Septembre 2002 Par P. MEREMANS P. GERONNEZ et al. Alain DECCACHE Réflexions

Introduction

Le présent article décrit l’origine, les résultats ainsi que les pistes d’actions émanant d’une enquête menée auprès des élèves du secondaire supérieur de sept établissements scolaires de sections technique et professionnelle de la ville de Namur sur le thème: «Les jeunes, le bien-être et les drogues».
Cette enquête, commanditée par la Coordination Sida & Assuétudes à l’unité RESO de l’Université catholique de Louvain, s’est inscrite dans le cadre des contrats de sécurité (circulaire Vande Lanotte/Onkelinx), et dans un processus plus vaste d’une recherche-action initiée par la Coordination Sida & Assuétudes de la province de Namur dès 1998, visant à favoriser la formation d’intervenants-relais au sein des écoles et le développement d’actions de promotion de la santé et de réduction des risques à l’attention des jeunes.
Les réunions inter-écoles de formation et d’échange d’expériences, ainsi que l’analyse des initiatives de prévention initiées ou développées dans ces écoles ont mis en évidence plusieurs caractéristiques liées à la problématique des « drogues » parmi les jeunes:
– difficulté de se représenter l’importance réelle de la consommation de différents produits parmi les élèves;
– difficulté de concevoir une prévention des drogues indépendante de la promotion de la santé dans ses aspects plus globaux (bien-être, confiance dans l’avenir, facilités de dialogue avec les adultes, volonté de changements à différents niveaux);
-sentiment que le contexte scolaire et culturel est très incitant à une normalité de la consommation de produits de toutes sortes.
En 1998, on observait par ailleurs une hausse apparente de la prévalence de consommation de cannabis parmi les jeunes 1. Le projet intervenait en outre dans un contexte de dépénalisation potentielle du cannabis, d’où n’émergeait pas suffisamment le maintien de l’interdiction de toute consommation pour les mineurs d’âge.
Au terme d’une première année de formation, et dans ces contextes, les directions et relais des écoles participantes ont dès lors décidé d’organiser une enquête par questionnaire consacrée aux perceptions du phénomène des drogues et des facteurs liés au bien-être parmi leurs élèves du secondaire supérieur. Le choix du questionnaire procédait du souci de s’adresser à l’ensemble des élèves. Le but de l’enquête était d’aider les établissements, sur la base des résultats, à mieux saisir la réalité perçue par les élèves, afin de développer avec eux des actions mieux ciblées, spécifiques à chaque établissement et/ou plus générales, sur base de résultats identiques pour tous. Le processus de restitution des résultats aux écoles a été prévu sous la forme d’un rapport spécifique à chaque établissement associé à un rapport global.
Le questionnaire a été construit progressivement, par les intervenants-relais, les agents PMS et, pour quatre écoles, avec les élèves et/ou leurs délégués. L’enquête s’est déroulée au cours des mois de janvier et février de l’année 2001. La participation des élèves était libre.

Principaux résultats

Sur l’ensemble des questionnaires remis, 1716 ont été retournés remplis. Les résultats concernent 75.6% de garçons et 24.4% de filles. La moyenne d’âge de l’ensemble est de 17.9 ans. Cette moyenne est très légèrement inférieure chez les filles.

Un intérêt pour la question des drogues?

Sur le plan de l’intérêt des élèves pour la question des drogues, 72.5% des élèves se déclarent un peu ou très intéressés. La proportion des élèves qui se disent non-intéressés par cette question varie de 16.6% à 30.8% selon les écoles.
L’enquête interrogeait aussi le sentiment des jeunes quant à la nécessité de « faire quelque chose » contre l’usage des drogues parmi les jeunes. Parmi les filles, 66.7% répondent par l’affirmative, pour 50.2% des garçons (p<0.01).

Une forte perception de l’incitation à consommer

Sur le plan de la perception par les jeunes d’une éventuelle incitation à consommer un produit, les résultats vont dans le sens d’une perception très importante, touchant aussi bien les filles que les garçons, les élèves de tous âges et de toutes les écoles.
Seuls 9.9% des élèves répondent que cette incitation à consommer ne se produit jamais.
Les principaux incitants perçus par les élèves interrogés sont les jeunes eux-mêmes, bien plus que toutes les autres catégories d’incitants potentiels proposés dans l’enquête (magazines, chanteurs, adultes en général). L’incitation par les jeunes eux-mêmes est perçue comme « très fréquente » pour 70.1% des filles et 57.9% des garçons (p<0.01).

Une perception très élevée de la consommation parmi les jeunes

A la question «Selon toi, combien de jeunes de ton âge (sur 10) consomment un ou plusieurs de ces produits?», les réponses (moyennes) sont les suivantes:

Produit

Filles Garçon Total
Tabac 8 7,3 7,5
Bière/Vin 7,9 7,8 7,8
Haschich 5,9 5,3 5,4
Tranquillisants 4,1 2,8 3,1
Somnifères 3,1 2,1 2,4
Autres 4,8 3,8 4,1

Sur le plan de l’importance perçue de la consommation de différents produits, l’enquête décrit une sur-représentation, parmi les élèves, de cette consommation dans ce public.
Pour l’ensemble des produits (excepté la bière et le vin), le nombre de consommateurs perçus est plus élevé parmi les filles.

Un bien-être menacé par la peur de l’avenir et par un dialogue difficile avec les adultes

Diverses questions interrogeaient les niveaux perçus du bien-être parmi les jeunes, ainsi que le niveau perçu des connaissances en matière de drogues.
Le niveau d’accord avec la proposition « en général , les jeunes de mon âge se sentent bien dans leur peau » est de 54.1% chez les garçons et 38.2% seulement chez les filles (p<0.01).
Les résultats pour la proposition « les jeunes de mon âge ont confiance dans l’avenir » sont plus négatifs encore (seulement 23.8% des filles sont d’accord avec cette proposition, pour 37.3% des garçons, p<0.01).
Pour la proposition « les jeunes de mon âge parlent facilement avec les adultes », moins d’un(e) élève sur deux se dit d’accord avec cette proposition, le désaccord étant cette fois plus marqué parmi les plus jeunes (63.5% de désaccords chez les 15-16 ans, 45.3% de désaccords chez les 21 ans et plus).
Sur le plan du bien-être dans l’école, la moitié des élèves, tant les filles que les garçons, sont d’accord avec la proposition « les jeunes de mon âge se sentent bien dans l’école ». Le niveau d’accord augmente significativement avec l’âge (40% d’accords à 15 ans, 55.8% à 21 ans, p=0.03).
Sur un plan davantage lié à la question des drogues, on notera que deux tiers des élèves (filles et garçons, et de tous âges) estiment que les jeunes sont correctement informés en la matière.

La nécessité de changer des choses

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L’enquête proposait enfin diverses entités (société en général, école, famille, quartiers, jeunes entre eux) pour lesquelles un changement était plus ou moins souhaité par les élèves.
Les changements à apporter selon les jeunes concernent surtout les quartiers et la société en général. Les changements souhaités sont moins nettement formulés pour l’école, les familles et les jeunes entre eux. Le cas de l’école suggère qu’elle peut être parfois perçue comme un garde-fou face à l’entrée dans la vie adulte.

Les développements de l’enquête

Les résultats ont été communiqués aux établissements participants sous les deux formes prévues (rapport spécifique, présentation de ces résultats dans une école, et présentation générale des résultats globaux).
A partir des conclusions de l’enquête communes à tous les établissements (expressions d’un mal-être parfois profond parmi les jeunes, perception élevée des consommations de produits chez les pairs, perception très marquée d’une incitation de la part des pairs, volonté de changement orientées vers les quartiers, l’école étant parfois considérée dans un rôle protecteur), des réflexions et questions complémentaires ont été recueillies lors de réunions rassemblant l’ensemble des acteurs, à l’exception des élèves.
Ces réflexions et questions ont été les suivantes:
– la perception excessive par les jeunes de la consommation de produits dans ce public serait également présente parmi les enseignants et éducateurs de l’école;
– les résultats plus négatifs parmi les filles confirmeraient un phénomène observé par d’autres études, à savoir une perception de vie plus difficile que parmi les garçons;
– il est étonnant de découvrir que les incitants potentiels identifiés sont les jeunes et non les adultes;
– les jeunes qui ont un projet personnel (y compris professionnel par leurs études) exprimeraient des perceptions moins pessimistes et/ou moins dramatiques du bien-être, mais aussi de la consommation et de l’incitation à consommer parmi leurs pairs;
– la question de la consommation problématique parmi des jeunes ne se limite pas au simple apprentissage des produits et de leurs effets;
– il ne faut pas non plus simplifier le lien causal « mal-être = consommation »;
– l’enquête ne présente que des tendances de perceptions, et non des mesures précises de comportements, ce qui rendrait difficile l’exploitation concrète des résultats, notamment pour la question des quartiers;
– la difficulté de dialogue avec les adultes, exprimée par les jeunes de l’enquête, correspondrait à une difficulté perçue de la part des enseignants face à certains parents.

Pistes et conclusions

Les pistes potentielles proposées à la suite de ces réunions ont été les suivantes:
– utiliser ces résultats comme tableau de bord pour objectiver des problématiques internes dans l’école;
– diffuser les résultats de l’enquête au-delà du système scolaire (Communauté française, Province, Ville de Namur);
– faire connaître l’ensemble de la démarche réunissant des établissements scolaires et des centres PMS des deux réseaux (libre et officiel);
– susciter le développement d’actions préventives axées sur le bien-être dans l’école. La préoccupation première de la prévention primaire doit être le bien-être avant la question spécifique des drogues;
– encourager les activités que les jeunes organisent spontanément dans l’école;
– favoriser la confiance en soi des jeunes par une volonté de (re)valoriser leurs compétences.
Concrètement, les participants à ces réunions ont décidé d’organiser une conférence de presse axée sur les résultats de l’enquête et ses développements. Cette conférence de presse, à laquelle participeraient des jeunes, devra permettre de faire connaître les résultats de l’enquête en étant attentifs à ne pas stigmatiser certains résultats relatifs, notamment, au type d’enseignement (technique et professionnel), ou encore à l’origine culturelle.
Meremans P. et Deccache A ., Unité RESO de l’UCL, Geronnez P. et Vassart M ., Coordination Sida & Assuétudes de la Province de Namur.
Adresses des auteurs:
RESO UCL, Av. Mounier 50, 1200 Bruxelles
Coordination Sida & Assuétudes, rue Château des Balances 3/13, 5000 Namur

(1) PIETTE, D., PREVOST, M., BOUTSEN, M., de SMET, P., LEVEQUE, A., BARETTE, M., Vers la santé des jeunes en l’an 2000 ? Une étude des comportements et modes de vie des adolescents de la Communauté française de Belgique de 1986 à 1994, PROMES, 1997, p. 25.