Mai 2009 Par K. FROHLICH Dossier

Pourquoi s’intéresser d’aussi près à la question sociale lorsqu’il est question d’inégalité de santé? La raison est fort simple. La littérature épidémiologique nous démontre depuis plusieurs décennies que de nombreux phénomènes de santé, dont plusieurs maladies chroniques et habitudes de vie, ne se distribuent pas également dans les populations entre les groupes sociaux, et ce à l’échelle de la planète.
Les gens plus pauvres souffrent plus de diabète que les gens plus aisés, les gens instruits sont moins susceptibles de fumer que ceux qui ont un niveau d’éducation plus faible, et ainsi de suite. Et la différence ne se constate pas qu’entre les plus riches et les plus pauvres. En effet, il existe un gradient social pour la plupart des habitudes de vie qui affectent la santé des populations, ce qui se traduit par un gradient social pour le risque de maladies chroniques.
La distribution inégale des déterminants sociaux de la santé n’est ni un hasard, ni équitable. La concentration d’habitudes de vie néfastes et de maladies associées dans certains sous-groupes de la population n’est pas un évènement naturel inévitable non plus. Elle nous renseigne sur la façon inéquitable dont nos sociétés sont organisées, ainsi que sur les choix et pratiques de nos institutions et gouvernements.
Les enseignements de l’histoire et d’un nombre croissant d’études empiriques montrent le rôle crucial que jouent les politiques redistributives pour réduire les inégalités sociales. Le message clé de ces politiques consiste à dire que le social joue un rôle capital dans la création, la perpétuation et la réduction des écarts de santé entre les groupes sociaux, et que nous parviendrons à les réduire en réajustant les conditions sociales dans lesquelles les gens vivent.

Inégalités sociales de santé, groupes «vulnérables» et autodétermination: l’exemple des Premières Nations

Mais par où commencer si nous voulons réduire les inégalités sociales de santé? La situation des Premières Nations est un exemple flagrant et surtout systématique à travers la planète, de celle de populations qui, dans presque tous les pays, évoluent dans des conditions sociales et de santé de loin moins bonnes que celles de leurs compatriotes.
Devant de telles inégalités, dont l’éventail des manifestations incluent les maladies chroniques et les comportements délétères (tabagisme par exemple) souvent utilisés pour orienter les réflexions et les stratégies vers des interventions responsabilisant les individus, il devient nécessaire de se tourner vers des approches qui s’attaquent à leur fondement. Le cas des Premières Nations est, à ce titre, exemplaire pour qui veut s’attaquer aux inégalités sociales de santé.
Arrêtons-nous ici sur ce cas particulier dans lequel les manifestations des inégalités sociales structurelles ne peuvent être questionnées et que seules des approches sociopolitiques peuvent réduire. Ainsi, selon l’indice de développement humain de l’ONU, le Canada a été classé au 8e rang mondial tandis que le classement des Premières Nations demeurant au Canada est le 78e rang. Les écarts sont aussi très marqués pour l’insécurité alimentaire soit 8% versus 33%, le statut de bénéficiaire d’aide sociale 7,4% versus 28% et le taux de chômage 6,9% versus 20%. Finalement, l’espérance de vie des hommes autochtones se situe en moyenne à 69 ans, contre 76 ans chez les hommes non-autochtones. Ces statistiques traduisent à la fois les inégalités sociales et les conséquences de celles-ci sur la santé.
C’est la notion d’autodétermination qui peut nous aider à comprendre la situation de cette population vulnérable et à trouver des solutions pour y remédier. Ce concept d’autodétermination se rapproche d’un des déterminants clés des inégalités sociales de santé, la notion d’«empowerment» ou contrôle. Aussi explorée par les psychologues en termes de «locus of control» que par des sociologues en tant que «rapports de pouvoir», cette notion est déterminante pour améliorer l’état de santé des populations ayant moins de ressources.
Les Premières Nations ont ainsi, pour la plupart, vu leur autonomie compromise à la suite de la perte de leur pouvoir politique et économique, de celle de leurs territoires ancestraux et finalement de celle de leur mode de vie traditionnel. L’expérience de colonialisme chez les Autochtones a créé des relations caractérisées par la dépendance et le sous-développement. Le processus de colonialisme a rendu les nations autochtones périphériques à l’économie coloniale les inscrivant dans une relation de dépendances, économique et autres.
Dans un tel contexte, l’autodétermination des Premières Nations et l’autonomie de leur système gouvernemental sont des solutions novatrices récemment mises en oeuvre pour tenter de remédier à ces problèmes et pour réduire les inégalités de santé entre Autochtones et non-Autochtones. Qu’il s’agisse de maladies chroniques, d’habitudes de vie ou d’autres problèmes de santé, l’exemple des Premières Nations peut être généralisé à d’autres populations vulnérables. Le message clé à retenir est finalement le suivant: il faut changer les rapports de pouvoir pour réduire les inégalités sociales de santé.

Aborder les inégalités sociales de santé au niveau local

Une deuxième façon d’aborder les inégalités sociales qui se traduisent en inégalités de santé consiste en la prise en considération de ce que Basile Chaix appelle la ségrégation spatiale , c’est-à-dire la ségrégation systématique de diverses populations sur une base géographique. Il est de mieux en mieux démontré dans la littérature scientifique que, dans les pays développés, les voisinages ou quartiers plus pauvres sont systématiquement moins bien desservis par des services publics et privés que leurs homologues plus riches. Le modèle théorique développé par Chaix permet de voir les liens qui peuvent être établis entre les composantes des voisinages et une maladie chronique telle l’obésité.
Cependant, même si nous constatons les inégalités sociales de santé au niveau des voisinages et quartiers, c’est-à-dire au niveau local, il ne faut jamais oublier que les inégalités que l’on y observe empiriquement sont également la résultante de macro-politiques adoptées en-dehors des frontières des quartiers. En se concentrant davantage sur la responsabilité locale, les risques sont en effet grands d’oublier que les inégalités qui existent au niveau local sont en bonne partie le fruit de décisions prises à un autre niveau, qu’il soit municipal, provincial ou fédéral.
Katherine L . Frohlich , Ph. D., Département de médecine sociale et préventive, Université de Montréal, Québec, Canada

Ont également contribué à cet atelier intitulé Habitudes de vie , maladies chroniques et inégalités sociales de santé : où est le social dans tout ça ?, présenté le 17 novembre 2008 dans le cadre de la Rencontre francophone internationale sur les inégalités sociales de santé:
Francine Vincent , Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Québec, Canada; Patrick Bacon , M.A., Bureau de développement social des Premières Nations du Québec et Commission de la santé et des services sociaux des Premières Nations du Québec et du Labrador, Québec, Canada; Andrée Demers , Ph. D., Département de sociologie, Université de Montréal, Québec, Canada; Alexandre Lebel , M. Sc., aménagement du territoire et développement régional, Université Laval, Québec, Canada; Basile Chaix , Ph. D., Inserm – Université Pierre et Marie Curie – Paris 6, France; Éric Robitaille , M. Sc., Institut national de santé publique du Québec, Canada.

Références

Frohlich, K.L., De Koninck, M., Demers, A., & Bernard, P. (2008). Les inégalités sociales de santé au Québec. Montréal, CA: Les Presses de l’Université de Montréal.
Frohlich, K.L., Ross, N., & Richmond, C. (2006). Health disparities in Canada today. Some evidence and a theoretical framework. Health Policy, 79:132-143.
OMS Commission des déterminants sociaux de la santé (2008). Combler le fossé en une génération: instaurer l’équité en santé en agissant sur les déterminants sociaux de la santé. 40 pages. http://www.who.int/social_determinants/fr/
Chaix, B. (2009). Geographic life environments and coronary heart disease: A literature review, theoretical contributions, methodological updates, and a research agenda. Annual Review of Public Health, 30, 20.1-20.25.