Décembre 2013 Par Colette BARBIER Locale Wallonie

Nous vous avons présenté récemment (1) les acquis d’une matinée d’échanges destinée aux acteurs de la promotion de la santé dans le Hainaut occidental. Son directeur, Tien Nguyen, commentait pour nous les obstacles rencontrés par les pilotes des projets, leurs atouts et les enseignements à tirer des réussites comme des échecs. Nous avons illustré cette réflexion le mois passé par la présentation de ‘La Table OMS Alcool’, une initiative concrète mise en place sur le territoire du Centre local de promotion de la santé du Hainaut occidental, à Mouscron (2). Nous terminons ce bref tour d’horizon aujourd’hui à Tournai.

En Belgique, malgré les efforts réalisés depuis de nombreuses années pour diversifier l’offre de soins en santé mentale, l’approche thérapeutique reste fortement centrée sur l’hospitalisation. En effet, avec 150 lits en soins psychiatriques par 100 000 habitants, la Belgique est le second pays d’Europe qui en compte le plus.

Depuis 2011, la grande réforme des soins de santé mentale, baptisée ‘Psy 107’, autorise les hôpitaux à fermer des lits et à déplacer le personnel soignant affecté à ces lits vers la création d’équipes de soins à domicile afin de permettre, autant que possible, aux personnes souffrant de troubles psychiatriques de rester dans leur milieu de vie.

Le but de cette réforme est double : d’une part rapprocher les soins du patient et assurer leur continuité en créant des équipes de soins psychiatriques à domicile; d’autre part permettre une meilleure coordination des soins et services dont les usagers ont besoin pour améliorer la santé mentale.

Cela induit de faire en sorte que les institutions qui s’occupent des soins, mais aussi celles qui oeuvrent dans le domaine social, se rencontrent, se parlent, coordonnent leurs actions et essaient d’assumer de façon collective la responsabilité de la qualité des soins et services sur un territoire donné.

Cinq fonctions

Pour mettre en place ce nouveau modèle de soins qui associe les ressources des institutions hospitalières et les services développés dans la communauté, la réforme postule qu’un nombre minimum de cinq fonctions doivent être remplies :

– accomplir les missions de base de l’aide et des soins: activités en matière de prévention, de promotion des soins en santé mentale, détection précoce, diagnostic, premier traitement. Cela sous-entend un accueil de la demande et l’organisation d’une réponse de proximité en assurant, si nécessaire, la continuité des soins sur le long terme;
– offrir une nouvelle forme de soins en santé mentale plus rapidement accessibles aux personnes, ainsi que des soins adaptés dans leur milieu de vie grâce à l’intervention d’équipes ambulatoires de traitement psychiatrique à domicile, aussi bien pour les problèmes psychiques aigus que chroniques;
– créer des équipes de réhabilitation qui travaillent à la réinsertion sociale et professionnelle, et offrent des programmes particuliers à des personnes présentant des problématiques psychiatriques à un stade spécifique de leur maladie, afin de leur permettre de développer leurs capacités en vue d’une autonomie dans la vie de tous les jours;
– intensifier les soins résidentiels spécialisés pour les personnes qui sont dans une phase tellement sérieuse que l’aide dans l’environnement de vie ou au domicile n’est temporairement pas indiquée. Les petites unités intensives de traitement résidentiel sont caractérisées par des séjours de courte durée, d’une grande intensité et fréquence, d’un encadrement spécialisé;
– développer des habitats spécifiques pour des personnes souffrant de problématiques psychiatriques chroniques stabilisées et présentant des possibilités d’intégration sociale réduites.

Le RESEAU HO à Tournai

En 2010, une phase expérimentale d’une durée de trois ans a débuté à travers une quinzaine de projets-pilotes répartis sur l’ensemble du territoire belge.

À Tournai, 44 lits ont été supprimés au Centre Régional de Soins Psychiatriques ‘Les Marronniers’ en vue de la création de deux équipes mobiles de soins psychiatriques à domicile. Créées via la mise sur pied, en mars 2011, du Réseau Santé Mentale du Hainaut Occidental (RESEAU HO), ces deux équipes sont composées de 30 travailleurs équivalent temps plein (infirmiers, psychologues, assistants sociaux, deux psychiatres…). Une équipe, affectée aux soins intensifs, vise à éviter les hospitalisations en faisant du suivi intensif. Sa durée d’intervention est de 30 jours maximum. Une deuxième équipe, dont l’intervention a lieu sur une période indéterminée, se consacre au rétablissement de l’usager par le biais de sa réinsertion sociale. Elle l’aide à renouer des liens sociaux, à redevenir actif, éventuellement à retravailler, avoir des occupations, faire du bénévolat… en le mettant en contact avec des institutions du RESEAU HO.

Jean-Luc Hoebanx, anciennement directeur du département psycho-social et paramédical des Marronniers, assure la coordination du RESEAU HO qui regroupe une cinquantaine d’institutions pouvant être utiles aux usagers de la santé mentale, à leur famille et à leurs proches (3) :

– les associations de familles ou de proches et les associations d’usagers de la santé mentale, les groupes d’entraide;
– les médecins généralistes de la région, les maisons médicales, les centres de santé mentale, les centres de planning familial, les services sociaux de première ligne;
– les services à domicile de soins psychiatriques, de soins généraux et d’aide familiale;
– les institutions de réinsertion psycho-sociale et professionnelle (clubs thérapeutiques, centres de réadaptation fonctionnelle, organismes d’insertion socio-professionnelle…);
– les services psychiatriques hospitaliers de la région;
– les institutions spécialisées ou non offrant ou promouvant un hébergement (Habitations protégées, Maison de soins psychiatriques, Maisons d’accueil, Agence immobilière sociale, Logement social).

Les atouts

Jean-Luc Hoebanx pointe plusieurs atouts qui ont permis au RESEAU HO de bien se développer. «La direction des Marronniers a été très volontaire, active et enthousiaste face au projet 107, et a bien pris sa place dans la réforme. Loin de vouloir tout contrôler, elle laisse une grande liberté d’action au réseau qui peut donc mettre le doigt sur des problèmes, poser des questions, proposer des solutions.»

En deux ans, le RESEAU HO est passé de 22 à 50 partenaires. «Ceux-ci se sont engagés à construire ensemble un réseau selon des valeurs et principes énoncés dans une charte qui définit notamment l’action du réseau. Nous avons beaucoup discuté, écouté pour ensuite définir les choses à faire (chantiers), les priorités et la planification du travail.»

Étant donné le nombre important de partenaires, il était primordial de donner une structure solide au réseau. «Pour cela, nous avons créé un organe de gestion (comité de travail) constitué de deux représentants par fonction et représentatif de l’ensemble des partenaires. Le RESEAU HO est également bien administré grâce au secrétariat qui gère les PV de réunions, les convocations, l’envoi de courrier, etc.»

Par ailleurs, le Gouvernement fédéral apporte un précieux soutien à travers les formations et stages d’immersion à l’étranger qu’il offre aux responsables et aux partenaires du réseau. Chaque projet reçoit également un financement annuel de 725 000 euros.

«Nous avons aussi conclu quelques conventions de collaboration intersectorielle qui sont un début de formalisation du réseau et participé à la recherche universitaire qui évalue les projets. Nous avons soutenu la création d’une association locale d’usagers qui va participer au comité de travail et aider les professionnels à améliorer le dispositif au niveau de l’accessibilité, de la continuité et de la qualité des soins. Enfin, nous avons également obtenu la participation des élus locaux, c’est-à-dire des représentants des citoyens.»

Les difficultés rencontrées

Les 50 partenaires ne sont pas encore tous d’accord sur le type de réseau à construire, notamment sur la notion d’intégration : faut-il plus ou moins d’intégration ? «En Belgique, et peut-être particulièrement en Belgique francophone, les acteurs n’ont pas l’habitude de travailler en réseau intégré. Ils ont plutôt des relations avec quelques institutions qu’ils connaissent bien, mais il est assez difficile d’établir une confiance qui permette de fonctionner tous ensemble. Il n’y a donc pas ou peu de culture de la responsabilité collective. La défense des intérêts particuliers est encore privilégiée. Je pense qu’il faudra du temps pour parvenir à travailler en réseau intégré, à savoir dans un système où chacun ne se refile pas les cas difficiles, mais où tous les acteurs du réseau assument collectivement la responsabilité de trouver une réponse aux cas compliqués, comme c’est le cas en France, aux Pays-Bas, en Suisse ou encore en Grande-Bretagne. Ainsi, actuellement, lorsqu’un patient est refusé à l’admission parce qu’il ne correspond pas aux critères d’une institution, celle-ci se contente de dire ‘non’. Dans un réseau intégré, des conventions font en sorte que les institutions qui refusent un patient se soucient aussi de savoir quelle autre réponse pourrait être apportée par un des partenaires du réseau. »

D’autre part, si la structure du réseau est solide, elle est, jusqu’à présent, peu productive en matière de conventions et de changement des pratiques. «De nombreux problèmes sont mis en évidence, mais peu de solutions sont avancées. Il est également vrai que la mise en commun des problèmes met parfois cruellement en évidence l’insuffisante mise en commun des ressources.»

Autre obstacle de taille : le domaine des soins ambulatoires dispose de moyens beaucoup moins importants que les hôpitaux. «Lorsque des lits hospitaliers sont fermés, davantage de patients se retrouvent dans la communauté. Les petites institutions du réseau, comme les centres de réadaptation fonctionnelle par exemple, sont alors plus sollicitées, sans que leurs moyens financiers soient augmentés pour autant.»

Jean-Luc Hoebanx pointe aussi l’absence ou la faible culture de l’expérimentation et de l’évaluation. «Certaines institutions refusent de participer à toute forme d’évaluation quantitative malgré le fait que la charte stipule l’obligation d’évaluer l’action du réseau.»

Enfin, il est difficile de faire participer un nombre significatif de généralistes. «Ils sont assez disponibles pour les questions cliniques, mais très peu pour les questions d’organisation des soins.»

Les enseignements

Les soins à domicile répondent à un réel besoin. «Il y a énormément de demandes, presque trop. Depuis la création du réseau, les deux équipes mobiles ont suivi environ 600 patients. Elles en sont actuellement à 200 suivis actifs. Avec 30 travailleurs, il n’est pas possible d’en suivre davantage.»

D’autre part, il a été très facile de mobiliser les partenaires. «Comme on rencontre un peu partout des personnes qui présentent des problèmes de santé mentale, des institutions n’ayant pas de lien direct avec la santé mentale (CPAS, centres de formation professionnelle, logement social…) se sont montrées intéressées par le projet car elles ont besoin d’aide pour gérer les situations qu’elles rencontrent.»

Jean-Luc Hoebanx déplore la stigmatisation des troubles mentaux. «Cette stigmatisation est néfaste pour la prévention et produit un retard dans la consultation. Or, plus le trouble mental est diagnostiqué et soigné tôt, plus le traitement est efficace et permet d’éviter l’hospitalisation. Si on veut que les personnes se fassent soigner suffisamment tôt, ce qui est un enjeu de santé publique, il y a un important travail d’information et d’éducation à faire pour briser la stigmatisation des troubles mentaux. »

Si les personnes font appel suffisamment tôt, encore faut-il qu’elles soient bien soignées. «Actuellement, les médecins généralistes ne sont pas assez bien formés au diagnostic et au traitement des troubles de santé mentale, et ils ne sont pas assez aidés en cela par les psychiatres, les psychologues et les services sociaux. Le traitement des troubles mentaux n’est pas qu’une affaire de biologie et de médicaments. Il doit être transdisciplinaire et conjuguer les approches biologique, psychologique et sociale. L’OMS considère que des pressions socio-économiques persistantes, par exemple, sont des facteurs de risque reconnus pour la santé mentale. En plus des médicaments et des thérapies, il faut donc veiller à réduire les facteurs de risque pour la santé mentale que sont les logements insalubres, les moyens d’existence insuffisants, l’isolement social, le sentiment d’inutilité, le découragement et le repli sur soi. Pour cela, il faut favoriser les groupes d’entraide, le partage d’informations concernant la santé mentale sur Internet, la présence parmi les soignants de ‘pairs aidants’, c’est-à-dire des personnes ayant précédemment souffert de troubles mentaux et s’étant rétablies. Il faut aussi créer ou faciliter l’accès à des activités ou à un travail utile.»

Évaluation

Une recherche universitaire, menée de conserve par la VUB, la KUL et l’UCL, donnera ses conclusions dans quelques mois. «Il s’agit d’une évaluation à la fois qualitative et quantitative qui explore de nombreux aspects de la réforme de la santé mentale et des réseaux. D’autre part, nous avons procédé en interne à un certain nombre d’évaluations, notamment au niveau des équipes mobiles. »

Informations complémentaires: http://www.reseauho.be et http://www.psy107.be

(1) Voir l’article de Colette Barbier ‘Hainaut occidental : un apprentissage mutuel grâce à l’échange des pratiques’, Education Santé n° 293, octobre 2013, pages 12 à 14, http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1617
(2) Colette Barbier, Hainaut occidental : la Table OMS Alcool à Mouscron, Education Santé n°294, novembre 2013, pages 14 et 15, http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1629
(3) La liste des partenaires du RESEAU HO peut être consultée sur le site http://www.reseauho.be