Juin 2001 Par S. GRIGNARD Lu pour vous

Voilà une lecture qui fait du bien!
Le bonheur est toujours possible… Construire la résilience. Avec le titre, le ton est donné: à la fois résolument optimiste et empreint de réalisme, l’ouvrage de Stefan Vanistendael et Jacques Lecomte nous plonge au cœur de la résilience.
Ces auteurs nous invitent à lutter contre notre tendance de professionnels (de la santé ou autre) à voir ce qui ne va pas, à pointer ceux qui tournent mal. Ils nous invitent à examiner le parcours de ceux qui, malgré des conditions de vie particulièrement défavorables, ‘s’en sortent’.
Le principe des recherches sur la résilience est prospectif. Il consiste à suivre à intervalles plus ou moins réguliers une population spécifique (ici, des personnes ayant traversé des conditions de vie particulièrement difficiles – maladie, abus, guerre). On s’aperçoit alors qu’une grande proportion de ces personnes parviennent à un certain état de stabilité (émotionnelle, sociale,…). On examine alors ce qui a pu favoriser cette trajectoire positive.
Rédigé dans un langage simple, accessible à tous et étoffé de multiples exemples souvent poignants, ce livre se lit presque comme un roman. Même les quelques présentations d’études et de résultats statistiques sont limpides et compréhensibles pour tout un chacun, fût-il un parfait néophyte en la matière!
La résilience y est définie d’une part comme la capacité de résister à l’adversité et d’autre part comme l’aptitude à transformer une expérience personnelle douloureuse en dynamique permettant d’ouvrir de nouveaux horizons. La résilience implique donc une capacité d’aller de l’avant. Contrairement au concept de résilience utilisé en physique (domaine auquel ce terme est emprunté), la résilience humaine ne se limite pas à une attitude de résistance; elle permet la construction, voire la reconstruction.

Une maison solide pour trouver du sens

Pour illustrer les divers aspects et les fondements de la résilience, les auteurs proposent une métaphore, celle de la casita (‘maisonnette’). Chaque partie de la casita illustre une possible voie d’action pour ceux qui souhaitent construire ou rétablir la résilience. Le livre est ainsi résolument tourné vers l’aspect pratique et s’adresse à tous ceux qui souhaitent développer la résilience chez les personnes avec lesquelles ils sont en contact.
La structure du livre s’inspire de celle de la casita :
Le sol représente les besoins physiques de base (nourriture, sommeil,…).
Les fondations de la casita sont composées des réseaux sociaux formels ou informels. La notion de base dans ces réseaux est celle d’acceptation fondamentale de la personne.
Les personnes résilientes évoquent souvent une personne qui les a reconnues et acceptées de façon inconditionnelle (les auteurs attirent l’attention sur le fait qu’accepter une personne n’équivaut pas à accepter son comportement), qui leur a donné du temps, qui les a écoutées, qui a cru en elles et en leurs potentialités, et qui a aussi reconnu et accepté leurs défauts.
Cette acceptation fondamentale peut s’enraciner dans les réseaux informels (famille, amis,…), dans des groupes d’entraide, auprès d’un thérapeute (l’ouvrage cite notamment l’influence des idées de Carl Rogers et de Claire Portelance ), auprès d’une aide familiale ou d’un éducateur de rue, …
Au rez-de-chaussée se trouve la capacité à trouver un sens, une cohérence à sa vie. ‘Le concept de sens va au-delà de la pure réflexion intellectuelle, il renvoie l’individu à une réalité qui le dépasse et l’incite à s’ouvrir aux aspects positifs de l’existence.’ La recherche de sens, lorsqu’elle aboutit et n’enlise pas l’individu dans un cercle sans issue, est donc un processus adaptatif.
Par exemple, certains enfants battus ou ayant vécu l’expérience d’un camp de concentration construiront cette cohérence sur base de la foi religieuse; d’autres, au travers du pardon qu’ils accorderont à ceux qui les ont fait souffrir; pour d’autres encore, l’important sera de comprendre le passé. D’une manière ou d’une autre, les personnes résilientes se construisent une philosophie de la vie qui les pousse en avant.
Le rez-de-chaussée est aussi le niveau des projets concrets: le sens peut se manifester au travers de l’action, un projet à mettre en œuvre, un objectif à réaliser. La résilience peut passer par l’engagement auprès de l’humanité souffrante, l’investissement dans un projet collectif ou la responsabilité d’une plante, d’un animal, d’un petit frère, …
On trouve au premier étage trois pièces principales:
– l’estime de soi, qui dépend à la fois de la qualité des relations affectives entre l’enfant et ses parents (ou ses substituts parentaux) et des propres réalisations de l’enfant;
– les compétences humaines, sociales et professionnelles, parfois profondément enfouies et qui ne pourront s’exercer que si l’individu a un minimum de sentiment de contrôle, de maîtrise sur son environnement ( =locus of control) ; )
– les stratégies d’ajustement ( =coping) sont les processus mentaux que nous utilisons pour vivre dans ce monde imparfait. Les auteurs consacrent un chapitre entier à ce concept, en exposent quelques éléments théoriques et en explorent ensuite plus en détails cinq types de stratégies: l’humour (l’humour de tous les jours, l’humour en thérapie), le déni et l’évitement (qui ne sont des stratégies efficaces que s’ils ne sont pas prolongés dans le temps), la minimisation (relativisation de la situation personnelle par comparaison à celle des autres), le contrôle des affects (qui, poussé à l’extrême, peut être un facteur d’isolement et d’endurcissement) et la rêverie diurne (qui prend souvent chez l’enfant la forme du jeu).

Aide-toi…

Développer la résilience, c’est agir à l’un ou l’autre niveau de la casita , c’est ‘aider la personne à s’aider elle-même’… n’est-ce pas là aussi un des principes de base de l’éducation pour la santé? Alors que le cœur de l’ouvrage évoque des situations particulièrement dramatiques, le dernier chapitre trace quelques pistes pour une application de ces réflexions dans la vie de tous les jours, face à des situations plus courantes.
Ces ‘nouvelles pratiques’ sont guidées par le regard non pathologique que les auteurs nous invitent à poser sur les individus et sont donc applicables à tout processus éducatif.
L’ouvrage introduit ainsi à différents domaines susceptibles d’être travaillés, par exemple, dans les projets d’éducation pour la santé. A chacun de puiser et d’approfondir les éléments les plus accessibles et les plus adaptés à sa pratique quotidienne.

Pour approfondir cette réflexion méthodologique, prendre un peu de recul et dépasser l’enthousiasme suscité par le livre, on pourra conseiller d’autres lectures. Ainsi par exemple les actes du Séminaire international sur les indicateurs de santé chez les adolescents , organisé à Paris en novembre 1996, est un bon départ pour se documenter.
La communication de Monique Bolognini est consacrée au concept de coping et présente quelques typologies et instruments d’évaluation de l’ajustement, de même qu’une étude sur les stratégies d’ajustement utilisées par les adolescents dans les situations de la vie courante.
Le rapport du groupe de travail coordonné par Pierre-André Michaud se penche sur la pertinence de l’utilisation de la notion de résilience dans la conception et l’analyse des résultats des études sur les adolescents. Ce texte apporte des éléments critiques et nuancés de définition du concept de résilience et attire l’attention sur un certain nombre de risques (éthiques et méthodologiques) liés à son utilisation. Ces deux extraits fournissent également un grand nombre de références pour qui souhaite aller plus loin.
En tenant compte de ces quelques bémols, vous qui, face à votre ‘public cible’, êtes découragé, fatigué, envahi par un pernicieux sentiment de ‘à quoi bon?’, … ce livre est fait pour vous!
Sophie Grignard , APES-ULg
VANISTENDAEL S., LECOMTE J. Le bonheur est toujours possible – Construire la résilience. Paris, Bayard, 2000, 223 pages. (1) Dressen C, Chan Chee C, Lamarre MC, éds. Séminaire international sur les indicateurs de santé chez les adolescents. Vanves:Comité français d’éducation pour la santé, 1996. 115 p.