Janvier 2017 Par Julie LUONG Initiatives

À boire !

En Belgique, trois écoliers sur quatre ne s’hydratent pas suffisamment: tel est le constat du Dr Nathalie Michels, chercheuse au Département de santé publique de l’Université de Gand.

Aisément évitable, la déshydratation est à l’origine de nombreux désagréments auxquels on ne la relie pas toujours. Cause de fatigue et de troubles de l’attention, elle favorise également certaines maladies chroniques comme les infections urinaires.

Comme l’ont déjà souligné de nombreuses études, la déshydratation touche prioritairement les enfants. Au Royaume-Uni, il a été montré que 44% des 7-10 ans étaient insuffisamment hydratés. À l’échelle européenne, les chercheurs estiment que 35% des adolescents, 14% des 9-13 ans et 7% des 2-9 ans sont fréquemment en état de déshydratation.

Comment expliquer la prégnance de ce problème chez les plus jeunes? D’abord par des raisons ‘mathématiques’: la surface de leur corps – et donc l’espace de transpiration disponible – par rapport à leur poids est proportionnellement plus élevée que celle des adultes. Par ailleurs, les enfants sont relativement dépendants des parents et des professeurs pour accéder aux boissons, ce qui peut retarder l’apport en liquide. Enfin, les enfants ont une perception différente de la soif… et souvent un goût modéré pour l’eau minérale.

Avec son équipe, le Dr Nathalie Michels s’est penchée plus spécifiquement sur le niveau d’hydratation des enfants au cours des journées scolaires. «Non seulement les enfants passent beaucoup de temps à l’école mais celle-ci peut aussi jouer un rôle de modèle», explique la chercheuse. Au programme scolaire, la thématique de l’eau devrait en effet permettre de sensibiliser les enfants à la nécessité de boire régulièrement et suffisamment. Mais d’un autre côté, la nécessité de demander la permission d’aller aux toilettes tout comme le caractère peu accueillant, voire insalubre, des sanitaires peuvent paradoxalement encourager les enfants à boire moins qu’ils n’y seraient enclins. Déshydratés à l’école, ils le seraient aussi ‘à cause’ de l’école.

Déshydratés du matin au soir

Menée dans les écoles primaires de huit communes de la province de Hainaut (Ath, Beloeil Basècles, Ellezelles, Lessines, Leuze-en-Hainaut, Maffle, Tournai et Tubize) – avec le soutien du Service de Promotion de la Santé à l’École ‘Hainaut-Picardie’ – ainsi que dans neuf communes de la province de Flandre orientale, l’étude a porté sur 400 enfants âgés de 9 à 13 ans.

Le niveau d’hydratation des écoliers a été évalué à partir de deux échantillons journaliers d’urine (l’un recueilli au début de la journée scolaire et l’autre en cours de journée). La mesure de l’osmolalité – qui correspond au nombre de molécules dissoutes dans un kilogramme de fluide – a fourni des données très précises, sachant qu’un degré élevé d’osmolalité signale une déshydratation. En début de journée, une osmolalité moyenne de 888 mosmol/kg a été mesurée tandis que ce chiffre passait à 767 mosmol/kg en journée. Il est ainsi apparu que 75% des élèves étaient déjà déshydratés en arrivant à l’école tandis que 53% le restaient au cours de la journée. La bio-impédance, qui mesure la résistance des tissus biologiques par l’envoi d’un courant électrique de faible intensité, a pour sa part fourni des indications sur le taux d’eau dans le corps.

Couplés à la fréquence des passages aux toilettes, ces deux marqueurs biologiques ont permis d’objectiver le taux de déshydratation des enfants. D’autres données relatives à l’alimentation et aux boissons consommées ont également été recueillies. Conclusion: l’apport moyen de liquide par jour de semaine est de 911 ml, alors que les recommandations formulées par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments) préconisent des apports en eau (via les boissons mais aussi les aliments) de 2100 ml/jour pour les garçons de 9 à 13 ans et de 1900 ml pour les filles du même âge. Dans la population étudiée par le Dr Michels, seuls 11,7% des enfants suivaient effectivement ces recommandations.

L’hydratation s’est révélée globalement supérieure chez les filles, en Flandre et chez les enfants présentant un poids sain. Du reste, un haut niveau d’éducation des parents semble associé à une consommation d’eau plus importante et à une consommation plus faible de sodas.

Autant de corrélations qui laissent penser que l’éducation à ‘bien boire’ pourrait jouer un rôle central dans la prévention de la déshydratation. Mais il est aussi à noter qu’une alimentation ‘saine’ est souvent plus riche en liquides (fruits, légumes, etc.), ce qui pourrait expliquer l’association entre surpoids et déshydratation. À l’inverse, on peut penser qu’une hydratation insuffisante pourrait contribuer à encourager la consommation de certains aliments ‘peu sains’ pour contrer les effets indésirables précités, comme la baisse de l’attention ou le ‘coup de pompe’.

La faute aux sanitaires?

L’étude révèle surtout qu’au-delà du manque d’information et des mauvaises habitudes, la déshydratation serait assez directement corrélée au milieu scolaire. En effet, les données recueillies révèlent que les enfants vont beaucoup plus fréquemment aux toilettes durant les week-ends qu’en semaine. Alors qu’en semaine, 17% des enfants vont moins de quatre fois par jour aux toilettes, ils ne sont plus que 9% dans ce cas durant les week-ends. Il est donc probable que les écoliers adoptent en réalité une attitude d’évitement: boire moins pour moins aller aux toilettes.

«L’hydratation des enfants est meilleure quand de l’eau est disponible pendant les cours de sport, la récréation ou la pause repas. Elle est aussi meilleure quand le sujet de l’hydratation fait l’objet d’un cours et quand les enfants sont autorisés à boire en classe. Par ailleurs, les passages aux toilettes sont plus fréquents quand le sujet est abordé en classe, qu’il existe un règlement officiel concernant les visites aux toilettes et que les toilettes sont agréables (propreté, papier à disposition, verrous sur les portes…)», conclut le Dr Michels.

Pour la chercheuse, il serait donc urgent d’attirer l’attention des pouvoirs publics et des directions – spécifiquement en Wallonie, qui engrange de moins bons résultats – sur la nécessité d’encourager les élèves à boire suffisamment, tout en mettant de l’eau à leur disposition (fontaines à eau, robinets, gobelets…) mais aussi… des toilettes propres.

Référence: Nathalie Michels, Karen Van den Bussche, Johan Vande Walle & Stefaan De Henauw, ‘Belgian primary school children’s hydration status at school and its personal determinants’, Eur J Nutr, DOI 10.1007/s00394-015-1126-4.