Août 2005 Par Véronique JANZYK Lu pour vous

Colette et Michel Collard-Gambiez vivent depuis plus de dix ans en couple parmi les plus démunis, en Belgique et en France. Une expérience pour témoigner mais aussi pour analyser et proposer des pistes d’action sociale et politique.
Aucune intention éducative ne sous-tend le projet. A part celle d’éduquer les nantis à regarder ces «prisonniers du dehors» qui ont besoin autant d’une aide matérielle que d’attention de la part de ceux qui arpentent leurs dérisoires territoires. Lettrés, animés par la foi, sans mimétisme ni fusion, loin d’une démarche de «colonisateurs qui nient la parole d’autrui et plaquent sur lui leurs perceptions», Colette et Michel Collard-Gambiez se posent comme «la voix des sans voix», des «ambassadeurs entre deux mondes». Les propos de SDF (même si l’acronyme est réducteur et qu’on «ajoute, selon Camus, au malheur du monde en le nommant mal») jalonnent les pages. Les analyses des auteurs aussi, sensibles, pertinentes.

Spirale

Ainsi sur l’émoi suscité par les décès dus au froid : ‘ Et quand le cœur de l’homme en été s’étiolait , qu’en avions nous à faire ?’. Ou sur les résistances à être pris en charge: ‘ Ils ont peur de quitter leurs repères et leurs habitudes pour affronter les contraintes d’une collectivité rappelant trop celles dont ils ont pu pâtir dans les foyers ou en prison . Peur d’être déplumés pendant leur absence du peu qu’ils ont . Et puis , celui qui est hors du monde finit par être hors de lui même . Il y a comme un dédoublement , une délocalisation . Mon corps n’est plus moi . Il est là , à côté comme un objet . Récemment , Marjorie , une femme du quart monde nous écrivait : « Mon corps fait le con ». Ce n’est donc pas elle qui fait le con .’
Passer des mois avec ces compagnons d’infortune permet aussi aux auteurs de décrire des «circuits»: rue, maison d’accueil, appartement lorsqu’ils parviennent, pour certains d’entre eux, à récupérer leurs enfants. Les sorties de la grande précarité sont malheureusement rares: ‘La plupart de temps, un processus d’identification au malheur entre en jeu. Puisqu’on ne parvient ni à surmonter les échecs ni à satisfaire ceux qui vous portent secours, il faut trouver une issue. Et l’issue, c’est que le malheur et vous, vous ne formez plus qu’un. L’identification complète à son propre malheur devient la seule manière d’exister lorsqu’on ne peut plus affronter tout ce qu’il faudrait faire pour changer la situation. Pour certains c’est même la haine de soi. Ils retournent contre eux le rejet extérieur. Comment ne pas pressentir l’immense tâche de déculpabilisation qui serait à entreprendre avant toute perspective d’insertion?»

Croyances

‘Et si les pauvres nous humanisaient’, présenté sous forme de questions-réponses aborde aussi quelques idées reçues. La zone guette-t-elle tout un chacun? Pas vraiment, répondent les auteurs: ‘ Les diverses études et statistiques attestent que la majorité des personnes sans domicile proviennent d’un univers marqué par la grande pauvreté . S’imaginer que cela puisse arriver à tout le monde , comme on l’entend dire fréquemment aujourd’hui , c’est peut être un peu vrai , mais surtout très faux et indubitablement léger .’ Le ‘froid n’est que l’arme du crime’ écrivent-ils d’ailleurs. Autre idée combattue: la solidarité entre exclus. Un mythe qui nous arrangerait bien…
Parmi les modifications sociales structurelles suggérées, on trouve les lieux de résidence, plutôt que ceux d’urgence. Des lieux de vie durables, familiaux, où chacun disposerait d’un espace à soi. Et du droit de revenir, même après avoir déserté l’endroit. Un «contrat de non abandon» serait établi. Une meilleure collaboration entre services serait bienvenue, pour éviter par exemple que des repas soient servis par une association à tel endroit pendant qu’à tel autre un abri de nuit ouvre ses portes. Avec ses places chichement comptées… Car il est une autre idée reçue à combattre, c’est celle que l’offre doit être minime pour éviter tout excès, toute installation dans l’aide sociale. Chaque année, des SDF paient de leur vie cette aberration.
V.J.
Et si les pauvres nous humanisaient, par Colette et Michel Collard-Gambiez, chez Fayard