Août 2004 Par B. ESCOYEZ P. MAIRIAUX Initiatives

Introduction

En Belgique, le cancer du sein est le cancer le plus fréquent et la première cause de mortalité parmi les femmes de 45 à 64 ans. Le cancer du col de l’utérus est le quatrième en incidence dans la population féminine ( 1 , 2 ). Les recommandations pour le dépistage de ces deux types de cancers font l’objet d’un consensus européen ( 3 , 4 ):
– une mammographie bisannuelle de dépistage chez les femmes de 50 à 69 ans pourrait réduire la mortalité liée au cancer du sein de 30 à 50 %;
– un frottis cervicovaginal tous les trois ans chez les femmes de 20 à 60 ans préviendrait 90% des cancers du col utérin à condition qu’il soit réalisé chez toutes les femmes et qu’un suivi adéquat des lésions détectées soit proposé.
En comparaison avec ces recommandations européennes, la situation actuelle est loin d’être satisfaisante. Que ce soit en France (5) ou en Belgique (6), de nombreuses études ont montré que 70% seulement des femmes ont réalisé un frottis au cours des trois dernières années. Cette proportion semble cependant surestimée en raison du nombre de femmes qui subissent ce test à un intervalle plus court. En effet, une étude réalisée auprès de la population belge néerlandophone a montré qu’une proportion de la population féminine avait subi un frottis trop fréquemment, cependant qu’une autre fraction de cette population était «sous-dépistée» ( 7 ). Dans la population belge francophone, on estime que 40% des femmes n’ont jamais eu de frottis du col ( 8 ).
La situation est encore plus inquiétante en ce qui concerne le cancer du sein: seules 40 à 50% des femmes de 50 à 69 ans ont subi une mammographie au cours des deux dernières années en Communauté française de Belgique ( 9 ). Depuis novembre 2000, le Gouvernement Fédéral belge ainsi que les Communautés flamande et francophone ont décidé de proposer gratuitement une mammographie bisannuelle de dépistage du cancer du sein à toutes les femmes âgées de 50 à 69 ans ( 10 ). La présente étude a été réalisée dans ce contexte de réorganisation des politiques de dépistage du cancer du sein.
Du point de vue de la santé publique, la mise en œuvre de programmes de dépistage des cancers ne doit pas seulement prendre en compte des recommandations scientifiques, mais aussi les implications éthiques et en particulier les principes d’autonomie et d’équité. L’autonomie signifie le respect des choix individuels, y compris le choix de non-participation, à condition que ce choix soit fait en toute connaissance de cause par la personne. Le principe d’équité consiste à cibler toute la population et pas seulement les personnes les mieux éduquées ou les mieux intégrées. Dans ce contexte, de nombreux freins à la participation à un dépistage ont été décrits. D’après le modèle PRECEDE-PROCEED ( 11 ), trois types de facteurs (prédisposants, favorisants et renforçants) sont susceptibles de jouer un rôle dans l’adoption d’un comportement donné.
La participation à un examen de dépistage est influencée en effet par le niveau de connaissances, les perceptions, attitudes et représentations de la population ciblée. Plusieurs études ont montré que le niveau moyen de connaissances à propos du cancer et de sa prévention est souvent peu élevé ( 12 , 13 , 14 ), particulièrement parmi les femmes peu qualifiées.( 12 ). Un haut niveau de connaissances favorise la participation active à un examen de dépistage ( 15 , 16 , 17 ). Les représentations de la maladie jouent aussi un rôle: si la gravité du cancer est perçue par une majorité de femmes, le cancer signifiant la mort pour 43% des Français ( 18 ), le sentiment de vulnérabilité est moins marqué ( 5 , 13 , 14 , 18 ). La perception de l’efficacité du test de dépistage (capacité à détecter la maladie et impact sur la curabilité) peut également influencer la participation à un programme de dépistage ( 14 ). Certains sous-groupes, particulièrement dans les populations défavorisées ou rurales, ont une vue fataliste par rapport au cancer: pour eux, la prévention ne signifie rien ( 19 , 20 , 21 ).
La manière de gérer sa propre santé peut également exercer une influence importante sur le comportement de prévention. Les personnes dont le «health locus of control» (traduisible littéralement comme «le lieu de contrôle de la santé») est de type externe attribuent la bonne santé à la chance ou à l’action des professionnels de la santé. En conséquence, de nombreux patients attendent des propositions d’actions préventives émanant de leur médecin (généraliste, gynécologue)(5,13,14,22,23). Le rôle et les attitudes du médecin de famille ou du gynécologue peuvent, de ce fait, revêtir une importance primordiale à l’induction d’un comportement préventif chez les patients (13,14,24).
Des facteurs socio-économiques entrent également en ligne de compte dans la mesure où état de santé et position sociale sont liés (25). En l’occurrence, les femmes qui ne participent pas à un programme de dépistage sont plus souvent isolées, leur niveau d’études est plus faible et elles appartiennent à des catégories socioprofessionnelles peu élevées (13,26).
L’accessibilité des structures sanitaires peut être considérée comme un facteur facilitant, influençant de façon positive l’adoption du comportement. Les études concernant l’influence de l’organisation de programmes de dépistage sur la participation des femmes donnent cependant des résultats contradictoires (5,13). Le coût peut se révéler un frein (trop ou pas assez cher) ou un incitant (s’il augmente l’accessibilité pour tous) (5,19).
La poursuite du comportement de dépistage peut être fonction du vécu ressenti par la personne elle-même ou par ses pairs à l’issue d’une première expérience. Se sentir rassurée après une mammographie est, en soi, un bénéfice positif qui renforcera le comportement préventif (13,27). Une expérience négative (un résultat faussement positif, la douleur au moment de l’examen, un mauvais accueil) peut à l’inverse constituer un frein à la participation aux examens ultérieurs (13,14).
Tenant compte de ces obstacles et difficultés et dans le but de promouvoir la participation de toute la population féminine à des programmes de dépistage des cancers, une enquête a été réalisée en mars et avril 2001 auprès de la population de Liège , avec les buts spécifiques suivants:
– établir un profil des femmes dont le comportement préventif est inadéquat;
– évaluer le pourcentage de la population dont le niveau des connaissances est insuffisant par rapport au cancer du sein, au cancer du col utérin et à l’efficacité du dépistage;
– mettre en évidence des facteurs influençant les comportements préventifs (croyances, attitudes et perceptions) et susceptibles d’être modifiés.

Méthodologie

Population étudiée

Deux groupes d’âges ont été définis pour l’étude: l’un composé de femmes de 25 à 37 ans, qui sont concernées par la prévention du cancer du col utérin, mais pas encore par celle du cancer du sein, l’autre constitué de femmes de 45 à 57 ans, concernées par les deux types de prévention. Une comparaison entre ces deux groupes a été réalisée concernant leurs connaissances, leurs perceptions et leurs comportements. L’administration communale de la Ville de Liège a fourni un échantillon aléatoire tiré du registre de la population, de 500 femmes dans chaque groupe d’âge. La population cible est donc constituée de 1000 femmes résidant à Liège, extraites d’une population totale de 189 502 habitants.

Questionnaire

L’enquête a été basée sur un questionnaire auto-administré, comportant 38 questions. Présenté sous un format A4 recto-verso, il inclut 20 questions évaluant les facteurs prédisposants (connaissance (4), perceptions (5), attentes (1), gestion de la santé (10)); sept questions se rapportent aux facteurs facilitants (coût, accessibilité et visibilité des centres de prévention) et trois questions sont consacrées aux facteurs renforçants (expérience antérieure de la personne elle-même, attitudes des professionnels de la santé). Deux questions visent l’exploration du profil socio-économique des répondantes et dix autres analysent leurs comportements préventifs. Le questionnaire a été prétesté auprès de 30 femmes âgées de 25 à 60 ans.

Procédure d’enquête

Grâce à la participation financière de la Province de Liège, le questionnaire a été adressé aux personnes sélectionnées, accompagné d’une enveloppe « port payé par le destinataire », ainsi que d’une lettre d’explications mentionnant un numéro de téléphone de contact.

Analyse des données

Les données ont été encodées en DBASE. Les analyses statistiques ont été réalisées à l’aide du logiciel EPIINFO version 6. Le test du chi-carré a été utilisé pour tester la signification des associations bivariées. Le niveau de signification est fixé à p=0,01.

Résultats

Parmi les 1000 questionnaires envoyés, 979 ont réellement atteint les personnes sélectionnées. Un total de 444 femmes (45,4%) ont renvoyé le questionnaire: 207 dans la tranche d’âge de 25 à 37 ans (désignées plus loin comme les « jeunes ») et 237 dans la tranche d’âge 45-57 ans (désignées plus loin comme les « âgées »). Le taux de réponse était significativement plus élevé chez les femmes de nationalité belge: 48% versus 31,2%, (Chi²=15,09; p<0,001). Toutes les répondantes ont apporté une réponse à chaque question. Les principaux résultats sont présentés ci-après.

Comportements par rapport au dépistage

Les femmes étudiées ont été interrogées à propos de la réalisation d’un frottis et d’une mammographie. A la question « Vous a t on déjà fait un frottis du col ?», 14% des répondantes de 25 à 37 ans et 5,1% de celles âgées de 45 à 57 ans ont répondu «non». Un total de 403 femmes déclarent avoir déjà subi un frottis. A la question « De quand date votre dernier frottis du col ?», 4/5 déclarent l’avoir subi au cours des trois dernières années.
A la question ‘ Avez vous déjà passé une mammographie ?”, 23,2% des répondantes du groupe «jeunes» et 85,2% du groupe «âgées» ont répondu positivement. Dans ce dernier groupe, la dernière mammographie a été réalisée au cours des deux à trois dernières années pour 9,9% des femmes et depuis plus de trois ans pour 8,9% d’entre elles.

Comportements de dépistage et caractéristiques des répondantes

L’étude a analysé les caractéristiques des femmes dont le comportement préventif peut être qualifié de non satisfaisant. Il s’agit en particulier des 81 répondantes qui n’ont jamais subi de frottis cervico-vaginal ou l’ont subi il y a plus de trois ans, tandis que les 363 autres l’ont subi au cours des trois dernières années, comme le recommande le consensus européen.
En comparant les profils respectifs de ces deux sous-groupes, on peut observer que les répondantes dont le comportement préventif vis-à-vis du cancer du col utérin n’est pas satisfaisant sont plus souvent sans emploi, avec un niveau d’éducation peu élevé, avec une perception médiocre de leur santé, souffrant d’une maladie chronique ou d’un handicap et non suivies régulièrement par un gynécologue. Une femme sur cinq parmi ces répondantes pense qu’une lettre d’invitation émise par un centre de prévention constituerait un incitant à sa participation à un examen de dépistage.
En ce qui concerne la mammographie de dépistage, les femmes «âgées» se répartissent de la façon suivante: 164 d’entre elles ont réalisé le test au cours des deux dernières années et 73 n’ont jamais réalisé ce test ou l’ont réalisé il y a plus de deux ans.
Les mêmes différences socioculturelles sont observées par rapport à la compliance au dépistage par mammographie que celles observées dans le cadre du dépistage du cancer du col utérin.

Compréhension de la démarche préventive

A la question “pour réaliser un examen de dépistage du cancer, il est nécessaire de présenter déjà un ou des signes d’alerte”, 57 femmes (12,8%) répondent «je ne sais pas», «plutôt d’accord» ou «d’accord». Ce type de réponse suggère qu’elles n’ont pas compris la logique d’une stratégie de dépistage. Ce sous-groupe se montre significativement différent (p<0,01) des 387 autres femmes qui répondent «plutôt pas d’accord» ou «pas d’accord» à cette question (le tableau 1 précise ces données).

Tableau 1: comparaison des profils de 387 femmes qui comprennent la logique d’une stratégie de dépistage et de 57 qui ne la comprennent pas.

Bonne compréhension (n=387) (%) Pas de compréhension (n=57) (%) Chi²; p
Sans emploi 32,8 56,1 11,76; <0,001
Bas niveau d’études (*) 11,9 33,3 21,98; <0,0001
Santé perçue médiocre (**) 17,8 43,9 20,17; <0,00001
Pas de suivi par un gynécologue 7,5 19,3 8,45; =0,01

( 444 femmes liégeoises 2000 )
(*) pas de diplôme ou niveau primaire
(**) moyenne, mauvaise ou très mauvaise

Ici encore, le sous-groupe de femmes qui ne semblent pas comprendre la logique du dépistage présente les mêmes facteurs défavorables concernant l’emploi, le niveau d’éducation, les perceptions de la santé et le suivi par un gynécologue.

Connaissances et croyance en la curabilité du cancer s’il est détecté précocement

A l’affirmation “Quand on découvre un cancer, il est toujours trop tard”, 109 femmes (24,5%) répondent «je ne sais pas», «plutôt d’accord» ou «d’accord». Le tableau 2 montre les profils respectifs de ce sous-groupe en comparaison avec les 335 autres femmes qui répondent «plutôt pas d’accord» ou «pas d’accord».

Tableau 2: comparaison des profils de 335 femmes qui croient en la curabilité d’un cancer détecté tôt, et de 109 qui n’y croient pas.

Croient à la curabilité (n=335) (%) Ne croient pas à la curabilité (n=109) (%) Chi²; p
Sans emploi 31,3 49,5 11,85; <0,001
Bas niveau d’études (*) 8,7 33,0 46,24; =0,000..
Santé perçue médiocre (**) 16,4 35,8 18,47; <0,0001

( 444 femmes liégeoises 2000 )
(*) pas de diplôme ou niveau primaire
(**) moyenne, mauvaise ou très mauvaise

Il n’est pas surprenant de constater que les femmes qui ne croient pas en la curabilité du cancer détecté précocement sont plus souvent sans emploi, des femmes avec un niveau d’éducation bas et une perception médiocre de leur santé.

Perception de l’efficacité des tests

Pour étudier la perception de l’efficacité du frottis cervical, il a été demandé aux répondantes de prendre position par rapport à l’affirmation suivante: “On peut éviter le cancer du col de l’utérus en pratiquant régulièrement un frottis du col”. Les réponses sont significativement différentes (p<0,01) entre les deux groupes d’âges. Les femmes qui répondent «pas d’accord» ou «plutôt pas d’accord» représentent 26,5% du groupe des «jeunes» (25-37 ans) et seulement 9,7% du groupe des «âgées» (45-57 ans).
On n’observe pas de différence aussi significative concernant la perception de l’efficacité de la mammographie: 13,5% des femmes du groupe «jeunes» et 10,2% du groupe «âgées» ne croient pas en l’efficacité de la mammographie (p=0,2).
La perception de l’efficacité de ces tests de dépistage semble être reliée à la compréhension de la démarche préventive et à la croyance en la curabilité de la maladie. En effet, parmi les femmes qui ne croient pas en l’efficacité du test de dépistage, une sur cinq appartient au groupe qui comprend mal la logique de l’approche préventive (mais une sur dix parmi celles qui ont une bonne compréhension)(p<0,01). De même, une femme sur quatre appartient au groupe qui ne croit pas à la curabilité du cancer s’il est détecté précocement (mais une sur dix qui croit à la curabilité).

Attentes des répondantes

La question suivante a été posée afin d’évaluer les attentes des répondantes: «A votre avis, qu’est-ce qui pourrait inciter une femme à passer un examen de dépistage du cancer si elle ne l’a jamais fait?». Les réponses correspondantes par groupes d’âge sont reprises dans le tableau 3.

Tableau 3: Incitants à la réalisation d’un test de dépistage.

Groupe d’âge

Invitation d’un centre de prévention Invitation d’un médecin Publicité Medias Gratuité Proximité d’un centre médical Conseil d’un proche Rien Autres
25-37 12,1 % 51,7 % 3,9 % 15,0 % 2,4 % 6,8 % 2,9 % 5,3 %
45-57 11,0 % 54,4 % 4,6 % 12,2 % 4,6 % 7,6 % 1,7 % 3,8 %

(444 femmes liégeoises – 2001)

Dans les deux groupes d’âges, plus de la moitié des sujets désignent le médecin de famille ou l’invitation du gynécologue comme incitant. Les femmes qui répondent «autres» invoquent: «un symptôme au niveau du sein», «un cancer dans la famille», «l’âge» ou «des facteurs de risque».

Discussion

Une population avec un profil plus favorable que la moyenne

Cette enquête de population a obtenu un taux de réponse plutôt élevé, bien que réalisée par voie postale. Ce résultat favorable pourrait être attribué aux caractéristiques du questionnaire: il était court, facile à compléter et à renvoyer. Il semble cependant que les femmes d’origine étrangère dont la langue maternelle n’est vraisemblablement pas le français ont éprouvé des difficultés à répondre au questionnaire, dans la mesure où leur taux de réponse est différent de celui des femmes de nationalité belge.
Par comparaison aux valeurs de référence disponibles, selon le cas, pour les populations belges, wallonne ou liégeoise, l’échantillon comporte une surreprésentation de:
– femmes de niveau d’études universitaires:16,4% contre 4,4% des femmes vivant à Liège (28);
– femmes de 45 à 57 ans professionnellement actives: 62% contre 49,6% des femmes de 45 à 54 ans vivant en Wallonie (6);
– femmes ne souffrant pas de maladie chronique: 78,8% contre 44,7% des femmes belges (6 );
– fumeuses dans le groupe «âgées»: 35,9% contre 25% des femmes belges de 45 à 54 ans (6).
Cependant, les répondantes sont assez représentatives de la population de référence en ce qui concerne:
– les femmes isolées: 23% contre 24,6% des femmes vivant en Province de Liège (29);
– les femmes dont la perception de la santé est «bonne» ou «très bonne»: 78,8% contre 78% des adultes belges (6);
– les femmes suivies par un médecin de famille: 94,6% contre 93% des adultes belges (6).
Certains biais dans les résultats sont donc probables, étant donné le taux élevé de femmes de niveau universitaire parmi les répondantes. Ce taux élevé pourrait être attribué à une attitude de sympathie vis-à-vis d’un mémoire de fin d’études ou résulter du niveau culturel, le souci de la santé étant classiquement relié positivement avec le niveau d’études. Un autre facteur confondant pourrait être lié à la proportion importante des répondantes signalant une expérience de la maladie chez un proche souffrant d’un cancer (75%). Cette proportion semble élevée; cependant, à notre connaissance, aucune statistique comparative n’est disponible. Une dernière source de biais potentiel est l’environnement d’une ville telle que Liège, qui offre une bonne accessibilité aux services médicaux.
L’échantillon de répondantes semble donc présenter un profil favorable par rapport à une activité de dépistage: ces femmes ont un niveau d’éducation plutôt élevé, et elles sont bien intégrées dans la société dans la mesure où elles sont nombreuses à avoir un emploi. Cette hypothèse est confirmée par les résultats: la proportion de répondantes ayant effectué un frottis (81,8%) ou une mammographie (69,2%) selon la périodicité recommandée est plus élevée dans cette enquête que celle habituellement rapportée pour la population belge ou française. Dans la dernière enquête belge de population (6), 70% des femmes de 25 à 65 ans déclarent avoir réalisé un frottis au cours des trois dernières années. Deux enquêtes récentes (8,30) réalisées auprès de la population belge francophone ont montré une proportion de 60 et 64 % de femmes « en ordre » pour le frottis. En France, les chiffres correspondants sont de 70,5% (5).
En ce qui concerne le dépistage du cancer du sein, 40 à 50 % des femmes belges francophones de 50 à 69 ans sont «en ordre» pour la mammographie (9).
Une partie des différences observées pourrait découler du fait que, dans les études citées, les populations observées ne vivent pas uniquement en ville mais aussi dans des campagnes où les centres de santé sont plus éloignés. Il faut cependant noter qu’une enquête postale (13) conduite dans la province de Namur a obtenu des résultats similaires à ceux présentés ici: 71% des répondantes avaient subi une mammographie au cours des deux années précédant l’enquête. Ces auteurs attribuaient eux aussi ces résultats à un profil particulièrement favorable pour les comportements préventifs parmi les répondantes à leur enquête.

Quelques résultats inquiétants ou surprenants

Néanmoins, en dépit du profil favorable de notre échantillon, certains résultats obtenus sont inquiétants: par exemple, le fait que 14,4% des femmes du groupe «jeunes» affirment n’avoir jamais réalisé un frottis apparaît comme une proportion étonnamment élevée. Il n’est pas exclu cependant que ce chiffre surestime la réalité dans ce groupe d’âge où 9,2% seulement des femmes n’ont pas de gynécologue et il est donc possible qu’aucun frottis n’ait été réalisé chez elles. Mais les 5,2% restants pourraient correspondre à des femmes qui ont un gynécologue mais ignorent que celui-ci réalise régulièrement un frottis. Il est également possible que certaines répondantes n’aient pas compris le terme médical «frottis du col».
Un autre résultat surprenant concerne la perception de l’efficacité du frottis de col: plus d’une femme sur quatre dans le groupe 25-37 ans n’en est pas convaincue. Cette proportion est alarmante quand on sait que ce sont principalement les femmes jeunes qui sont affectées par ce cancer et qu’il est maintenant évident que la détection précoce et le traitement de lésions dysplasiques du col préviennent leur évolution vers la cancérisation (3,4). En outre, si on tient compte du profil favorable des répondantes à cette enquête, on peut émettre l’hypothèse que la proportion de femmes ayant des connaissances inappropriées en matière de prévention est en réalité plus élevée dans la population générale.

Le programme de dépistage du cancer du sein

Depuis deux ans environ, un programme de dépistage du cancer du sein chez les femmes âgées de 50 à 69 ans est en cours en Communauté française, dans le cadre d’un accord entre tous les niveaux de pouvoir concernés par la santé dans notre pays.
La Direction générale de la santé du Ministère de la Communauté française vient de publier une brochure faisant le point sur le programme ‘mammotest’. Le document, qui vise un public d’intervenants en matière de santé publique, aborde les questions suivantes:
– justification d’un programme de dépistage organisé;
– objectifs du programme;
– ressources du programme;
– fonctionnement du programme;
– assurance de qualité, suivi, évaluation.
Il est complété par une trentaine de pages d’annexes contenant aussi bien des textes officiels que des documents d’informations destinés aux médecins et aux femmes et des courriers utilisés dans le cadre de la campagne.
Le lecteur trouvera dans cette brochure un maximum d’informations concrètes lui permettant d’appréhender le programme de façon globale.
C.D.B.
BEGHIN D., VANDENBROUCKE A., CHERBONNIER A., FABRI V., Le programme de dépistage du cancer du sein, DG Santé, 70 pages, mars 2004.
Disponible (en petites quantités) auprès de sabine.pierard@cfwb.be

Des populations peu sensibles à la ‘culture’ du dépistage

Les résultats de cette enquête montrent donc clairement que des facteurs socioculturels et socio-économiques contribuent à un manque de compréhension de la logique du dépistage, à des croyances erronées quant à la curabilité du cancer détecté précocement, et à une perception négative de l’efficacité des tests de dépistage. Ceci se traduit par un comportement préventif inadéquat, voire même absent dans une frange importante de la population.
Ces observations sont en concordance avec celles rapportées par d’autres auteurs (12,14,26,31). Collignon et Martin (13) ont relevé une surreprésentation de femmes peu instruites parmi celles qui ne participent pas aux examens de dépistage. Doumont et Libion (14), dans leur revue de littérature (concernant le dépistage du cancer du sein) mettent en évidence le lien entre le niveau de connaissances, le degré d’alphabétisation et les attitudes de prévention. Une étude conduite en France dans le département du Bas-Rhin montre que, pour la population féminine, un haut niveau de connaissance à propos du cancer influence positivement le comportement préventif (15). Comme dans les études antérieures, elle souligne que les connaissances, les croyances, les attitudes et les perceptions sont des facteurs qui influencent fortement les comportements préventifs.
Certains de ces facteurs sont accessibles aux changements comme l’a démontré une étude suédoise qui analyse les effets d’un programme éducatif portant sur les symptômes et signes d’alerte d’un cancer (16) . Les résultats démontrent, d’une part, que le taux de participation aux examens de dépistage peut être augmenté sans que le degré d’anxiété soit accru et, d’autre part, que l’intervalle entre l’apparition du symptôme et la consultation peut être réduit. L’information et l’éducation peuvent donc être efficaces.
Néanmoins, il ne faut pas sous-estimer la difficulté d’informer de manière adéquate les populations défavorisées. Dans leur revue de littérature, Aiach et Cebe ( 26 ) montrent, pour tous les types de comportements préventifs, une différence systématique entre les populations favorisées et celles qui le sont moins. Ils évoquent une «culture de la pauvreté» qui inclut l’acceptation d’un niveau de santé peu élevé. Dans l’étude de Fabri, réalisée auprès des affiliées des Mutualités socialistes (qui sont en général d’un milieu moins privilégié que le reste de la population), 30% seulement des femmes de 50 à 69 ans ont réalisé une mammographie au cours des deux dernières années ( 32 ). Une autre étude réalisée dans les populations défavorisées ( 19 ) a mis en évidence la passivité et le fatalisme de ces personnes face au cancer et à sa prévention. Il en est de même dans une étude américaine réalisée auprès des communautés défavorisées afro-américaines ( 20 ).
L’enquête présentée ici, de même que d’autres réalisées précédemment (5,13,14,22,23,30), souligne le rôle important attribué par les répondantes aux professionnels de santé, que ce soit en tant que personne de référence ou en tant qu’incitant à la prévention. Une étude récente a montré que plus de 69% des femmes n’ayant jamais subi de frottis l’accepteraient si elles y étaient explicitement invitées par un médecin (30).

Conclusions et recommandations

Cette étude souligne les difficultés à surmonter pour atteindre toute la population ciblée par un programme de dépistage du cancer. Les résultats suggèrent que des efforts spécifiques doivent être focalisés vers deux sous-groupes particuliers de population: d’une part, les femmes issues de milieux socioculturels et de niveau social peu élevés, et d’autre part les femmes jeunes.
Pour induire la participation de femmes de milieux défavorisés à des programmes de dépistage, il faut veiller à ce que l’information soit adaptée à leur niveau de compréhension, mais également à leurs croyances et attitudes vis-à-vis de la curabilité de la maladie et vis-à-vis de l’efficacité des tests de dépistage. L’utilisation des réseaux de ‘référents profanes’ pourrait permettre de diffuser une information appropriée à ces populations. Les centres de prévention ont également un rôle à jouer en organisant, par exemple, des groupes de discussion réunissant des femmes issues de ces milieux. Ces centres pourraient également rendre la prévention plus accessible en réalisant gratuitement les tests de dépistage.
Le manque d’information à propos de la prévention du cancer du col utérin parmi le groupe des femmes jeunes est important. Il est urgent de leur faire prendre conscience de l’importance de la réalisation de frottis réguliers, à l’heure où la vie sexuelle actuelle implique des relations avec un plus grand nombre de partenaires que dans la génération précédente. Dans une perspective de santé publique, l’étude ici réalisée souligne que la prévention du cancer du col utérin ne doit pas être occultée par les stratégies développées actuellement pour promouvoir le dépistage du cancer du sein.
Une autre conclusion claire a trait au rôle des professionnels de la santé: tant le médecin de famille que le gynécologue devraient être systématiquement impliqués dans l’organisation de toute campagne de dépistage.
Bernadette Escoyez et Philippe Mairiaux, APES-ULg

Références

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