! Pour cela, il faudrait qu’il prenne le temps de se déplacer aux activités proposées ou de s’informer via le net ou une brochure. Ce n’est pas gagné d’avance !
L’autre difficulté du projet est de le faire connaître. Cela suppose que les organisations avec lesquelles nous entrons en contact jouent le jeu et transmettent nos actions et propositions au public que nous visons, voire qu’elles intègrent cette approche dans leur accompagnement quotidien. Ce n’est pas garanti non plus… Le travail de partenariat est constamment à refaire, il faut entretenir les contacts pris.
À côté de ça, la gratuité de nos actions peut laisser penser que la qualité ne sera pas au rendez-vous. Déshabitués d’un service public gratuit, les entrepreneurs snobent ce qui est mis à leur disposition. Ils ne voient qu’une partie de l’iceberg, le service est gratuit, mais notre travail est professionnel et subsidié! Nous devons faire des efforts de communication à ce sujet.
ES : Quelques résultats pour l’année 2013 ?
TD : Nous avons distribué plus de 5000 brochures à Bruxelles, plus de 500 abonnés sont inscrits à notre newsletter et plus de 200 personnes se sont déplacées à nos ateliers en 2013. C’est encourageant.
Les points forts de 2014
ES : Quelles perspectives ou nouveautés pour 2014 ?
TD : Cette année, nous nous déplacerons à la demande en entreprise ou au sein de toute organisation relais désirant animer un séminaire ‘santé et bien-être’ destiné aux indépendants et travailleurs des TPE. Ce sera l’occasion pour nous d’entrer une fois de plus en contact direct avec notre public. Comme l’année passée, nous avons été présents au salon Entreprendre à Tour&Taxis. Nous y avions un stand et avons donné une conférence intitulée ‘Comment concilier entrepreneuriat et activité physique ?’
Nous aborderons également en 2014 la question de l’alimentation, de la relation client et du suivi préventif. Dans cette perspective, nous aimerions organiser des soirées dégustation mêlant pratiques culinaires et conseils de chefs sur fond d’alimentation durable et bio par exemple.
Concernant la relation clients, nous aimerions organiser, en collaboration avec l’ULB, une (ou des) journée(s), sur la question de la relation clients, afin de mieux cerner la problématique et de dégager des leviers d’action.
Enfin, nous envisageons de diffuser très prochainement un outil d’autodiagnostic (sous forme de questionnaire permettant d’identifier les sujets à aborder avec son médecin) à destination des indépendants, qui n’accordent que très peu d’attention à la prévention et ne consultent guère leur médecin que lorsqu’ils sont à bout ou doivent solliciter un prêt auprès de leur banque. Cette approche qualitative et personnalisée est pertinente et validée scientifiquement, plus efficace en terme d’objectifs de bien-être à moyen et long terme qu’un bilan peu personnalisé de type ‘check-up’, basé sur des examens standardisés comme par exemple une radiographie, une résonance magnétique nucléaire, un électrocardiogramme ou un examen biologique, car ces instantanés ne disent rien des perspectives d’évolution de l’état de santé d’une personne.
ES : Dans quelle mesure le secteur promotion santé et les lecteurs d’Éducation Santé peuvent-il vous soutenir ?
TD : Nous souffrons actuellement, comme je l’ai expliqué, d’un manque de visibilité auprès de nos publics cibles. Or, nous devons pouvoir entrer en contact avec eux pour mener des actions de sensibilisation, d’information et de formation. Ainsi, toute personne au statut d’indépendant, de travailleur ou dirigeant de TPE, toute association, notamment association de commerçants, échevin (du commerce), ou autre structure en contact avec le monde de la TPE et de l’entrepreneuriat peut nous permettre d’améliorer la visibilité de notre offre de services, nous tenir informés d’événements où nous pourrions trouver notre place, relayer nos actions et faire parler de nos brochures (gratuites) ou tout simplement, faire appel à nous !
Pour plus d’infos, consultez le site http://www.7jsante.be, vous y trouverez une mine d’informations sur le sujet. Pour les actus, n’hésitez pas non plus à vous rendre sur la page Facebook du projet : http://www.facebook.com/7jourssante .
Contact: 7 Jours Santé, Thomas Deprins, Question Santé asbl, rue du Viaduc 72 à 1050 Ixelles, 02 512 41 74, info@7jsante.be.
(1) Le budget annuel du projet est de 65.000 euros.
(2) Chambre de Commerce et Union des Entreprises de Bruxelles (http://www.beci.be)
(3) Centre pour entreprises en difficulté (http://ced-com.be)
(4) Panorama de l’économie belge en 2012, SPF Économie.