Décembre 2008 Par L. THIRY Initiatives

Faut-il penser que tout a été essayé contre le sida? Qu’il faut s’incliner devant les échecs? Et se reposer sur nos lauriers, là où nous enregistrons des succès? Voyons quelques exemples de ces deux cas.

Le traitement

Les chercheurs sont talonnés par la nécessité de trouver toujours de nouveaux médicaments contre le virus devenu résistant aux traitements précédents, et témoignent de beaucoup d’imagination. Evoquons seulement une récente tentative. Les médicaments employés jusqu’ici diminuent la réplication du VIH lorsqu’il est déjà entré dans la cellule, et on réussit à réduire cette multiplication de façon très importante. Mais dès sa pénétration dans la cellule, le VIH est allé intégrer ses gènes dans un chromosome de la cellule hôte, le lymphocyte. Celui-ci désormais va transmettre le génome viral à ses cellules filles, et ceci à l’abri des médicaments.
Les traitements actuels s’adressent donc à un fait accompli, un virus déjà installé. Une nouvelle offensive médicale essaiera de prendre l’infection virale à sa source, en empêchant le VIH d’entrer dans les lymphocytes. Pour cela on essaie des molécules qui vont se lier à la membrane cellulaire, juste à la «porte» qu’emploie le virus pour entrer, porte que l’on appelle récepteur . Le plus fréquent est le CCR5, en Europe, et le CXR4, en Afrique.
Mais à quoi sert donc le récepteur au VIH, dans la vie de tous les jours? Il n’a pas été «créé» chez l’homme pour accueillir, un jour, tel virus particulier. Il doit avoir une fonction et l’on pourrait donc craindre que le recouvrir d’un médicament ait des effets néfastes sur notre organisme. Pourtant, les premiers essais cliniques de drogues se liant au CCR5 n’ont pas entraîné d’effet toxique. Il est vrai qu’aux doses employées, le médicament ne supprime pas totalement l’infection virale. Si les molécules touchent un lymphocyte sur dix, cela peut déjà réduire l’entrée virale de manière importante, tandis que 90% de ces lymphocytes peuvent continuer à faire leur boulot.

Le VIH, de la mère à l’enfant

Aujourd’hui que le pronostic du sida est meilleur, bien des femmes atteintes expriment avec détermination leur désir de grossesse. Mais le virus persiste en elles. Pour diminuer les risques de contamination du bébé, une première mesure visa à diminuer le temps écoulé entre la rupture de la poche des eaux et la naissance. Car c’est au cours du passage dans le vagin que le nouveau-né se sera infecté. Certes, la césarienne se présentait comme la solution de choix, dans les circonstances où cela était possible, mais une césarienne classique comportait un contact important du nouveau-né avec le sang de la mère infectée. Ceci incita à mettre au point une technique, appelée «césarienne exsangue», qui minimise le saignement.
Ce comportement médical est applicable seulement dans des situations privilégiées. Il est plus aisé de généraliser des médicaments chez la future mère et chez l’enfant.
Après l’accouchement, le traitement est interrompu chez la mère, sauf indication clinique. Il reste pourtant le risque que le lait maternel, riche en virus, contamine l’enfant. Le bébé peut parfois boire le lait de sa mère infectée sans se contaminer. Et puis, tardivement, lors d’allaitements prolongés, le bébé de 9 à 10 mois s’infecte. Il semble que la teneur du lait en virus augmente avec le temps. Aussi, pour les pays pauvres, divers schémas ont-ils été successivement proposés:
– une dose unique de médicament chez l’enfant à la naissance, puis allaitement libre, avec pour conséquence 11% de bébés contaminés par le VIH;
– puis, traitement de l’enfant jusqu’à l’âge de 14 semaines et allaitement libre: 5% d’enfants contaminés;
– c’était encore trop! Devant cet «entêtement» du lait maternel à contaminer, on reporta l’allaitement jusqu’au 3e mois;
– mais aujourd’hui, jugeant ce schéma encore imparfait, on étend l’allaitement complet jusqu’à 6 mois, suivi d’une diminution progressive du lait maternel avec compensation par aliments «propres» dilués dans de l’eau bouillie.
Est-il besoin de dire que, dans les pays favorisés, on déconseille radicalement l’allaitement par la mère contaminée? Il faut compenser ceci par une propagande auprès des jeunes mères saines, pour le don de leur lait s’il est en excédent.

La protection intra-vaginale

L’application dans le vagin, avant le rapport sexuel, d’une crème contenant un produit microbicide, vise à protéger la femme contre la contamination par le sperme. En outre, si c’est la femme qui est infectée par le VIH, la molécule anti VIH présente dans le vagin protégera l’homme contre l’infection.
Au fil des années d’essais, ce beau rêve paraît s’évaporer en fumée. Il faut bien se rendre à l’évidence: les molécules qui inactivent le VIH, au laboratoire, dans un tube à essai, ont un faible effet dans le milieu vaginal. En outre, les souches virales empruntant le récepteur CCR5 se sont révélées moins sensibles aux microbicides que celles utilisant le CCR4. Or, c’est par le CCR5 que le VIH pénètre au travers de la muqueuse vaginale… Pire: certains de ces produits se révélèrent irritants pour cette muqueuse, augmentant ainsi les risques de contamination.
Malgré les résultats peu encourageants, des femmes ont employé régulièrement un microbicide intra-vaginal, et, pour faire face à toute éventualité, recouraient à une application tous les matins «au cas où». Mais, si l’occasion se présentait l’après-midi, l’action faible du microbicide se trouvait diluée avec le temps. Tenaces, certaines femmes expérimentent maintenant l’application d’un anneau imprégné du microbicide et qui le diffuse progressivement.
Devant les progrès du traitement de l’infection sidéenne, le projet s’installe de préparer des onguents intra-vaginaux qui contiennent, non plus un produit chimique peu spécifique, mais bien l’un des médicaments anti VIH qui se montrent si efficaces pour traiter les malades. Les premiers essais ont été effectués chez des couples de singes, dont le mâle, infecté, produisait beaucoup de virus. La femelle macaque était traitée par voie vaginale avant de rencontrer son partenaire.
A ce stade des recherches, on peut déjà émettre une mise en garde. Les sujets infectés et déjà traités, peuvent porter du VIH résistant. Le sperme de l’homme peut alors envoyer du virus résistant dans le vagin et, narguant le médicament de l’onguent, envoyer directement du virus résistant à la femme. Si c’est elle qui est infectée, et déjà porteuse de virus résistants, elle laisserait passer ceux-ci vers le sperme.

Le vaccin

On peut comprendre que la personne infectée par le VIH se défende mal contre l’infection – puisque ce virus investit justement les lymphocytes CD 4, qui jouent un rôle clef dans nos défenses.
Mais vacciner un sujet sain, pourquoi est-ce si difficile? On en est arrivé, aujourd’hui, après tant d’échecs, à miser sur les médicaments pour freiner l’épidémie. En effet, chez les sujets traités, la quantité de virus a beaucoup diminué, dans le sang, dans le sperme et dans le vagin. En outre, quand des mutants résistants aux médicaments se développent, ils sont faibles, moins contagieux…

La circoncision

Cette coutume d’hygiène est vieille comme le monde, et limite le transfert des infections par relation sexuelle. Elle expliquerait pourquoi le Maghreb est peu envahi par l’épidémie de sida, de même que certains pays musulmans d’Afrique subsaharienne, et Israël. Une protection particulière à l’égard du sida serait due au fait que les cellules de Langerhans, présentes dans la muqueuse du prépuce, multiplient le VIH. Trois essais cliniques, en Afrique, ont concerné des hommes «volages» aux relations multiples, sans préservatif. Chez eux, on pratiqua la circoncision dans la moitié des cas. On pouvait craindre que le groupe des circoncis, potentiellement protégés, s’en donne à cœur joie dans les comportements à risque, tandis que l’autre groupe témoin, auquel il était difficile de cacher que leur prépuce était intact, auraient pris plus de précautions. Malgré ce biais potentiel, en défaveur d’un effet bénéfique de la circoncision, l’influence protectrice de la circoncision se révéla flagrante: au cours des quelques années suivant l’intervention, les infections par VIH furent deux à trois fois moindres dans le groupe des circoncis. Une diminution qui peut freiner l’épidémie.
La circoncision ne supprime pas totalement le risque d’infection par VIH et ne dispense donc pas d’utiliser le préservatif. Mais elle serait un allié efficace contre la propagation de l’épidémie.

Ne pas oublier la ‘bonne vieille’ prévention

Neuf personnalités mondiales, interrogées sur les priorités actuelles dans la lutte contre le sida, ont répondu par un ou plusieurs souhaits:
– vient encore en tête, prolonger la recherche de nouveaux médicaments;
– puis, ex aequo, viser à modifier des comportements de la société et organiser des campagnes de circoncision;
– enfin, également ex aequo, et malgré les échecs cuisants, s’entêter dans les recherches sur des produits antiviraux en application intra-vaginale, et sur des vaccins.
On peut regretter que, parmi ces efforts médicaux têtus et inventifs, le comportement des amoureux se trouve enfoui, comme une simple approche parmi d’autres. Sur ce point, le thème habituel insiste sur la précaution que chacun doit prendre pour se protéger contre le risque apporté par l’autre. Et l’on ose à peine demander l’inverse: veiller à ne pas contaminer son prochain.

Solidarité et exclusion

Traditionnellement, la Journée mondiale de lutte contre le sida du 1er décembre est l’occasion de mettre la maladie à l’avant-plan en axant les messages sur la solidarité avec les malades et la lutte contre l’exclusion dont ils peuvent être victimes, ici comme ailleurs. Cette année ne faillit pas à la règle, puisque la Plate-forme prévention sida reprend la campagne de l’an dernier, qui faisait appel à des personnalités francophones connues pour porter le message.
Vous vous souvenez peut-être que les spots TV mettaient en scène deux chanteurs, Maurane et Jeff Bodart. On comprendra aisément que seul le spot ‘Maurane’ (qui était à notre avis le meilleur des deux) passera cette année…
Plate-forme prévention sida, rue Jourdan 151, 1060 Bruxelles. Tél.: 02 733 72 99. Fax: 02 646 89 68. Courriel: info@preventionsida.org. Internet: http://www.preventionsida.org .

Prenons un exemple concret: dans certains pays d’Afrique, il est d’usage pour une jeune d’entamer une relation avec un protecteur aîné. C’est, du point de vue de l’épidémiologiste, l’une des pires pratiques: dans de telles relations, l’adolescente va chercher le virus chez cet aîné et le ramène dans sa tranche d’âge, lorsqu’elle tombe amoureuse d’un copain. Dans ces pays, les campagnes «Aimez donc les jeunes gens de votre âge», où le garçon était très attirant, auraient eu une influence positive. Mais pourquoi ne pas responsabiliser aussi le partenaire âgé qui apporte le risque? Chez nous, ne pourrait-on s’adresser au partenaire volage pour qu’il assume ses responsabilités? Dans l’attitude envers le sida, il n’y a pas que la peur de l’autre mais aussi la peur de contaminer l’autre. Une façon de faire converger les deux serait de mieux lier connaissance avant la relation sexuelle. Le slogan « Le sida , parlons en » est source de si jolies images…
Lise Thiry

Offrir un accès universel au traitement

A la XVIIe Conférence internationale sur le sida à Mexico, au mois d’août dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a lancé une publication sur les interventions prioritaires visant à aider les pays à revenu faible ou intermédiaire à se rapprocher de l’accès universel à la prévention, au traitement, aux soins et au soutien concernant le VIH/sida.
Les Interventions prioritaires liées au VIH/sida dans le secteur de la santé : prévention , traitement et soins regroupent les interventions prioritaires recommandées par l’OMS pour le secteur de la santé. Les informations fournies vont de la procédure à suivre pour élargir les programmes de préservatifs, aux dernières recommandations, normes et directives thérapeutiques. La publication doit constituer un document «évolutif» qui sera mis à jour périodiquement avec l’adjonction de nouvelles recommandations fondées sur l’expérience toujours plus riche du secteur de la santé en matière d’interventions.
Comme l’a souligné le Dr Kevin M. De Cock , Directeur du Département VIH/sida à l’OMS, « Ce document répond à un besoin que les pays éprouvent depuis longtemps . Les meilleures recommandations de l’OMS sur les mesures mondiales à prendre par le secteur de la santé se retrouvent ainsi regroupées au même endroit
L’OMS a réuni l’ensemble afin de promouvoir l’utilisation la plus efficace des recommandations existantes spécifiquement destinées à des situations où les ressources sont limitées. D’après les auteurs, les pays pourront ainsi tenir d’ici 2010 l’engagement qu’ils ont pris il y a deux ans à la réunion de l’Assemblée générale des Nations Unies sur le sida concernant l’accès universel à la prévention, au traitement, aux soins et au soutien.
Les Interventions prioritaires visent à:
-décrire les interventions prioritaires du secteur de la santé concernant le VIH/sida qui sont nécessaires pour assurer l’accès universel à la prévention, au traitement et aux soins;
-guider la sélection des interventions pour la prévention, le traitement et les soins et faciliter l’établissement d’un ordre de priorités;
-orienter les lecteurs vers des ressources et des références de l’OMS contenant les meilleures informations disponibles sur l’action du secteur de la santé face au VIH/sida.
L’extension du traitement contre le VIH dans les pays les plus pauvres de la planète renforce sensiblement le secteur de la santé de différentes manières, par exemple par la mise en place et l’extension de l’infrastructure, notamment des laboratoires et des centres de soins, un meilleur personnel de santé, des systèmes d’achat et de gestion des stocks plus efficaces et un financement durable.
L’OMS lance dans un premier temps le document sur cédérom, mais il sera disponible dans plusieurs formats, notamment sur support imprimé et sur internet. L’intention est de permettre aux partenaires d’échanger entre eux leurs informations et de faire profiter le secteur de la santé de leur expérience face au VIH/sida.
Pour plus de renseignements, consulter le site du Département VIH/sida de l’OMS à l’adresse http://www.who.int/hiv .
Communiqué de presse OMS/25, 5 août 2008