Octobre 2010 Lu pour vous

La santé est devenue notre bien le plus précieux. Les recommandations qui saturent l’espace public viennent nous le rappeler quotidiennement : « fumer tue », « évitez de grignoter entre les repas », « lavez-vous les mains fréquemment », etc.
Car, pour faire reculer le plus possible la maladie et la mort, il faut traquer le risque partout où il existe. La prévention des excès alimentaires, du tabagisme, de la consommation d’alcool et de drogues s’efforce d’atteindre cet idéal de sécurité totale.
Mais la « mise en risque » du monde ne va pas sans dysfonctionnements. Le culte de la santé disqualifie ceux qui transgressent les conseils des experts. Il enserre les individus dans de nouveaux carcans moraux. Enfin, il est l’allié des industries agroalimentaires et pharmaceutiques à qui il ouvre des marchés lucratifs.
‘Le principe de prévention’, sous-titré ‘Le culte de la santé et ses dérives’, un bref essai d’une centaine de pages de Patrick Peretti-Watel (sociologue à l’INSERM) et Jean-Paul Moati (prof d’économie à Aix-Marseille II), dénonce à juste titre les excès d’une politique de santé qui tend au risque zéro de manière de plus en plus obsessionnelle, stigmatisant au passage les ‘déviants’ avec un discours moralisateur digne du plus bel obscurantisme religieux.
Le propos des auteurs n’est pas pour autant libertaire sans nuance, ils ne nient pas la nécessité d’une prévention, qu’ils souhaitent plus éthique, plus légitime, plus efficace, et moins médicale…
Leur raisonnement s’articule en quatre temps : naissance du concept, défauts de ses déclinaisons actuelles, impasse du modèle médical, et, heureusement, pistes positives pour réinventer la prévention.
En résumé, « conçue pour protéger les citoyens, les enfants, les personnes vulnérables, la prévention doit aujourd’hui être réinventée, sous peine de perdre son âme ».
Stimulant.

En France comme à l’étranger, dans le sillage de la Némésis médicale d’ Ivan Illich , de nombreux auteurs ont dénoncé tour à tour la « surmédicalisation de l’existence », « la marchandisation de la santé », « le nouvel hygiénisme », « la santé totalitaire », voire « le fascisme de santé ».
Ces formules percutantes renvoient à diverses facettes d’un même phénomène : inféodé au néolibéralisme et au savoir médical, le culte de la santé écraserait tout le reste, y compris les libertés individuelles, intimant à chacun de nous l’ordre de préserver au mieux son « capital santé » en se conformant aux comportements prescrits par les médecins, et blâmant ceux qui n’y parviennent pas.
(extrait, page 11)

Patrick Peretti-Watel, Jean-Paul Moati, Le principe de prévention – le culte de la santé et ses dérives, La République des idées, Seuil, 2009, 104 pages, 10,5 euros.