Février 2001 Par Bernadette TAEYMANS Initiatives

Depuis 30 ans déjà, le Centre de prévention du suicide offre une écoute téléphonique aux personnes suicidaires et à leurs proches (n°vert 0800-32 123). Nous avons rencontré Béatrix Lekeux, psychothérapeute, pour nous parler de l’apport spécifique d’une telle structure.
ES : Pouvez-vous nous donner quelques chiffres concernant le Centre?
Beatrix Lekeux : Le suicide est la première cause de décès chez les hommes de 25 à 45 ans et la deuxième cause chez les adolescents de 15 à 25 ans. C’est dire que la prévention du suicide et le soutien de l’entourage sont importants. Le Centre de prévention du suicide offre une écoute téléphonique 24h/24 et nous comptons plus de 17.000 appels par an. Ces appels émanent des personnes suicidaires elles-mêmes mais aussi de leur entourage: famille, amis, enseignants…
ES : Comment fonctionne cette écoute?
BL : L’écoute téléphonique est faite uniquement par des bénévoles. Chaque année, à deux reprises, nous lançons dans les médias un appel aux bénévoles. Etre bénévole dans notre centre est le résultat d’un processus exigeant. Au départ, il ne faut pas de formation particulière mais nous demandons aux candidats de franchir différentes étapes: une réunion d’information, suivie d’un questionnaire à remplir et d’un entretien individuel en est la première phase. Sur 100 personnes qui répondent au départ, seulement une quinzaine entament la formation proprement dite: travaux de groupe et entretiens individuels hebdomadaires, co-écoute téléphonique et ce pendant 3 mois. L’investissement demandé est donc important tant au niveau du temps consacré qu’au niveau personnel. La formation amène en effet chacun à une remise en question personnelle: motivation, attitudes,…
Finalement, seule la moitié des participants à la formation deviennent effectivement écoutants.
ES : Ce processus de sélection et de formation est assez lourd, pourquoi ne pas travailler avec des professionnels?
BL : Il y a en partie un choix économique mais c’est loin d’être notre seule motivation. Nous voulons clairement offrir une écoute non-professionnelle. L’écoutant n’est pas là pour dire ce que l’appelant doit faire, il n’y a pas de recettes. Il ne s’agit pas non plus d’entretiens psychothérapeutiques. Mais d’un contact humain de personne à personne, d’une rencontre avec celui qui est en souffrance. Nous sommes là pour offrir une écoute humaine, chaleureuse («Qu’est-ce qui se passe pour vous?»), pour entendre leur réalité, leur souffrance. Une autre particularité de notre contact, c’est qu’il est ponctuel et anonyme. Nous n’offrons pas de suivi thérapeutique mais nous donnons si nécessaire des adresses de centres de santé mentale.
Parmi les personnes qui appellent, certaines ont déjà été voir des psychothérapeutes («Oh oui, je suis déjà allé chez un psy, mais il ne dit rien»). C’est vrai qu’une démarche psychothérapeutique nécessite un travail d’élaboration qui n’est pas toujours facile. Téléphoner anonymement est une démarche différente, plus accessible, même si cela reste un obstacle pour certains car il faut déjà pouvoir soutenir une conversation.
ES : 30 ans d’expérience dans ce domaine, cela vous donne un regard averti sur le phénomène suicidaire.
BL : Oui, évidemment! Au départ, la personne suicidaire est quelqu’un qui est mal dans sa peau, quelqu’un de fragile. Mais c’est toujours une conjonction de facteurs qui amène la personne à penser au suicide: des conflits au travail, une rupture amoureuse, des problèmes familiaux,… La personne suicidaire se sent mal dans une société qui évolue et dans laquelle elle ne trouve pas ou plus sa place.
ES : Est-ce que cette «expertise» ne vous conduit pas à penser à d’autres actions, d’autres interventions pour prévenir le suicide?
BL : Nous avons des projets en effet dont un a pu se concrétiser grâce au soutien financier de Cera Holding: il s’agit de la création de groupes de parole pour les personnes touchées par le suicide d’un proche. Nous sommes en effet régulièrement contactés par des proches endeuillés et, jusqu’il y a peu, il n’existait rien pour eux. Les proches n’ont pas nécessairement besoin d’une thérapie mais ils cherchent à parler, à rencontrer d’autres personnes qui ont vécu la même chose. Depuis décembre 2000, un premier groupe de parole a vu le jour à Bruxelles et d’ici l’automne 2001, notre objectif est de créer un groupe de parole dans chaque province.
ES : Vous parlez de groupe de parole et non d’entraide, pourquoi?
BL : A la différence des groupes d’entraide, le groupe de parole que nous proposons est encadré par un professionnel de l’écoute formé à l’accompagnement du deuil. Les personnes ont besoin d’un lieu de parole qui fait tomber les tabous, qui n’oblige pas à se justifier, pour partager avec d’autres ce vécu. Le professionnel est là pour accompagner les personnes dans leur processus de deuil, favoriser la parole, garantir le cadre (confidentialité, respect).
Avant de participer au groupe de parole, il y a un entretien individuel pour évaluer si le groupe de parole est une réponse adaptée pour la personne endeuillée, s’il ne vaut pas mieux lui conseiller une psychothérapie. Concrètement, nous proposons des rencontres bimensuelles sur une période de 6 mois dans un groupe fermé (c’est-à-dire qu’il n’y a pas d’entrée en cours de groupe).
ES : Quels sont vos liens avec les structures de santé mentale?
BL : Nous sommes membre de la Ligue d’hygiène mentale et nous participons à certaines réunions de concertation. Mais nous avons une place un peu particulière: nous n’avons pas de médecin dans l’équipe, nous travaillons avec des bénévoles. Tout cela nous met un peu en difficulté en termes de reconnaissance quant à la spécificité et à la qualité de notre travail.
ES : La santé mentale est une des priorités du programme quinquennal de promotion de la santé en Communauté française. Avez-vous des projets en promotion de la santé?
BL : Nous avions rentré un projet. Nous voulions proposer des actions dans les écoles car déjà à l’école, il est possible d’aider les enfants à développer leur confiance en eux, à apprendre à dépasser des situations de conflit, de stress et ainsi à résoudre des problèmes personnels sans imaginer l’irréparable. Mais notre projet n’a pas été accepté et nous nous sentons maintenant un peu démunis vis-à-vis de ce secteur malgré l’aide ponctuelle que nous avions reçue d’un Centre local de promotion de la santé.
Nous avons aussi d’autres projets que nous ne pouvons développer actuellement faute de moyens: accompagner les proches de personnes suicidaires, accompagner à l’hôpital les personnes qui ont fait une tentative de suicide: en effet, tous les services d’urgence ne proposent pas une rencontre avec un psychiatre et une fois traitée médicalement, la personne suicidaire est simplement renvoyée chez elle…
Ce ne sont certainement pas les projets qui manquent!

Pour obtenir des renseignements complémentaires, vous pouvez vous adresser au Centre de prévention du suicide, place du Châtelain 46 à 1050 Bruxelles, tél.: 02-640 51 56.