Octobre 2002 Par Véronique JANZYK Initiatives

Les mots aident. Ceux par lesquels on formule un vécu douloureux. Ceux de personnes confrontées aux mêmes problèmes que soi. Les mots qui tissent les contes créés ou entendus. Sans oublier un certain langage imagé, parfois plus éloquent qu’un long discours.
L’asbl Parole d’enfants a consacré un colloque à tous ces mots, outils au service du changement. En voici quelques moments choisis.

Psychiatre, ancien interne des hôpitaux de Paris, directeur de recherches honoraire à l’INSERM et psychothérapeute, Stanislas Tomkiewicz pose la question de la relation d’aide. Faut-il s’y impliquer ? La réponse au fil de l’histoire de la psychiatrie a plus souvent été non que oui. «J’ai connu le temps où on disait que la relation d’aide doit exister du patient à nous et pas l’inverse. Aujourd’hui, je crois que l’implication est à nouveau mal considérée, à tort. Il faut que nous sachions pourquoi nous pratiquons un métier d’aide. C’est une garantie pour la qualité du travail. Bien sûr la relation peut apporter des choses narcissiques, du plaisir, combler un manque d’amour. On peut être tordus, mais dans le bon sens!» . La neutralité bienveillante, il n’y croit pas : «Un mur ce n’est peut-être pas méchant, mais ça restera toujours un mur!» Il stigmatise aussi cette pseudo–relation d’aide qui voudrait « faire intégrer la loi aux pauvres, à ceux qu’on plaint quand ils sont petits, mais qu’on veut mettre en prison quand ils sont grands» . Et de proposer d’aller faire un tour (critique) du côté de certaines écoles (de santé publique) qui forment des directeurs de maisons de jeunes.

Le patient et les autres

Il est indispensable, pour Edith Tilmans-Ostyn , formatrice en thérapie familiale au Centre Chapelle-aux-Champs de prendre en compte le système de relations du patient. « On pourrait se limiter à la demande d’aide, explique-t-elle. Mais il ne faut pas oublier que le patient peut être écartelé entre son désir d’être aidé et puis le souvenir d’un membre de la famille qui a échoué dans une telle demande ou la présence de quelqu’un qui le persuade que ça ne fonctionnera pas. Une approche systémique permet de ne pas se mettre en concurrence avec l’entourage, parce qu’alors on est perdant à tous les coups. Cet entourage favorable ou pas à la démarche peut être abordé avec la question de savoir qui autour du patient peut être surpris de le voir ici. »
Autre certitude pour Edith Timans-Ostyn :les parents essaient d’éduquer leurs enfants et les enfants «essaient» de guérir leurs parents. Un enfant est incapable de vivre avec l’idée que ses parents sont indignes. Ils font ce qu’ils peuvent, en fonction de ce qu’elle nomme «leurs mécanismes de survie».
Le thérapeute contribue à un processus de maturation réciproque. La présence des enfants dans les entretiens familiaux aide les parents à se connecter avec des aspects qu’ils ont tendance à occulter. Ainsi de cet enfant qui en séance élabore des constructions qui reposent toujours sur deux blocs, au lieu de faire des pyramides plus traditionnelles. La thérapeute apprendra des parents que l’enfant n’était pas seul in utero, mais qu’ils ont dû choisir de mener une seule grossesse à terme. «Il faut être dans le gain avec les familles, pointe encore la thérapeute. Il faut partir de ce qui marche. Quand je dis aux personnes, voilà vous avez une baguette magique, que voulez-vous changer, je dis bien qu’aucune faute n’a été commise, mais qu’on peut rêver de changer une chose en quelque chose d’autre. Il faut utiliser autrement toute cette énergie dépensée par exemple dans des disputes.» Outil privilégié par Edith Tilmans-Ostyn : les dessins. Parce qu’ils permettent ensuite à l’enfant de parler, de raconter une histoire, de dramatiser. «Un enfant avait dessiné quelques poissons voraces. Et aussi deux poissons rouges dans un bocal. J’ai demandé qui étaient ces prédateurs. C’était tous les gens qui intervenaient normalement pour le bien de la famille: les assistants sociaux, les éducateurs, le juge. Moi, j’étais représentée comme un poisson qui faisait un peu barrage entre les gros poissons et les poissons rouges (c’est ainsi que l’enfant avait représenté ses parents). Quand j’ai demandé à l’enfant où il était il m’a dit qu’il était le bocal. Vous vous rendez compte de ce que ça représente, un bocal, transparent, immobile!»

Les mots des autres

Un patient en souffrance peut tirer de grands bénéfices en côtoyant des personnes traversant la même épreuve. Bernard Fohn (La Citadelle) travaille avec des parents ayant perdu un enfant. Il anime en milieu hospitalier un groupe de soutien (donc sans visées thérapeutiques) mixte parents-professionnels de la santé.
«Pour des parents traumatisés, quel sens peut avoir l’encouragement déplacé d’un psychologue ou d’un médecin? Au contraire, dans un groupe, quand on est soi-même endeuillé, voir comment sont d’autres parents un an ou deux après le drame, c’est mille fois plus parlant et audible. Là, le message passe. Le travail a aussi une dimension de prévention transgénérationnelle par rapport à la problématique de l’enfant de remplacement. Les parents y restaurent de plus le lien avec la médecine et la santé.»
Psychologue et experte près les Tribunaux, Marie-Christine Gryson rencontre des enfants victimes de violences. Pour lutter contre leur perte de repères, les souvenirs et les images envahissantes (la psychotisation de l’imaginaire), elle a recours aux contes que les enfants créent collectivement. «On agit en créant» , dit-elle. Là, on contrôle les personnages. Les fées n’aident que les gentils. Elle veille à intervenir pour le rappeler à des enfants qui ont tendance à transformer abruptement les gentils en méchants et à faire ressusciter les méchants qu’ils viennent pourtant de faire disparaître. Heureusement, dans le conte créé par le groupe, le loup finit brûlé et découpé en morceaux. Il est hors de question qu’il prenne tout à coup les traits de l’agneau. «Dans le conte, tout est clair, tout s’explique, tout a un sens. Il y a une solution. On retrouve son autonomie mentale. L’identification à l’agresseur est mise à mal.»

Les métaphores pédagogiques

Certaines personnes sont figées dans des conflits. Elles parviennent à raconter ce qu’elles vivent, mais pas à l’analyser. Recourir à une histoire peut les aider. L’histoire permet de penser à soi sans se sentir sur la sellette. Elle devient levier de changement. Ainsi cette famille catholique divisée par les conflits avec laquelle Jean Van Hemelrijk (psychologue, psychothérapeute et formateur à l’approche systémique) revisite le destin de Caïn et Abel.
Il est des situations moins dramatiques où la «métaphore pédagogique» est fort utile. C’est ce qu’explique Pierre-Paul Delvaux (assistant pédagogique à l’ULg). «A la différence d’une métaphore littéraire comme «la terre est bleue comme une orange» qui provoque un sentiment d’insolite, la métaphore pédagogique recourt à du connu pour ouvrir à la connaissance de l’inconnu. Une célèbre métaphore pédagogique, c’est la pyramide alimentaire. Une pyramide, chacun voit de quoi il s’agit. Ce connu permet d’ouvrir à la connaissance des grands principes de l’équilibre alimentaire. La métaphore est une fusée éclairante utilisée en terrain inconnu voire hostile. Elle donne confiance. Elle permet de toucher l’autre positivement, dans son identité parfois.» Ainsi à des jeunes souffrant d’un déficit d’estime de soi, doutant de leurs capacités, Pierre-Paul Delvaux raconte-t-il l’histoire de la jarre fêlée qui se lamente de faire perdre de l’eau à son propriétaire. Mais sa fragilité justement permet au porteur d’arroser quotidiennement un serpentin de plantes le long de sa route.
Partir de ce que les personnes connaissent et de leurs compétences, c’est l’essentiel de la démarche de la Québécoise Josée Lamarre . «Je demande aux gens qui viennent me voir avec un problème ce qu’ils aiment, où ils se sentent bien et on essaie de transférer cette compétence dans la zone de problème. Un homme absent dans sa famille, effacé, à qui même le chien n’obéissait pas a pu construire une passerelle entre cette situation et sa pratique de planche à voile, là où il parvenait à tenir tête à la force du vent. »
Propos recueillis par Véronique Janzyk
Parole d’enfants asbl, rue Lambert le Bègue 14, 4000 Liège. Tél.: 04-223 10 99. Fondée en 1996, cette association est composée essentiellement de psychologues mandatés par le Service d’aide à la jeunesse et le Service de protection de la jeunesse pour rencontrer des enfants ayant une plainte de maltraitance et/ou d’abus, ou signalés à risques, ainsi que des membres de leur entourage. Elle organise des formations et des colloques.