Juin 2006 Par Christian DE BOCK Initiatives

Une entreprise aussi ambitieuse que le Plan national nutrition santé excite beaucoup de curiosité, et pose aussi pas mal de questions quant à sa faisabilité concrète, vu les nombreux objectifs et leurs multiples traductions en actions concrètes, le très grand nombre de parties prenantes à mobiliser sur un projet partagé, et la nécessité d’une bonne collaboration des différents niveaux de pouvoir qui conditionne tout autant sa réussite.
Education Santé a interrogé une incontournable en la matière en Communauté française, Cristine Deliens , responsable de l’asbl Cordes.
Education Santé: Depuis de nombreuses années, vous vous passionnez pour tout ce qui tourne autour de l’alimentation des enfants et des jeunes (1), et vous avez développé plusieurs projets de promotion santé en Communauté française, notamment en partant d’une approche sensorielle et non prescriptive de la nourriture, et aussi d’une vision globale de la santé nutritionnelle et de la qualité de vie dans les cantines scolaires.
Notre pays se dote enfin d’un outil complet de promotion de l’alimentation saine. Vous devez être heureuse?

Cristine Deliens: Heureuse je ne dirais pas mais en tous les cas curieuse de voir les résultats d’une initiative menée par le Gouvernement fédéral, qui rassemble des volontés politiques aux différents niveaux de compétence pour agir en faveur de la santé par la promotion d’une alimentation saine et de l’activité physique. Les recommandations de l’OMS et de l’Europe invitent en effet les pays à agir pour prévenir les problèmes de santé liés aux déséquilibres alimentaires et favoriser la santé nutritionnelle en général.
La Belgique a choisi de faire une sorte de plan cadre en la matière qui vise à la fois l’ensemble de la population et certains groupes spécifiques jugés prioritaires: les personnes âgées, les enfants et les jeunes, les femmes enceintes et les enfants de 0 à 3 ans. Et ça c’est intéressant car ces volontés politiques peuvent induire une certaine cohérence d’action entre les différents ministres et niveaux de pouvoir.
Comme pour tout projet, le temps à prendre pour le construire est sans doute l’ingrédient de base le plus important. Malheureusement, les agendas politiques ne sont pas toujours compatibles avec cette condition jugée nécessaire par bien des acteurs des secteurs concernés par la mise en place de ce plan national.

Le logo du PNNS

Il est composé des principaux éléments nécessaires à un mode de vie sain.

La forme jaune en V ajoute le dynamisme au logo. Le V est symbole de la vitalité, donc de la volonté de bouger, de faire de l’exercice. Le cœur rouge est un signe de bonne santé. Le trait bleu représente l’eau, un autre besoin essentiel et boisson saine par excellence. Le minois vert représente une pomme pour souligner que les fruits et les légumes font partie d’une alimentation saine. Le sourire enfin témoigne qu’une alimentation saine ne doit pas être synonyme d’une ambiance tristounette mais peut être associée à la joie de vivre.

Car, bien évidemment l’élaboration d’un plan demande du temps à la fois pour analyser les besoins réels des différents groupes de population en Belgique, pour partir des expériences existantes, identifier ce sur quoi on va agir, planifier et suivre le changement, orchestrer les complémentarités, etc.
Des inégalités et des différences se manifestent au travers de l’acte de se nourrir, de pratiquer un sport ou de l’exercice physique; les identifier, les comprendre, imaginer comment agir en impliquant les intervenants, les représentants des groupes concernés, cela demande une démarche de recherche et d’action qui ne se fait pas en deux coups de cuillère à pot! A mon avis, ce temps-là a manqué lors de l’élaboration du plan mais s’il s’agit d’un cadre fixant une politique publique à s’approprier au niveau des Communautés, alors tout est encore possible.
ES: Lors du lancement officiel du Plan par le Ministre Rudy Demotte , le 11 avril dernier, j’ai été frappé par le vif intérêt des médias présents à la conférence de presse. C’est plutôt encourageant, non?
C.D.: Ce n’est pas récent en tous les cas pour l’aspect nutrition: tout le monde a en tête des exemples d’alerte, de scandale, de résultat d’enquête, de découverte, etc. en la matière. Le thème de l’alimentation a fait par le passé la une des journaux ou des magazines en Belgique, continue d’être abordé et le continuera: manger est quand même une des activités de base de tout être humain. En plus la santé est et a été de tout temps un souci majeur des Belges. Elle est devenue aussi un argument de vente! Combien de publicités n’utilisent pas actuellement des allégations de santé qui introduisent une certaine confusion dans les choix des consommateurs?
Ceci dit, il est essentiel de travailler avec les médias pour toucher le maximum de publics et les informer de ce qu’une initiative politique existe pour mettre en place des mesures concrètes visant à améliorer la santé de tous et de chacun au départ de l’alimentation et de l’exercice physique. L’information et la communication autour du Plan national nutrition relayée par les médias sensibilisera les différents acteurs; mais cela pourra aussi contribuer à ce que chacun puisse exercer son rôle de citoyen et d’acteur collectif en exigeant par la suite des comptes sur ce qui a été fait à ce sujet.
Un groupe de travail sur l’information et la communication mis en place en janvier 2005 dans le cadre de cette initiative a d’ailleurs fait des recommandations pour sensibiliser et responsabiliser les médias aux objectifs de santé et de communication du plan. Il a cependant bien insisté sur la nécessité de compléter la démarche de communication des autorités par d’autres champs d’action pour rendre possible l’adoption de comportements alimentaires et d’hygiène de vie favorables à la santé: par exemple, l’accès et la disponibilité des produits, la législation, la composition plus saine des produits manufacturés, la politique budgétaire pour soutenir une offre alimentaire saine dans les écoles (des fruits et légumes gratuits ou à prix réduits, des conseils gratuits de diététiciennes pour établir des cahiers de charges pour les cantines de collectivités, etc.).
ES: J’ai aussi pu constater ce jour-là que seul le ministre fédéral de la santé était présent, alors que la collaboration active des Communautés, compétentes en prévention santé et pour l’enseignement et le sport, est évidemment indispensable. Cela contrastait avec la présentation quelques semaines auparavant des résultats de l’Enquête de santé publique par interview, où presque tous les ministres associés à l’enquête étaient de la partie, à l’exception d’Inge Vervotte (Communauté flamande). Pur hasard, ou cela cache-t-il selon vous des difficultés dans la concertation entre niveau fédéral et entités fédérées?
C.D.: Il n’est déjà pas évident de se concerter dans des structures relativement petites (je pense à une école par exemple!) alors au niveau des politiques de santé à définir entre ministres de différentes filiations, de différents niveaux de pouvoir, ayant des compétences définies mais qui doivent s’articuler pour viser des objectifs communs en matière de santé et nutrition, on peut imaginer que cela se complique encore davantage sans doute! Je crois cependant que si chacun respecte le cadre des compétences fixées et navigue dans les eaux qui lui correspondent en visant la complémentarité et la cohérence plutôt que la concurrence, des choses positives pourraient être aménagées. Un des ingrédients essentiels de la concertation, c’est par ailleurs, la représentation et l’écoute pour viser des décisions et des plans d’action plus cohérents et pertinents par rapport aux besoins et priorités.
Le Conseil supérieur de promotion de la santé de la Communauté française a fortement insisté dans un avis transmis à la Ministre Fonck sur le Plan national (un avis relayé par la suite au Fédéral) sur l’importance de la concertation – avant la mise en œuvre – avec les acteurs et institutions des secteurs publics et associatifs concernés par le plan et les futures mesures opérationnelles. Cela permettrait les ajustements de ce qui est prévu ou en cours sur base des besoins locaux et des différents groupes de population et sur base également des enseignements d’actions réalisées.
ES: Vous faites partie du comité directeur du Plan national. En quoi consiste exactement votre rôle?
C.D.: Ce comité s’est mis en place fin 2004 et depuis janvier 2005, j’ai participé à quelques-unes de ses réunions en tant que représentante de la Communauté française comme expert en promotion de la santé. S’y retrouvent à la fois des représentants politiques du fédéral, des communautés et des régions (cabinets ministériels) et quelques experts en diététique, en santé publique, en hygiène alimentaire, en nutrition appartenant au secteur public, universitaire ou privé ainsi que des consultants du ministère fédéral (le Vlaamse Instituut voor Gezondheidspromotie, qui est l’organe institutionnel de la Communauté flamande en matière de promotion santé, s’est retiré récemment du Comité directeur).
Si l’on en juge par les textes, ce Comité devrait tenir une multitude de rôles allant de l’approbation du plan à la validation des outils de communication, en passant par l’organisation et l’animation des groupes de travail, la définition de démarches, le suivi du plan, les communications du plan national à l’extérieur, etc.
Dans la réalité, il s’agit surtout d’un organe qui joue actuellement un rôle consultatif bien plus qu’un rôle décisionnel. Il est vrai que les cabinets ministériels impliqués au niveau communautaire et fédéral se réunissent pour accorder leurs politiques et préparer les conférences interministérielles (juin et décembre) où l’avancement de l’initiative est un des points à l’ordre du jour. Pour clarifier la situation, un organigramme précisant les responsabilités et fonctions des différents niveaux de pouvoir et des organes institués en lien avec le plan et sa gestion devrait être dressé car il est difficile de s’y retrouver même pour quelqu’un du dit Comité directeur…
ES: Le Plan 2005-2010 est le résultat de près de deux années de préparation, et Rudy Demotte soulignait que plus de 200 experts ont été consultés à un moment ou à un autre du processus, qui a impliqué aussi la tenue de 10 groupes de travail à un rythme soutenu. Vous retrouvez-vous dans le résultat final, ou plus exactement dans les priorités retenues pour des actions qui ne font que commencer?
C.D.: Partiellement, car le Plan a été amendé sans qu’il soit possible de visualiser les changements (relire 5 fois 160 pages, je passe mon tour!). En fait, le processus d’élaboration du Plan national nutrition a démarré par un document martyr réalisé par deux experts, qui a été commenté et amendé en partie par le Comité directeur pour être ensuite proposé comme base de travail aux groupes de travail établis par thématique ou par public (alimentation des 0-3 ans, dénutrition, étiquetage, jeunes, communication, etc.).
Les groupes de travail ont fonctionné à géométrie et à rythme variables pour établir chacun finalement un document de synthèse selon une grille préétablie avec des éléments problèmes, des facteurs déterminants selon les participants au groupe, la fixation d’objectifs et l’élaboration de recommandations pour les atteindre.
Ces documents de consensus (souvent produits par un petit groupe) remis en juin 2005, ont ensuite en principe servi à des reformulations du plan (accepté en décembre 2005). Ils ont aussi – en principe toujours – servi à formuler des mesures pour le plan opérationnel qui devrait, lui, être mis en œuvre par les différentes instances (fédéral, communautaire, régional…) .
Ce que je souhaite, c’est que ce plan opérationnel, défini principalement entre les instances fédérales et ministérielles, intègre réellement les propositions des groupes de travail et que ce soit ensuite de la responsabilité des Communautés et Régions de soumettre les actions de leur compétence à concertation pour les ajuster aux besoins, aux publics et aux réalités avec des acteurs et des représentants des publics et des secteurs concernés.
ES: A côté de deux axes très importants de communication au grand public, et de développement d’un cadre propice aux bonnes habitudes alimentaires et à l’activité physique chez les enfants et adolescents, le Plan prévoit un ‘engagement’ des acteurs du secteur privé.
Rudy Demotte soulignait que le PNNS français (qui a inspiré en partie le nôtre) avait fait l’impasse au départ sur cet acteur essentiel, et qu’il avait dû corriger le tir ensuite, étant donné l’impossibilité d’atteindre les objectifs nutritionnels sans l’apport ‘citoyen’ du secteur agro-alimentaire, de la distribution et de la restauration.
On a pu constater en effet une présence très active du secteur privé dans la préparation du Plan. Y voyez-vous un gage de réussite? Craignez-vous au contraire que cela brouille les messages, et que les intérêts sectoriels soient incompatibles avec les objectifs de santé du Plan?

C.D.: Je ne doute pas que le secteur privé puisse contribuer à la réussite du Plan mais j’insiste sur le fait qu’on mette plus clairement sur la table les différences d’enjeux de chacun: dans le secteur des services, un éducateur, un médecin, un journaliste, etc. ont chacun des objectifs et des modes d’action différenciés avec leur enjeu propre au service de la collectivité (éducation, soins, information…). Il en est de même pour un commercial, un producteur de l’industrie alimentaire ou d’équipement sportif qui ont eux pour enjeu commun de vendre.
Ces mêmes différences d’objectifs se retrouvent au niveau des modes d’action en soutien de la réussite du Plan et des actions qui seront mises en place. Chacun peut certes y contribuer mais dans sa spécificité: l’industrie alimentaire ne doit pas se convertir en acteur de l’éducation mais agir sur son propre terrain, à savoir la production de produits plus favorables à la santé, par exemple moins sucrés, moins gras, accessibles au plus grand nombre en terme de prix, respectant les principes de développement durable, etc.
De leur côté, les acteurs de promotion de la santé ne doivent pas se transformer en prescripteurs de comportements de santé mais favoriser l’expression, la prise en compte des besoins et la participation dans une dynamique de changement vers des habitudes de vie plus favorables à la santé.
Mais il y a à faire pour chacun sans aucun doute! L’important est de ne pas faire l’impasse sur cette spécificité. L’objectif premier de chaque secteur est un fait à reconnaître pour pouvoir agir si possible sur des terrains différents mais complémentaires pour contribuer à plus de santé pour tous et chacun par l’alimentation et l’exercice physique. De même pour chaque niveau de pouvoir et de compétence. C’est une concrétisation – à mon sens – du principe de subsidiarité cher à la promotion de la santé.
ES: Une dernière question. Votre équipe développera-t-elle un projet spécifique dans le cadre du Plan?
C.D.: C’est notre intention en effet. Le soutien à la politique de la Communauté française pour promouvoir des attitudes saines en matière d’alimentation et d’activités physiques est tout à fait dans la ligne du travail de notre asbl depuis de nombreuses années.
Nous planchons d’ores et déjà sur une sélection d’outils porteurs de démarches en faveur de la santé nutritionnelle et de l’activité physique. L’idée, au départ de réalisations comme les nôtres et celles de nombreux autres opérateurs francophones, est de soutenir le mieux possible les acteurs de la promotion de la santé à l’école dans une approche multifacettes du ‘manger-bouger’ qui visera à susciter des démarches participatives.
Un fameux défi pour tous… et nous en premier lieu! Propos recueillis par Christian De Bock
Cordes, Coordination Education & Santé, chaussée d’Alsemberg 284, 1190 Bruxelles. Tél. et fax: 02 538 23 73. Courriel: cordes@beon.be
(1) Voir entre autres:
 »A table les cartables’, évaluation d’un projet autour de l’alimentation des écoliers’ , C. Deliens, n° 190, mai 2004, p. 2 à 8.
‘Strasbourg et après? Un colloque pour améliorer l’alimentation à l’école et les choix sains des enfants et des jeunes’ , C. Deliens, n° 195, novembre 2004, p. 4 à 7.
‘Le bilan des ‘Midis à l’école » , n° 201, mai 2005, p. 5 à 14.