Mai 2007 Par C. MAILLARD Réflexions

La Région de Bruxelles-Capitale et ses trois assemblées communautaires sont inscrites dans le projet de l’Organisation mondiale de la santé des villes-santé. Grâce aux initiatives des habitants, l’objectif est d’améliorer la qualité de vie dans la ville. Le tout, avec un coup de pouce de «Bruxelles ville-région en santé», association née directement de ce projet international.
Le projet des villes-santé, qui s’étend à travers le monde, existe depuis quelque 18 ans. Les villes candidates doivent dès lors mener des projets qui présentent six caractéristiques, définies par l’OMS.
Tout d’abord, ces projets s’engagent dans le domaine de la santé globale, ce qui implique qu’ils incluent ses aspects physique, mental, social ou encore spirituel. Leur priorité doit être donnée à la prévention et à la promotion de la santé.
Deuxième caractéristique: l’impact sur les décisions politiques. Tous les projets menés dans la ville peuvent avoir un impact sur la santé au sens large, tels que la mobilité, l’environnement, le logement, l’éducation ou les services sociaux… C’est pourquoi les projets des villes-santé doivent influencer les décisions politiques en y intégrant la vision de l’impact sur la santé des habitants que ces projets peuvent avoir.
Un troisième axe important est la transversalité entre les secteurs déjà actifs, mais dans des domaines qui peuvent être très différents. Ainsi, le réaménagement d’un territoire peut intégrer des espaces de sport, par exemple.
La participation des habitants est une quatrième caractéristique essentielle: il s’agit de faire en sorte que les habitants soient acteurs dans les projets qui les concernent, mais surtout de stimuler ces acteurs à jouer ce rôle.
L’innovation est également essentielle dans ce type de démarche: il s’agit d’adapter des actions et des méthodes de travail à des situations très spécifiques, avec des publics très différents. Aussi, les projets de villes-santé doivent-ils faire preuve d’imagination…
Et, pour terminer, le sixième point essentiel des projets est d’instiller une dimension de santé publique dans les administrations, afin que les politiques menées à tout niveau intègrent cet aspect important pour la population.
Cette définition posée, il restait à lancer les projets qui intégreraient ces 6 composantes. Parmi les 1200 villes participantes, à travers plus de 30 pays dans le monde, la Région de Bruxelles participe à la quatrième phase de ce projet de l’OMS, qui a débuté en 2003 et aura cours jusqu’à fin 2008.

Une œuvre de longue haleine

La première étape a été de créer en 2001 une association par le Gouvernement de la région de Bruxelles-Capitale et les trois Commissions communautaires, l’asbl «Bruxelles Ville-Région en santé», coordonnée par Nicole Purnôde . « Le concept de l’OMS est la qualité de vie avant tout ; il ne s’agit pas de faire du curatif , mais bien d’impliquer un maximum d’acteurs pour créer cette qualité de vie dans la ville , ce qui aura des répercussions positives sur la santé . Car qu’est ce qui fait qu’on se sent bien dans sa peau ? Ce bien être dépend de plusieurs facteurs : la situation professionnelle , financière , l’accès aux activités culturelles , à l’éducation , aux systèmes de soins de santé , la sécurité , la qualité de l’air , un tissu social riche Et la ville est le lieu où tous ces aspects se mêlent », explique-t-elle.
La question que l’on pourrait se poser, sans connaître encore précisément les actions de cette association est: que peut-elle apporter de plus que ce qui existe déjà? Et là, Nicole Purnôde est claire: « A la fois un lien entre toutes les ressources existantes et la participation des habitants . L’un des axes que nous considérons comme prioritaire est d’augmenter la démocratie locale , en incitant les habitants à être non seulement responsables de leur cadre de vie , mais aussi acteurs dans les changements qui doivent s’y produire . Quant aux actions existantes , nous savons qu’elles sont nombreuses , et souvent efficaces . Mais il faut laisser la place à ces habitants dans les choix des politiques et dans les actions à mener
Ce qui ne signifie pas que ces institutions et associations qui mènent un travail considérable dans la ville sont écartées. Au contraire, elles sont appelées pour apporter des éclaircissements, des informations, des formations aux habitants, selon les cas. « Notre but est de contacter tous ces acteurs , d’abord pour leur dire que nous existons , mais aussi pour voir comment nous pourrions collaborer . Il y a un nombre extraordinaire d’organismes et d’associations qui disposent de compétences , de données qui pourraient être utilisées par les habitants dans le cadre de projets qu’ils voudraient mener pour leur quartier , mais ils ne se connaissent pas . Chacun œuvre dans son coin , avec ses propres moyens , comme un puzzle non assemblé . Nous voulons être une charnière où tous ces acteurs pourraient se rencontrer , pour permettre des politiques transversales . « Bruxelles Ville Région en santé » a mis sur pied un comité technique composé entre autres de la Société de développement régional ( SDRB ), l’Institut bruxellois pour la gestion de l’environnement , Question Santé , la STIB , des acteurs actifs dans tous les domaines de la vie en ville . Et face à une problématique rencontrée par des habitants et à laquelle ils cherchent une solution , notre but est de mettre les différents acteurs en contact , pour que les expériences et les ressources soient partagées , pour instaurer une synergie et créer une communication entre tous , menés par les habitants . Bref , nous ne sommes pas une association qui mène à bien des projets précis , mais qui active , informe , met en lien , assiste les initiatives des habitants
Il restait donc à mettre tous ces beaux principes en pratique, et des appels à projets ont été lancés. « Nous souhaitions des projets liés à l’espace public comme élément de cohésion sociale , qui émanaient des habitants , et qui impliquaient une participation locale . Nous voulions des projets qui n’étaient pas ficelés , afin de jouer pleinement notre rôle de liaison avec d’autres intervenants . Ce sont des projets qui devaient être utiles aux habitants du quartier en question .» De cette sélection, quatre projets sont sortis et ont été menés quasiment à bien à ce jour.

Neptunium (Schaerbeek)

Pour ce premier projet, il s’agissait de répondre à un appel des usagers de la piscine «Neptunium» installée à Schaerbeek, dont le sort était plus qu’incertain. En fait, seule la façade du bâtiment devait bénéficier d’une rénovation. Quant au bassin, il ne devait plus servir. Mais cette condamnation n’a pas plu à ses usagers qui se sont regroupés pour étudier comment le sauver. « Ce groupe de personnes a voulu établir un programme de développement durable pour cet équipement menacé . Elles ont donc fait appel à nous et nous avons mis en branle tous les acteurs susceptibles d’apporter une aide . C’est ainsi que les personnes impliquées dans ce programme ont reçu du Centre local de promotion de la santé et de la Mission locale de Schaerbeek une formation sur la nécessité de garder une activité dans le bassin , des experts sont venus expliquer les effets de la chloramine qui posait problème , l’IBGE a mené un audit énergétique , le Patrimoine a été contacté pour classer l’ensemble de la piscine , nous avons établi un schéma complet reprenant les compétences de chaque organisme et des aides apportées afin de mieux comprendre où il fallait s’adresser Grâce à cette mobilisation active des habitants , la piscine n’est pas fermée , mais ce n’est qu’un début : l’activité du bâtiment reste encore trop limitée , parce qu’il n’y a pas de maîtres nageurs en suffisance . Aussi , les habitants veulent aujourd’hui former des jeunes du quartier pour créer de l’emploi dans cet espace qu’ils se sont appropriés ».

Outre-Ponts (Laeken)

Dans ce quartier populaire, se côtoient des personnes de tous âges, de toutes origines, mais qui ont un point commun: une situation socio-économiquement faible dans un quartier laissé à l’abandon. A proximité, un terrain vague bordant une voie ferrée n’est pas pour améliorer le décor. Autrement dit, un cadre qui n’incite pas à la convivialité ni à l’épanouissement… Mais un groupe d’habitants a décidé de remédier à cette situation qui ne leur plaît guère. « Ils nous ont soumis un projet de potager commun , qui serait par la même occasion un lieu interculturel et intergénérationnel de rencontre des habitants . Dans le cadre d’un contrat de quartier il fallait analyser le terrain pressenti avant toute culture . La Ville de Bruxelles ( dont Laeken fait partie , ndlr ) a effectué des carottages et constaté la présence de plomb dans le sol . Pour informer sur cette présence , nous avons organisé un grand pique nique , invitant tous les habitants du quartier , pour leur expliquer les risques du plomb sur la santé , puisque ce métal lourd devait évidemment être présent également dans les terrains des habitations limitrophes Le groupe d’habitants a donc dû modifier son projet et plusieurs d’entre eux ont accepté notre invitation à se rendre à Londres , afin de s’inspirer d’une expérience qui y est menée . Ce terrain à Laeken est donc devenu un jardin pédagogique , sauvage , grâce à des acteurs qui ont été bien utiles : des stagiaires paysagistes à qui nous avons fourni des photos aériennes de la zone , et qui nous ont proposé un plan du jardin . Les habitants ont nettoyé tout le jardin et entretiennent régulièrement les plantes dont ils ont fait un relevé . Un habitant a même mené des recherches sur la raison de la présence de plomb , découvrant qu’anciennement , une usine d’encre était installée à cet endroit . Ils ont contacté des écoles où des ateliers de travail du bois étaient organisés afin de confectionner les panneaux du parc , etc . Ils ont également obtenu les subventions nécessaires à la réalisation du projet dans le contrat de quartier . Résultat : un petit coin de paradis qui est montré en exemple dans la presse ».

Esseghem (Jette)

Insécurité et insalubrité: voilà ce qui caractérisait les tours d’un quartier de cette commune bruxelloise. Ici aussi, ce sont donc les habitants qui ont décidé d’agir. Ils ont consulté la maison médicale du quartier pour lancer un projet, une association de quartier. Car la qualité de vie n’y était pas, et ils voulaient y remédier.
«La première étape a été d’organiser une réunion avec des associations participant à d’autres programmes. Lors de cette réunion, nous avons tenté de relever les problèmes qui se posaient et la perception subjective qu’en avaient les habitants, d’élaborer des indicateurs cette fois plus objectifs des problèmes rencontrés, notamment par des chiffres sur les méfaits commis dans ces quartiers, le travail réalisé par des organisations existantes dans ce périmètre… Nous avons rassemblé et confronté toutes ces informations et surtout les problèmes, séparé ce qui relevait du comportement et du matériel ou des structures, afin de déterminer sur quoi il était possible d’agir. Nous les avons aidés à réaliser une «vraie-fausse» enquête publique qui a été à la base d’un cahier des charges. Nous avons informé des personnes-ressources notamment sur la toxicomanie, supposée présente dans ce quartier: un médecin toxicologue, un policier sont venus informer des personnes relais, destinées à devenir des «courroies de transmission» vers les autres habitants, nous avons donné des informations sur la mobilité ou la propreté. Par ailleurs, une demande de financement dans le cadre de l’accord de coopération entre la Région et le Foyer jettois est en préparation et permettrait de renforcer les projets des habitants. Parmi ceux-ci, une semaine de la mobilité, une fête des voisins pour mieux se connaître, la création de cultures en boxes, sortes de mini-jardins suspendus pour les personnes âgées, les handicapés ou encore les enfants. Un dossier a été introduit à la Fondation Roi Baudouin, dont l’accessibilité a pu être expérimentée: tous n’auraient jamais envisagé de prendre contact avec une fondation qui leur semblait tellement prestigieuse…»

Quartier maritime (Molenbeek)

Ici, il s’agit du projet le moins abouti, car probablement trop récent encore, mais aussi parce que l’isolement des habitants y est particulièrement lourd. Les logements sociaux de ce quartier s’insèrent dans un tissu urbain à caractère économique, où les espaces publics existants sont laissés à l’abandon. Des habitants ont proposé un programme de revitalisation, de gestion et d’occupation. Un contrat de quartier a été adopté l’année dernière mais la démarche est plus longue. Ici aussi, une «vraie-fausse» enquête publique va être menée (elle est en gestation). Il s’agira d’abord de tisser des liens entre les habitants et les inciter à sortir de leur isolement, en leur démontrant l’intérêt de pareilles initiatives pour leur bien-être…

Comme on le voit dans ces quatre exemples, l’idée de base est de permettre aux habitants de s’approprier des projets. « Notre but est de leur donner des outils pour mener à bien leurs projets , de les diriger vers les structures qui pourront leur apporter un soutien soit logistique , soit financier , soit pratique . Mais ces habitants gardent toujours la mainmise sur les projets : ce sont eux qui les font vivre sur le terrain , nous les aidons simplement à les lancer . Lorsqu’ils auront toutes les connaissances nécessaires , ils continueront par eux mêmes , tout en sachant où s’adresser en cas de problème », conclut Nicole Purnôde.
L’association vient de lancer un nouvel appel à des projets sur la mobilité, que ce soit dans la ville, dans son corps, vers les autres. Gageons que le succès sera au rendez-vous, afin que Bruxelles soit vraiment une capitale en santé!
Carine Maillard
Pour toute information complémentaire: Bruxelles Ville-Région en Santé, Nicole Purnôde, Quai du Commerce 7, 1000 Bruxelles. Tél.: 02 219 84 44. Courriel: ville.sante@oms.irisnet.be