Octobre 2007 Par M. RWUBUSISI Initiatives

La lutte contre le dopage en Communauté française a son «décret du 8 mars 2001 relatif à la promotion de la santé dans la pratique du sport, à l’interdiction du dopage et à sa prévention en Communauté française».
Ce décret se voulait un outil permettant de jeter les bases d’une prévention du dopage en amont du phénomène pointu et circonscrit de la pratique sportive professionnelle. Ainsi, il prévoyait non seulement des contrôles lors de toute manifestation sportive (y compris les séances d’entraînement), mais aussi de pouvoir contrôler toute personne amenée à faire du sport, les amateurs comme les professionnels.
Si cette pratique pouvait ressembler à un «flicage» des amateurs (un joggeur du dimanche était susceptible de se faire contrôler inopinément, au même titre qu’un sportif professionnel), il faut se rappeler que la précédente législature avait assorti cet aspect d’une autre approche: la distribution de brochures de prévention du dopage aux fédérations sportives, aux organismes responsables de la formation des kinésithérapeutes, médecins du sport et professeurs d’éducation physique ou encore dans les établissements de sport-école.

Tableau 1 – Substances détectées en Communauté française

Substance

2004 2005 2006
Stimulants 16 6 11
Narcotiques 1 2 0
Cannabis 39 19 27
Stéroïdes anabolisants 16 7 5
Corticostéroïdes 5 12 1
Hormones 1 0 2
Bêtabloquants 2 3 0
Bêta-2-agonistes 3 6 7
Diurétiques 1 1 1
Refus 13 8 2

Aujourd’hui, ces pratiques sont abandonnées. Le ratio des contrôles amateurs/professionnels a été inversé dès mai 2005 (de 85% – 15% à 15% – 85% a minima ) car le ministre des sports de l’époque (1), Claude Eerdekens a estimé devoir se concentrer sur les professionnels, beaucoup plus exposés selon lui à la pratique du dopage (2). Par ailleurs, on ne distribue plus non plus de brochures de prévention dans les organismes pré-cités.
Le ministre des sports disait rechercher une valeur d’exemple en contrôlant presque exclusivement les professionnels. De fait, ceux-ci sont beaucoup plus «en vue» (ou faut-il dire «au pilori») que les amateurs. Cependant, les sportifs professionnels sont bien plus informés en matière de contrôles que les amateurs: entourés d’un staff de professionnels parfois aveuglés par le profit, ils sont aussi plus à même de «biaiser» les tests.
Quant au mode d’intervention précédent (la distribution de brochures de prévention du dopage), n’eût-il pas gagné à être évalué sur le moyen terme? En effet, ces brochures n’ont été distribuées que durant une petite année (en 2004). Or, leur action s’apparente plus à une course de demi-fond qu’à un 100 mètres…

Quatre ministres dans les starting blocks!

Il faut dire que les compétences des ministres impliqués dans la lutte contre le dopage ont été redistribuées depuis le décret du 8 mars 2001. En effet, lors de la précédente législature, la ministre en charge de la santé était également responsable des contrôles. Or, suite au changement de gouvernement de la Communauté française, les nouveaux arrêtés de compétence des ministres ont attribué la responsabilité de la «prévention du dopage» (brochures…) et des contrôles au seul ministre des sports, tandis que la «promotion de la santé dans la pratique du sport» est l’apanage de la ministre de la santé, Catherine Fonck . Celle-ci, par le biais de la «Cellule dopage» de la Communauté française, a mis en chantier la compilation des réglementations médicales des différentes fédérations sportives. Les indications et contre-indications à la pratique d’un sport sont également de son ressort.
On dirait donc que la ministre de la santé s’éloigne du dopage, qui tombe dans l’escarcelle du ministre des sports (3). Ce dernier semble avoir mis le cap sur des mesures répressives plutôt que préventives au sens où l’entend habituellement le secteur socio-sanitaire.
Qu’en est-il de la région bruxelloise? Ne possédant pas de législation propre, celle-ci s’est dotée, via ses ministres compétents, d’un projet d’ordonnance déléguant les contrôles à effectuer sur son territoire aux communautés flamande et française. Ce même projet d’ordonnance vise à créer un cadre pour des campagnes éducatives, d’information et de prévention pour une pratique saine du sport. En effet, selon les ministres compétents à Bruxelles ( Vanhengel et Cerexhe ), il faut envisager la possibilité d’organiser des campagnes afin de déconseiller aux sportifs amateurs la consommation de produits visant à améliorer leurs performances.
Cela dit, à l’heure de la rédaction de ces lignes, l’ordonnance n’a toujours pas été proposée au parlement de la Région bruxelloise, et les campagnes envisagées n’ont pas vu le jour.
Est-il suffisant de se limiter aux contrôles (en «aval» du processus qui mène à se doper) sans trop se préoccuper en apparence de la promotion de pratiques saines (en «amont» du même processus)? C’est ce qui semble se profiler en Communauté française et en Région bruxelloise.
Les contrôles en eux-mêmes ont sans doute valeur de garde-fou, de garant de l’interdit. Mais si on élargit le débat à d’autres drogues, on peut citer le constat évoqué par la FEDITO bruxelloise à l’occasion de la journée «cannapistes»: la dernière enquête ESPAD (European School Survey on Alcohol and Other Drugs) concluait à l’inefficacité de la seule répression aux fins de réduire la demande de drogues, certains pays plus répressifs (France) connaissant même une demande plus forte (dans l’exemple du cannabis) que les pays plus libéraux (comme les Pays-Bas) (4). Il vaut donc mieux éduquer, en plus de réprimer.
Relevons enfin un étrange mélange des genres auquel on assiste lors des contrôles anti-dopage, puisque l’Association Mondiale Anti-dopage a inscrit le cannabis sur la liste des substances interdites dans le sport. Du coup, la majorité des contrôles anti-dopage positifs en Communauté française le sont au carboxy-THT, substance qui révèle l’usage de cannabis. Outre le fait que la tentation peut exister pour certaines autorités de profiter de cette zone de repérage possible de consommateurs de cannabis, on peut s’interroger sur la pertinence de l’inclusion de ce dépresseur (plutôt calmant, relaxant) dans la liste des produits dopants (plutôt stimulants). Question que n’a d’ailleurs pas manqué de se poser explicitement le Ministre Eerdekens (5)…
Miguel Rwubusisi , Eurotox, Observatoire socio-épidémiologique Alcool-Drogues en Communauté française
Adresse de l’auteur: Eurotox, avenue Emile de Béco 67, 1050 Bruxelles. Tél.: 02 644 22 00 – Fax: 02 644 21 81. Courriel: eurotox@skynet.be, site: http://www.eurotox.org

(1) Remplacé en juillet 2007 par Michel Daerden
(2) La Cellule dopage déclare que cette proportion est allée jusqu’à 90% de contrôles chez les pros pour 10% chez les amateurs, mais sans jamais supprimer entièrement ces derniers, contrairement à ce qu’a annoncé la presse (voir à ce sujet «La Meuse» du 07 juillet 2006).
(3) La ministre n’a d’ailleurs pas pris de mesure spécifique en termes de promotion d’une pratique sportive saine et de lutte contre le dopage.
(4) ESPAD (European School Survey on Alcohol and Other Drugs): enquête transversale en milieu scolaire dans 30 pays européens. Il en ressort que des pays appliquant une politique de tolérance présentent des taux de consommation moindres que ceux de pays appliquant un politique plus répressive. Cité in Actes de la journée Cannapistes. FEDITO bruxelloise, janvier 2005, p8.
(5) «La Meuse» du 07 juillet 2006.