Janvier 2012 Par N. VANDEVELDE P. MOUYART Locale Wallonie

Réaliser une analyse des besoins en matière de prévention des assuétudes en milieu scolaire est une des missions des «Points d’Appui aux écoles en matière de prévention des Assuétudes» (PAA, dispositifs intégrés au sein des Centres locaux de promotion de la santé). À Charleroi, un groupe de travail (1) du PAA a choisi de privilégier une approche globale et positive de la santé et de mettre en place une méthode de collecte de données qualitatives. Le choix s’est porté sur le recueil de la parole des jeunes en milieu de vie scolaire. Les résultats de cette enquête sont destinés aux acteurs de l’Enseignement, de l’Éducation, de la Santé scolaire (directions, enseignants, éducateurs, agents SPSE et CPMS, etc.) ainsi qu’aux acteurs de la Jeunesse et de la Promotion de la Santé.
Son contenu, à considérer comme le résultat d’un coup de sonde auprès de jeunes, ne prétend pas à l’exhaustivité, et n’est pas non plus représentatif du territoire de Charleroi-Thuin. Il veut inspirer ou nourrir les interventions et pratiques des professionnels côtoyant les jeunes en milieu scolaire ou autour de l’école.
Cette enquête auprès des jeunes vise à savoir comment ils définissent les notions de bien-être, de risque ou encore de consommation. Donner la parole aux jeunes nous permet de mieux connaître leurs besoins en matière de prévention et leurs représentations de la santé. La démarche s’est articulée autour de trois grands axes, servant de guide durant les groupes focalisés: comment les jeunes se représentent-ils leur santé et le bien-être? Existe-t-il un lien entre «être jeune» et «prendre des risques»? Consommations et jeunes, quels liens peut-on et ne peut-on pas faire?
Au-delà du matériel attendu ou de certaines hypothèses de travail, nous avons également été sensibles à certains éléments de «surprise». Par exemple, nous n’avions pas forcément imaginé que les jeunes soient demandeurs ou en attente d’une rencontre et d’un échange avec des adultes concernés par la question de la santé et du bien-être. Autre exemple, un effet non attendu a été le plaisir authentique que la plupart des jeunes ont pris dans la rencontre, jusqu’à en oublier la notion de temps ou de contrainte scolaire…
N’est-ce pas ici que commence une démarche de promotion de la santé?

Donner la parole aux jeunes: une évidence ?
La plupart du temps, les demandes d’intervention en milieu scolaire sur les consommations ou les assuétudes proviennent des enseignants et des directions d’écoles. Mais finalement, ce qui est généralement posé comme un «problème» par l’école et ses intervenants est-il vécu de la même manière par les jeunes? Comment envisagent-ils et comprennent-ils la question des consommations? Qu’en savent-ils?
Aller chercher la parole des jeunes est, pour les partenaires de l’enquête, une manière de pouvoir recueillir leurs avis sur la question, dans la poursuite des objectifs suivants:

mieux comprendre les motivations des jeunes à adopter certains comportements en matière de consommations;
avoir une meilleure connaissance des facteurs qui vont inciter les jeunes à adopter des comportements ayant un impact – positif ou négatif – sur leur bien-être;
mieux connaître d’une part les ressources que les jeunes identifient dans leur environnement en matière de prévention des assuétudes, de promotion de la santé, et, d’autre part, les ressources manquantes;
connaître leurs attentes dans le domaine des consommations ou assuétudes, et plus spécifiquement, connaître l’impact de certains cadres, règles ou interdictions sur leur décision d’adopter ou non un comportement.
Le choix d’une méthode: les groupes focalisés
Les partenaires de cette enquête ont choisi une démarche participative qui permet de collecter des opinions, des croyances et des attitudes concernant un sujet. De ce point de vue, la méthode d’enquête des groupes focalisés propose un cadre dans lequel les participants ont la possibilité de confronter leurs opinions à celles des autres et de réagir en qualité de membres du groupe. En fait, cette technique est basée sur l’idée de départ selon laquelle l’être humain, ses idées, ses préférences, ses valeurs et ses intérêts résultent de son interaction avec son environnement et que ses représentations du monde sont en partie influencées par ses relations avec les autres individus.
Nous avons effectivement constaté, lors de chaque rencontre, qu’une «réserve» première (timidité ou aimables provocations) cédait systématiquement le pas au naturel et à la spontanéité, voire à une forme de générosité dans les échanges. Progressivement, les jeunes étaient en situation d’être un peu plus eux-mêmes, et pas ceux qu’ils s’imaginaient «devoir être»…
Les jeunes interrogés étaient âgés de 14 à 18 ans issus de neuf classes du second degré de trois établissements de l’arrondissement de Charleroi-Thuin, élèves tant de l’enseignement général que professionnel avec un équilibre entre le nombre de filles et de garçons.

Quels objectifs
Au travers de ces discussions notre objectif est de mettre en lumière les éléments suivants:

les facteurs favorisant ou freinant le bien-être des jeunes ;
leurs besoins actuels et comment ils les énoncent ;
les ressources identifiées par les jeunes (ou celles qui leur manquent), dans ou en dehors de l’école ;
leurs motivations à adopter un comportement ;
l’impact de certaines règles, cadres ou interdictions sur le comportement ou la décision d’adopter un comportement.
Quels résultats
Nous vous livrons ici quelques éléments importants exprimés par les jeunes. L’ensemble des résultats sont accessibles en téléchargeant l’enquête via le lien suivant: http://paa.clpsct.org/analysebesoins.php .

Jeunes et bien-être
Les facteurs influençant le bien-être peuvent être sociaux, psychologiques ou financiers. Les facteurs de bien-être sont: avoir des amis, de l’argent de poche, etc. Les facteurs de mal-être sont: l’isolement, un cadre de vie insécurisant, etc.
En cas de problème, le jeune se tourne d’abord vers la sphère familiale (généralement sa mère ou sa fratrie). La famille reste un appui essentiel du jeune quel que soit son âge. Les professionnels sont évoqués pour les cas graves (danger de mort).

Jeunes et risques
Une majorité des jeunes sont conscients de prendre des risques mais mesurent mal les conséquences auxquelles ils pourraient être confrontés lors de cette prise de risque.
Même si la transgression de la règle reste un motif fort de prise de risque, pour les jeunes que nous avons rencontrés, le cadre, la règle ou les interdictions peuvent avoir un impact positif sur la régulation des comportements à risque. L’absence de cadre, de règles ou d’interdictions est perçue par les jeunes comme ayant un impact négatif sur leur bien-être.

Jeunes et consommations
« Tout ce que l’on achète et utilise »… « Tout ce à quoi on prend goût »… « Licites et illicites »… « L’excès »… « L’argent »… « L’alimentation » … « Les médicaments » … « Le mazout de chauffage » … « Les trafics d’armes »

Quand on évoque avec eux le terme «consommation», les jeunes rencontrés nous parlent de ce qui les entoure. Pour les jeunes interrogés, on pourrait résumer leur point de vue comme suit: «Toutes les consommations ne mènent pas à la dépendance mais tout le monde consomme… C’est l’excès qui rend une consommation néfaste pour la santé et non la consommation en elle-même.»

Perspectives et recommandations
À partir de cette expérience, certains éléments nous sont apparus importants à prendre en compte quand on souhaite entamer une démarche avec des jeunes sur la question de la consommation de produit.

Garantir les conditions de l’échange avec un groupe de jeunes
Avant l’intervention, s’interroger sur les vécus individuels des jeunes du groupe, en relation avec les consommations (qu’en sait-on?) et leur annoncer le sujet, les objectifs et les thèmes-clés qui seront abordés.
Pendant l’intervention, être attentif au «climat» dans lequel se déroulent les échanges (organiser l’espace pour permettre l’interactivité, poser des règles d’écoute et de non jugement et garantir leur respect, veiller à l’équilibre de la prise de parole tout en respectant le fait que chacun n’a pas la même aisance dans les débats de groupe…).

Recueillir les représentations – ajuster les connaissances
Qu’il s’agisse du «bien-être/de la santé» ou des «consommations», il est important de laisser prioritairement les jeunes s’exprimer sur ce qu’ils entendent par ces notions, sur leurs vécus et expériences, etc.
Les méthodes projectives (décrire une personne qui se sent bien; «si la santé était un animal») et les questions ouvertes («consommations» à quoi cela fait-il penser?) permettent l’expression des représentations, et plus loin, un phasage avec la réalité des jeunes, leur langage et les connaissances qu’ils possèdent déjà.
Les jeunes ont également des représentations à propos des qualités nécessaires à une personne-ressource en matière de bien-être ou de consommations: son savoir-être et son vécu sont plus importants que son identité, son rôle, sa fonction ou son âge (cela peut être un pair de confiance). C’est également quelqu’un qui peut garder un secret. Certains professionnels n’échappent pas aux étiquettes, les psychologues ou psychiatres restent bien souvent perçus comme «les personnes qui s’occupent des fous»…
L’ajustement des connaissances s’opérera en confrontant les représentations des uns et des autres, et se réalisera progressivement. Les informations sont distillées lors des échanges en groupe, quitte à faire l’objet de rappels et d’une synthèse co-construite avec le groupe: qu’a-t-on découvert/appris de neuf, qu’est-ce qui m’a surpris(e) dans les échanges, etc.?
L’émergence des représentations et des vécus relatifs au bien-être ou aux consommations nécessite également une attention à l’expression éventuelle, par certains jeunes, d’expériences plus douloureuses ou problématiques. L’approche globale et positive préconisée ci-après constitue une première garantie pour éviter les approches «psychologisantes» et l’exposition de vécus (usages problématiques d’alcool dans la famille par exemple) qui mettraient à mal le groupe et les adultes-relais, se sentant impuissants face à la situation…

Inscrire l’intervention sur les consommations dans une approche globale du bien-être
Lier la consommation et l’attachement au paraître peut être une piste de travail, de même que questionner la nécessité de consommer pour appartenir à un groupe. L’idée n’est pas de remettre en question l’importance du groupe, mais peut-être d’inviter les jeunes à le mettre en balance avec leur libre-arbitre et avec le respect d’un collectif plus large (régi par des règles, des lois…).
Le bien-être relationnel est également un moteur pour les jeunes. Il faudrait programmer des activités et des ateliers qui permettent de développer des liens et des compétences sociales. Cela évitera ou diminuera les consommations liées au besoin de «se donner du courage», de se sentir fort, maître de soi, l’effet désinhibant de l’alcool… On sait que les vertus «entactogènes» (se dit d’une substance qui favorise la communication, l’introspection, les contacts sociaux, l’empathie et la sensation de pouvoir s’exprimer) de certains psychotropes motivent leur consommation chez les jeunes et les adultes.
Il faut veiller à impliquer les jeunes dans des démarches en vue d’améliorer la qualité de leur environnement, leur sentiment de sécurité et de bien-être. Car la qualité de l’environnement (c’est-à-dire le fait qu’on s’y sente en sécurité, sa convivialité…) est un élément-clé pour le bien-être des jeunes, y compris quand il est question des consommations. Il faut prendre garde à la banalisation de certains usages (du genre Tout le monde fume même à l’école alors pourquoi pas moi …).

Aborder les consommations de manière large
Nous entendons par là «avec» ou «sans psychotrope». Les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont par exemple des «consommations» qui concernent particulièrement les jeunes et qui interrogent pas mal les adultes en contact avec ces jeunes! Ce sujet nécessite cependant une certaine connaissance de la part de ces adultes, de même qu’une approche «ouverte» à nouveau. Il serait dommage, voire contre-productif, de n’aborder les TIC que sous l’angle problématique ou en assimilant leurs usages à une forme de dépendance (2). Dans ce cadre, le rôle des parents pour poser les limites et le cadre d’utilisation est important. Les jeunes sont en demande de sécurité et de contrôle autour des nouveaux médias.
GSM, jeux, Internet sont des consommations que les jeunes connaissent sans qu’ils en fassent un usage spécialement problématique ou compulsif, et sans qu’ils les situent a priori comme des assuétudes. Par conséquent l’adulte proche du jeune devra aborder la consommation des TIC:

d’une manière ouverte (aspects positifs et négatifs);
en tenant compte de leur diversité et de leur fonctionnement: jeux, «chats», réseaux sociaux, etc. et par conséquent, en tenant compte de la diversité des usages qui en découlent;
au sein de la sphère familiale (principal lieu d’utilisation des médias), en veillant à éviter le PC/la TV dans la chambre, en limitant l’abonnement ou l’accès, en installant un système de contrôle parental, en s’intéressant de manière bienveillante à l’usage qui est fait par le jeune, à ses motivations et centres d’intérêt;
au sein de la communauté éducative, en cherchant des modalités cohérentes et adaptées de régulation de l’usage du téléphone portable dans l’enceinte de l’école, ce qui implique également une sensibilisation des parents.
Explorer la question de la prise de risques
Au-delà de l’expression des motivations et du sens que les jeunes donnent à la prise de risques, il est important de les sensibiliser aux conséquences possibles de prises de risques spécifiques, si elles sont abordées:

avoir des rapports sexuels non protégés n’entraîne pas seulement un risque de grossesse, mais aussi des risques de contracter une infection sexuellement transmissible;
passer beaucoup de temps devant son écran réduit l’activité physique et n’améliore pas les compétences sociales situationnelles (en face à face, au sein d’un groupe);
les consommations d’alcool ou de cannabis réduisent la concentration, avec un impact sur les performances scolaires.
Inviter à la concertation
Enfin, notre dernière recommandation sera d’inviter l’ensemble des professionnels, d’une part, à travailler en concertation, pour s’enrichir de leurs expériences mutuelles et, d’autre part, à impliquer les jeunes concernés dans la construction des projets.
Le nouveau dispositif pilote de «Cellules bien-être à l’école» est sans aucun doute une manière de construire ce lieu de concertation.

Et maintenant…
Notre souhait en réalisant ce travail d’enquête était de rassembler des informations utiles aux intervenants du monde scolaire. Nous espérons que les pistes de travail, formulées sous forme de recommandations, pourront nourrir les projets d’interventions et les pratiques des professionnels en contact avec les jeunes.
L’étape suivante pour le Point d’Appui Assuétudes est maintenant de travailler à la diffusion des résultats de cette enquête, de soutenir la mise en œuvre des recommandations, et enfin, de stimuler les liens nécessaires avec les dispositifs existants et les acteurs impliqués.
Tout cela au service du bien-être des jeunes qui, comme le montrent les résultats de cette enquête, ont beaucoup à nous dire…Philippe Mouyart et Natacha Vandevelde , Centre local de promotion de la santé de Charleroi Thuin(1) AJMO Charleroi, Carolo Contact Drogues, Centre local de promotion de la santé de Charleroi -Thuin, Centre PMS de la Communauté française de Charleroi, Service de Prévention/Promotion Santé du Service de Santé Mentale du CPAS de Charleroi(2) Voir à ce sujet: Minotte P., Donnay J.-Y., Les usages problématiques d’internet et des jeux vidéo. Synthèse, regard critique et recommandations , Institut Wallon pour la Santé Mentale, septembre 2009 ( http://www.iwsm.be/pdf_dir/UPTIC.pdf ). Voir aussi les différents écrits du psychiatre français Serge Tisseron, de même que ses interventions filmées sur http://www.yapaka.be/professionnels/voir