Mai 2009 Par S. VEZINA P. BOUCHARD Dossier

Les inégalités sociales en santé ne pourront être traitées de façon adéquate sans un engagement des parties prenantes, des citoyens concernés en particulier. Dès lors, les modèles émergents de la participation citoyenne représentent une avenue très prometteuse.
Divers facteurs contribuent à expliquer la popularité de ce modèle: les citoyens demandent à être davantage impliqués dans la prise de décision; les gouvernements sont à la recherche de mécanismes pour rétablir la confiance des citoyens à leur endroit; et les gestionnaires dans les ministères et les établissements souhaitent améliorer l’efficacité du système ainsi que les services de santé.
Au cours des dernières années, des spécialistes de la gouvernance et de la gestion se sont intéressés à la problématique du cloisonnement entre les acteurs de la santé et ont insisté sur l’importance de favoriser le dialogue et la concertation de manière à mettre le patient au centre de leurs préoccupations (Sholom G, Mintzberg H, 2002).
Plus précisément, le processus dialogique consiste à réunir des citoyens, décideurs, gestionnaires, experts du domaine, à les informer, à écouter ce qu’ils ont à dire, à favoriser des échanges autour d’enjeux et de valeurs selon une approche de résolution de problèmes afin d’en arriver à des solutions concrètes qui obtiendront l’adhésion du plus grand nombre (J. Maxwell, RCRPP, 2002, D. Yankelovich, 2001). Ainsi, l’engagement des citoyens permet d’arriver à une prise de décision éclairée en tenant compte des valeurs et des choix de société.
Pour mener une lutte contre les inégalités sociales en santé, il importe de recourir à des stratégies multiples. À ce titre, diverses initiatives réalisées au cours des dernières années au Canada sont dignes de mention: la tenue de forums communautaires (Ontario), la conception de guides pour favoriser l’adoption d’une politique d’inclusion sociale (Nouveau-Brunswick) et la recherche sur la prestation de soins de santé à l’intention de populations vulnérables (réseaux canadiens de recherche sur les politiques publiques).
En outre, la participation citoyenne s’avère être un outil efficace pour amener les parties prenantes à discuter ouvertement des enjeux liés à l’inclusion et à la santé et à se familiariser avec des pratiques novatrices et des stratégies pour mieux répondre aux besoins des citoyens vulnérables. Bref, ce n’est plus tant au pourquoi de la participation publique qu’il faut s’attarder, mais plutôt au comment.

Deux réussites de dialogues citoyens

Nous pouvons illustrer le potentiel ainsi que des défis associés à la participation publique par une étude du cas du «Dialogue santé» mené dans la Péninsule acadienne, au nord-est du Nouveau-Brunswick. Signalons que cet exercice s’est déroulé en période de crise dans une région aux prises avec de nombreuses difficultés socio-économiques (taux de chômage élevé, exode des jeunes, niveau de scolarisation inférieur à la moyenne provinciale, etc.). Le dialogue faisait suite à la mobilisation des citoyens devant la fermeture d’un hôpital local et sa transformation en Centre de santé communautaire. Réunissant plus de cent-vingt participantes et participants (citoyens, professionnels de la santé, gestionnaires, élus, académiciens), le dialogue devait proposer une meilleure équation entre les besoins de santé des populations de la Péninsule acadienne et les services offerts. Cet exercice s’est avéré un puissant instrument d’apprentissage social (97 % des participants estiment mieux comprendre la position des autres) dans une région marquée par la compétition entre localités et où chacun a pris conscience des préoccupations et contraintes de l’autre. Il a aussi donné lieu à la formulation collective de 14 pistes de solution dont 13 ont été retenues par le gouvernement. Par ailleurs, cette expérience a révélé un certain nombre de défis relatifs à la participation citoyenne dans une perspective dialogique. Notons, en guise d’illustration, la méfiance persistante entre les participants, la difficulté de passer du débat au dialogue et les exigences de la décision par consensus qui est source de frustrations pour certains participants.
Le Centre de santé communautaire situé sur l’île de Lamèque, une localité isolée du nord du Nouveau-Brunswick, est considéré par plusieurs comme un second modèle de réussite. L’initiative d’engagement des citoyens menée dans cet établissement a donné lieu à des résultats concrets, notamment à l’émergence d’une nouvelle culture organisationnelle et à une responsabilisation des individus, des familles et des communautés. Les membres du comité communautaire se sont engagés dans une démarche d’évaluation des besoins incluant les déterminants de la santé et à la mise en œuvre de mesures concrètes. Inspirés par les principes de l’engagement citoyen, ces derniers ont mis en œuvre de nouvelles approches pour la livraison des services et programmes, laquelle inclut de poser des questions au lieu d’imposer des réponses, miser sur les forces et la volonté d’agir collectivement et enfin, assurer la participation des partenaires dès le début du processus. Sur le plan des résultats, mentionnons la popularité de certains programmes de promotion de la santé ainsi que l’adoption de nombreux protocoles permettant l’élargissement du rôle des professionnels de la santé. Aussi, l’exemple de ce centre de santé communautaire montre bien l’importance du rôle joué par les gestionnaires de l’établissement. De fait, la réussite du processus d’engagement implique que les responsables détiennent des compétences particulières telles une capacité d’écoute et de mobilisation ainsi qu’un sens de la créativité.

Une voie prometteuse

À la lecture de ces expériences, nous nous estimons autorisés à affirmer que la participation citoyenne selon une approche dialogique, si elle renferme de nombreux défis, s’impose néanmoins comme une voie prometteuse pour la formulation de politiques de santé mieux adaptées aux besoins des populations, ceux des plus vulnérables en particulier. La concertation entre les parties prenantes et l’inclusion des citoyens, même des plus démunis, est source non seulement de cohésion sociale, mais également d’engagement du plus grand nombre dans la prise en charge de la santé. En favorisant l’expression des inégalités sociales, l’approche dialogique peut représenter un outil efficace d’apprentissage social et d’innovation. Elle nécessite toutefois l’acquisition de compétences spécifiques chez les gestionnaires et décideurs, notamment une capacité d’écoute et l’exercice d’un leadership transformationnel.
Pier Bouchard , Ph. D., et Sylvain Vézina , Ph. D., Université de Moncton

Ont également contribué à cet atelier intitulé Placez les citoyennes et les citoyens au centre de vos actions ! L’engagement citoyen pour réduire les inégalités sociales de santé , présenté le 18 novembre 2008 dans le cadre de la Rencontre francophone internationale sur les inégalités sociales de santé:
Marie France Duranceau , M. Sc., Santé et citoyenneté, Institut du Nouveau Monde, Québec, Canada; Dina Chiasson , M. Sc., Régie de la santé Acadie-Bathurst, Nouveau-Brunswick, Canada; Marie Josée Roussel , Centre de santé communautaire de Lamèque, Nouveau-Brunswick, Canada; David Houéto , M.D., Ph. D., Centre de recherche pour le développement de la promotion de la santé en Afrique (CREDEPSA), Bénin; Catherine Hébert , M. Sc., Réseau de recherche en santé des populations du Québec.

Références

Maxwell J. et autres, Rapport sur le dialogue entre Canadiens sur l’avenir des soins de santé au Canada , Commission sur l’avenir des soins de santé au Canada. Réseaux canadiens de recherche en politiques publiques, Juin 2002.
Sholom G, Mintzberg H, «Gérer les soins de santé et le traitement de la maladie». Gestion, vol.17, no.3, automne 2002.
Yankelovich Daniel, The Magic of Dialogue , Transforming conflict into cooperation, First Touchstone, New York, 2001.