Février 2019 Par Colette BARBIER Réflexions

E-santé et promotion de la santé : un mariage fécond ?

Le Centre verviétois de promotion de la santé (CVPS) fête ses 20 ans d’existence. Pour célébrer cet événement, il a tenu une conférence dédiée à l’e-santé. Plusieurs intervenants sont venus apporter leur expertise sur les liens existants, et à créer, entre la santé connectée et la promotion de la santé.

Apparue il y a une dizaine d’année, l’e-santé se développe de plus en plus rapidement. Elle constitue probablement une voie royale pour épauler très efficacement la promotion de la santé dans sa mission. La santé connectée est en effet dotée de nombreux outils pouvant aider et encourager les individus à mieux prendre leur santé en main. Encore faut-il rester vigilant pour que cette évolution n’aggrave pas davantage les inégalités en tous genres, mais soit bien un moteur de progrès.

Pour mieux cerner les enjeux de l’e-santé, rien de tel que de revenir aux sources de la promotion de la santé.

Comme l’a rappelé Raffaele Bracci, coordinateur du CVPS, 1986 fut une année charnière en matière de santé avec la création, via la Charte d’Ottawa, de la promotion de la santé. Dans cette logique est apparue la notion d’empowerment, ce processus visant à donner aux individus les moyens d’assurer un plus grand contrôle sur leur propre santé et d’améliorer celle-ci. Une double nécessité vit alors naturellement le jour, celle d’agir sur les déterminants de santé et de réduire les inégalités sociales.

C’est dans ce tout nouveau paysage que les neufs Centres locaux de promotion de la santé furent créés en Région Wallonne, dont le Centre verviétois en 1998. Subsidié et agréé par la Région Wallonne, avec le soutien de la Province de Liège et de la Ville de Verviers, « le Centre verviétois de promotion de la santé a su, au fil du temps, prendre sa place dans le domaine de la santé, se réjouit Robert Botterman. Il est maintenant reconnu pour ses actions et sa compétence à accompagner les différents services et institutions qui font appel à lui. Il compte une cinquantaine de partenaires dont la Province de Liège, la Ville de Verviers, des institutions hospitalières et de soins, des mutuelles et une trentaine d’associations et services divers. Son champ d’intervention couvre la partie francophone de l’arrondissement de Verviers, à savoir vingt communes francophones pour à peu près 220.000 habitants. »

Littératie en santé

Il y a quelques années, la notion de littératie en santé est apparue. Elle désigne la capacité d’une personne à trouver, comprendre, évaluer et utiliser l’information sur la santé afin de prendre des décisions éclairées concernant sa propre santé ou celle d’un proche. « Pratiquement, c’est par exemple la capacité de prendre un rendez-vous, précise Raffaele Bracci, coordinateur du CVPS. C’est également savoir partager son cursus de santé avec des professionnels de santé, accéder aux services ad hoc, aux bons médecins, favoriser les comportements propres à une bonne adhésion thérapeutique, adopter ou maintenir des comportements de santé, mieux gérer sa maladie chronique, mieux prendre en compte les conseils des professionnels de santé, savoir accéder à des infos en ligne, notamment dans le cadre du dossier médical personnalisé. »

La littératie est bien sûr une notion cruciale aujourd’hui face au développement fulgurant de l’e-santé qui est définie comme les services et informations en matière de santé fournis via Internet et les technologies apparentées afin de soutenir les soins de santé ou les améliorer. Raffaele Bracci rappelle que dans le plan d’action e-santé fédéral 2013-2018, parmi les vingt points d’action concrets, deux sont particulièrement en lien avec la promotion de la santé : « L’accès des patients à leurs propres données médicales et les applications de santé mobile (mobile health). Le but de ces deux points étant de soutenir la littératie en santé des patients. »

Malgré cette volonté de renforcer l’éducation thérapeutique du patient, en favorisant notamment les techniques de dépistage, en soutenant le diagnostic et le traitement, le coordinateur du CVPS pose néanmoins plusieurs questions : « Si l’équité est bien mise en avant, tous les publics ont-ils réellement accès à l’information ? Qu’en est-il des niveaux préalables de littératie en santé qu’il faudrait pour pouvoir accéder et comprendre l’information ? »

Littératie en santé digitale

Denis Mannaerts, Directeur de l’asbl Cultures & Santé, pose également des questions, notamment celles de savoir si les technologies liées à l’e-santé vont réellement agir sur les déterminants de santé et contribuer à réduire ces inégalités ? Pour répondre à cette question, il fait appel à la notion de littératie en santé adaptée à l’univers numérique et digital.

Au-delà des compétences de base propres à la littératie en santé (lire, écrire, s’organiser, s’orienter, interagir avec les acteurs de soins, comprendre l’information, avoir un esprit critique…), le domaine de l’e-santé exige de nouvelles compétences : « Il faut non seulement accéder à la technologie via l’achat d’un smartphone, d’un ordinateur, mais aussi pouvoir utiliser ces appareils et leur contenu en sachant que le monde numérique est en constante évolution, analyse Denis Mannaerts. Nous sommes également amenés à maîtriser une langue véhiculaire et technique, différente du français, ainsi que des codes culturels propres au numérique. Il faut pouvoir évaluer, critiquer, trier des informations qui se densifient, se complexifient, se contredisent et derrière lesquelles se cachent souvent des intérêts commerciaux. »

40% en difficulté

Malheureusement, des enquêtes de la Mutualité chrétienne montrent que 40% de la population rencontre des difficultés pour mobiliser des capacités en littératie en santé. « Sans surprise, la population concernée vit dans des conditions socioéconomiques précaires, détient un diplôme de faible niveau et rencontre davantage de difficultés dans la vie », constate le directeur de Cultures & Santé.

Responsabilisation individuelle

Denis Mannaerts attire l’attention sur le fait que ces nouvelles technologies pourraient entraîner les individus dans une logique individualisante. « Nous glissons d’une responsabilité collective qui exige de mettre en place des moyens structurels pour que les conditions des personnes s’améliorent, vers une responsabilisation individuelle. Chacun va devoir, à travers la technologie, suivre un comportement adapté. Il y a un risque de disqualification sociale des personnes ayant un moins bon niveau de littératie numérique. D’autre part, n’allons-nous pas entrer dans un monde de plus en plus anxiogène où tout sera paramétré, mécanisé, où il faudra être connecté de manière constante ?

Soutien nécessaire

Les actions sur la littératie en santé doivent donc à la fois augmenter les compétences des personnes dans le domaine de l’e-santé et agir sur les conditions de leur exercice. « Dès le plus jeune âge, il faut mettre en œuvre des programmes permettant de développer la littératie en santé, tout en sensibilisant à l’évaluation et à la critique de l’information. Cela doit se faire à l’école, mais aussi tout au long de la vie en créant des espaces collectifs d’apprentissage dans des associations d’éducation permanente, d’alphabétisation, de formation continue, etc. Il est très important de veiller à la précaution universelle et donc d’adapter les technologies et les contenus aux réalités socioculturelles. Il ne faut pas tout livrer au numérique mais maintenir, voire développer des offres et accompagnements humains. Aussi devons-nous questionner la place des technologies dans les processus de promotion de la santé. Quand sont-elles vraiment pertinentes et quand sont-elles juste un écran de fumée ? »

L’e-santé ou le présage d’un basculement

Le Professeur Philippe Coucke, Chef du service de radiothérapie au CHU de Liège, est, quant à lui, venu donner sa vision de la médecine, telle qu’il la voit dans quelques années. « L’écosystème des soins dans lequel nous vivons aujourd’hui n’est plus durable, affirme-t-il. Plusieurs facteurs montrent qu’un changement est inévitable. Entre 2004 et 2050, le nombre de personnes de plus de 65 ans aura doublé. À cet âge, les pathologies chroniques et les polypathologies sont nombreuses, et coûtent de plus en plus cher à nos sociétés. Ce ‘tsunami gris’ touchant également les professionnels des soins, nous allons en plus au-devant d’une énorme pénurie en matière de professionnels de soins. »

Génération Y et Z

Les jeunes des générations YNote bas de page et ZNote bas de page rendent inévitable la marche vers la santé connectée. « Leur relation à la technologie est celle de l’hyperconnexion, confirme le spécialiste. Ils utilisent la technologie numérique de manière intuitive et permanente. Totalement addicts au clic, ils veulent tout de façon instantanée. Cette relation à la technologie ouvre la porte au patient connecté qui devient un objet connecté dans l’Internet des objetsNote bas de page. »

La marche en avant du 7ème continent

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Mega Pharma, Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft, Alibaba, Netflix, Airbnb, Tesla, Uber… Ces grands noms ont en commun d’investir annuellement des milliards de dollars dans l’intelligence artificielle et l’accumulation de données. « Ils sont en train de réaliser une OPANote bas de page sur les soins de santé, affirme le Pr Coucke. Dans un futur proche, on peut très bien imaginer des patients qui, après s’être informés auprès de leur Apple Chatbox sur un problème de santé, se verront orientés vers un hôpital géré par Amazon où ils recevront des médicaments produits par Google. »

La standardisation des échanges de données et l’utilisation du cloud pour ces échanges de données préfigure de grands changements. « L’imposition de nouvelles technologies, comme le cloud, permet une approche beaucoup plus holistique en matière de santé, un investissement dans la médecine préventive et le développement de l’empowerment du patient. Nous nous dirigeons vers une nouvelle relation entre le soigné et le soignant, avec une démocratisation et une généralisation de la médecine connectée qui sera incontournable face à la pénurie financière et au manque de ressources humaines.»

Serait-ce la fin du modèle médical de type curatif ? « Il va disparaître car il se révèle peu efficace. Mais la culture médicale n’est pas prête pour ce genre de révolution. Il faudra donc investir dans ce nouveau modèle sans enlever la prise de l’ancien. Tout va aller très vite. Nous allons basculer d’un modèle à l’autre, très probablement avec beaucoup de mal et de grincements de dents. Nous n’aurons pas le choix car nous sommes soumis au déterminisme technologique. La technologie s’impose à nous.»

Deux applications numériques très intéressantes

Comunicare : soutien au traitement contre le cancer et l’insuffisance cardiaque

La plateforme Comunicare a été créée au départ d’un simple constat : « Lors d’une consultation d’annonce de cancer, le patient ne comprend que la moitié des termes, explique Alfred Attipoe, directeur de Comunicare Solutions. Or, la littérature médicale et scientifique montre qu’un patient qui comprend bien son traitement peut mieux se soigner. »

C’est pourquoi l’équipe de Comunicare a choisi de définir un concept d’accompagnement permettant au patient, dans un contexte de traitement long, d’être accompagné par une série d’informations et de communiquer son ressenti à l’équipe soignante, afin de faciliter l’adhésion au traitement. Cette idée existe déjà dans certaines disciplines faisant usage du carnet de liaison. « Nous avons simplement décliné ce carnet de liaison papier en application mobile. » Concrètement, l’application donne accès à différentes informations comme le traitement (chimiothérapie, radiothérapie, etc.), la description des effets secondaires éventuels, ainsi que des recommandations pour tenter d’y faire face.

L’application encourage le patient à surveiller son poids, à prendre ses médicaments, à noter ses rendez-vous dans l’agenda.Autre avantage, la plateforme est munie d’outils destinés à fédérer le patient, son entourage et le personnel soignant. « Les proches du patient peuvent également avoir accès à toutes les informations nécessaires pour lui offrir la meilleure aide possible. Par ailleurs, la plateforme permet aux soignants de recueillir un certain nombre de données transmises par le patient. Ils peuvent ainsi mieux évaluer la prise en charge thérapeutique et prévenir les situations à risque. »

L’outil est actuellement expérimenté sous forme de projet-pilote au CHU de Liège et Saint-Pierre, en oncologie. Une application mobile sera bientôt fonctionnelle pour les patients souffrant d’insuffisance cardiaque.

Help-Ados évalue les comportements à risque

Jérôme Gherroucha, psychologue et directeur du Pôle enfants/adolescents, département des Affaires sociales en Province de Liège, collabore au développement d’une application numérique destinée à établir, non pas un diagnostic, mais un bilan de risque du comportement de l’adolescent pour déterminer vers quel spécialiste l’orienter ensuite.

Help-Ados a été créé par le Dr Xavier Pommereau, chef du Pôle aquitain de l’adolescent au CHU de Bordeaux. « En tant que service public, nous voulons outiller un maximum d’intervenants, non seulement les généralistes, mais aussi les psychologues, les travailleurs sociaux, pourquoi pas les éducateurs, bref un large public, et cela de manière gratuite et dans différents secteurs comme la santé, l’aide sociale et à la jeunesse, l’enseignement, les maisons de jeunes… ». Installés dans une même pièce, le professionnel de la santé et l’ado, sont tous les deux équipés d’un smartphone.

« L’application est utilisée pendant quinze minutes maximum et sert de tiers médiant pour entrer en contact avec le jeune dans deux types de situation : d’une part, lorsque le professionnel ne connait pas bien le jeune, le smartphone joue le rôle de ‘doudou’ auprès de celui-ci et facilite l’entrée en contact pour aborder des questions délicates. D’autre part, l’appli aide les soignants à aborder des thématiques qu’ils ne maîtrisent pas. »

L’outil est adapté aux pratiques des ados dans le domaine du numérique et est conçu pour aborder le plus efficacement possible différentes thématiques, de manière très tactile « Il est plus facile de poser des questions délicates avec cette application. Par exemple, ce n’est pas évident pour un professionnel de demander à une fille de 13 ans si elle a eu des rapports sexuels. Avec l’appareil, ça ne pose pas de problème. L’ado y répond aussi plus facilement. »

Neuf thématiques peuvent être abordées : consommation d’alcool, de cannabis, troubles du comportement alimentaire, auto-mutilations, addictions aux substances et aux pratiques, dépression, sexualité et risque suicidaire.Des questionnaires, pouvant être menés de différentes manières, notamment en fonction du profil du jeune, permettent de classer le comportement du jeune selon quatre critères : à surveiller, inquiétant, grave, très grave.

« Une fois le questionnaire terminé, il est recommandé au professionnel de débriefer avec le jeune car nous avons constaté que les ados ont besoin de savoir ce que révèle le test. L’échange et la discussion sont de cette manière favorisés. Le jeune peut repartir avec le questionnaire et ses réponses, et les soumettre à un généraliste ou un spécialiste. »

Cette application a par ailleurs l’avantage de renvoyer le professionnel à une bibliographie d’outils disponibles sur Internet. « Il peut ainsi creuser certaines questions dans une optique de formation continue. »

Help-Ados est actuellement utilisé en phase de test en province de Liège. « Le projet devrait s’étendre à la région de Namur via le Réseau Santé Kirikou et du Luxembourg. L’idéal serait de le tester au niveau de toute la fédération Wallonie-Bruxelles. »

Centre verviétois de promotion de la santé ASBL (CVPS)

Rue Xhavéee 214800 VERVIERSTél. : 087 35 15 03Site internet : www.cvps.beMail : info@cvps.be

Naissance entre 1980 et 1995

Naissance à partir de 1996

L’Internet des objets (IdO) caractérise des objets physiques connectés ayant leur propre identité numérique et capables de communiquer les uns avec les autres. Les objets connectés produisent de grandes quantités de données dont le stockage et le traitement entrent dans le cadre de ce que l’on appelle les big data. Le phénomène IdO est très visible dans le domaine de la santé et du bien-être avec le développement des montres connectées, des bracelets connectés et d’autres capteurs surveillant des constantes vitales. Le nombre d’objets connectés devrait largement augmenter au fil des ans.

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