Il est de bon ton, lorsqu’on lance une campagne d’information et de sensibilisation concernant une question de santé publique comme la consommation d’alcool chez les jeunes, de simplifier à outrance, d’alarmer par des images et des idées chocs, et de faire la mise au point sur la partie la plus sombre et la plus inquiétante du problème.
La médecine et particulièrement celle qui “traite” de la santé mentale est une science complexe car humaine. Puisqu’il s’agit d’informer des dangers potentiels de la consommation abusive de l’alcool, il est de notre devoir de rappeler que la grande majorité des Belges, jeunes et moins jeunes, ont une consommation d’alcool raisonnable, qui tient compte de ses dangers et que l’usage d’alcool n’est pas toujours nocif ou problématique. Notons cependant l’important coût social et sanitaire des consommations inadaptées. C’est ce qui justifie bien entendu le thème de campagnes comme celle d’iDA (asbl information sur les Drogues et l’Alcool). C’est un exercice difficile car il s’agit en même temps de frapper les esprits, en un temps malheureusement limité, et de tenter de faire réfléchir longtemps!
De plus, l’alcool est une drogue qui a une place tout à fait particulière dans notre société. Pour la majorité des gens, consommer de l’alcool fait en partie des petits et des grands moments de la vie. Sur le plan des représentations, l’alcool, contrairement aux autres drogues, jouit d’une image très positive et culturellement bien ancrée, cette image étant particulièrement exaltée par les publicités et le marketing.
Pour les jeunes, certaines limitations légales existent mais il est évident que, malgré celles-ci, l’alcool est disponible sous toutes ses formes, quasiment partout et pour tous.
Éviter les usages “problématiques”
Pour une minorité, la consommation d’alcool peut poser certains problèmes au niveau de la santé et de la sécurité. Il existe un continuum entre une consommation «non-problématique», «normale», gérée et bien intégrée socialement, et qui concerne la majorité des gens, adultes et jeunes, et une consommation à risque pouvant mener à l’utilisation problématique de cette drogue.
L’expression “usage problématique” recouvre différents comportements de consommation:
-le plus souvent on entend par là une consommation de longue durée pouvant mener à la dépendance ou l’abus avec des conséquences parfois graves pour la santé du consommateur et pour son intégration sociale, professionnelle et familiale;
-on parle aussi de consommation problématique en cas d’usage dans des circonstances ou des lieux inappropriés (par exemple sur le lieu de travail ou en conduisant un véhicule);
-on pourra aussi parler d’usage problématique lorsque l’excès de la consommation est liée à une crise passagère d’un individu.
Les causes de la consommation problématique ne résident pas, bien entendu, dans les caractéristiques intrinsèque de l’alcool. Elle résulte plutôt de la combinaison de différents facteurs: quantité et durée de la consommation, facteurs familiaux, biologiques, culturels, en résumé, l’histoire personnelle de chaque consommateur.
Jeunes et alcool
Pourquoi la campagne iDA 2009 (1) s’adresse-t-elle aux jeunes de 12 à 35 ans alors que la grande majorité des problèmes les plus graves surviennent plus tard dans la vie adulte?
D’abord parce que ces tranches d’âge sont particulièrement visées par le marketing et la publicité, et ce sans considération des conséquences des usages inadaptés.
Certaines études rétrospectives (c’est-à-dire chez des alcooliques) semblent montrer que des problèmes d’abus et de dépendance sont plus fréquemment liés à des consommations précoces, comme c’est par ailleurs le cas avec toutes les drogues.
Cette campagne s’adresse aussi aux jeunes parce que le jeune est un adulte en voie de développement et que cette phase de la vie est une phase très sensible du développement psychologique et neuro-physiologique.
Mais encore et enfin parce que les intoxications aigües, pour lesquelles on a créé un nouveau concept, un nouvel emballage, le “binge drinking”, ont augmenté en fréquence ces dernières années parmi les jeunes consommateurs à l’étranger (Royaume-Uni et Hollande) et qu’il est important de tenter de prévenir cette dérive en Belgique.
Au sein de ce groupe des 12-35 ans, on parlera donc plus d’usage à risque et d’abus que de dépendance.
Des risques différenciés selon l’âge
Il est de tradition de diviser ce groupe en deux sous-groupes, les moins de 16 ans et les 16-35, même si cette division est arbitraire et estompe artificiellement la complexité du problème, ses nuances et le continuum.
Énumérons brièvement les risques “socio-sanitaires” auxquels ces deux sous-populations sont exposées en cas d’usage problématique (excessif et prolongé) d’alcool. Je précise cela pour éviter l’interprétation selon laquelle un verre d’alcool provoquerait à coup sûr la totalité de ces effets!
Pour le groupe des moins de 16 ans, différentes observations et études ont noté les possibles effets suivants:
-éventuels effets négatifs sur le développement du cerveau. Les enquêtes montrent un lien entre certaines altérations des fonctions supérieures et la consommation régulière et excessive; ces altérations ne sont pas automatiques car d’autres facteurs entrent également en ligne de compte: comportement, environnement, facteurs génétiques, autres consommations;
-effets immédiats sur les comportements en cas d’abus et d’ivresse que l’on dit pathologique dans le langage médical; comme les risques d’accidents, de blackout, de relations sexuelles non protégées car sous influence toxique avec grossesse non désirée et transmission de maladies infectieuses;
-effets sur la santé mentale. Il est nécessaire de rappeler que boire ne fait pas bon ménage avec les problèmes psychologiques car cela a plutôt tendance à les aggraver; certains troubles (dépression, psychoses) peuvent même être induits par les consommations régulières;
-effets à plus long terme. Une série d’études montrent qu’un début de consommation précoce est un facteur de risque pour le développement ultérieur d’une dépendance.
Pour ce groupe des moins de 16 ans, le conseil de bon sens semble simple: ne pas boire. Mais la réalité est plus complexe. Il faut donc travailler sur les représentations de la consommation d’alcool et le «trop boire» avec les jeunes eux-mêmes, de même que l’attention et la vigilance des adultes de référence (famille, enseignant et adulte de confiance) doivent être en alerte devant une consommation habituelle, régulière, d’un moins de 16 ans.
Pour le groupe 16-35 ans, s’ajoute cette tendance préoccupante dont on parle beaucoup depuis quelques années, que les anglo-saxons appellent le ‘binge drinking’ et que l’on traduit maintenant en français par «beuverie ou biture express».
Cette recherche d’une ivresse ultra-rapide et massive est un phénomène qui n’est pas neuf, qui existe épisodiquement chez nous mais qui devient de plus en plus fréquente à l’étranger. Il s’agit d’une consommation de très importantes quantités d’alcool (4 à 10 consommations) sur une période relativement courte (1 à 2 heures).
Les conséquences négatives de ces comportements peuvent être très nombreuses: maximalisation des comportements à risque, troubles cardiovasculaires, gastriques, intestinaux, et respiratoires pouvant aller jusqu’au coma, la gravité et la fréquence dépendant de la quantité et de la résistance individuelle à l’alcoolisation massive.
Le côté ludique ou la mise au défi sont le plus souvent présents (il s’agit d’une activité de groupe) mais les conséquences pour la santé et la sécurité sont importantes dont le risque de développer une dépendance.
La communication de masse ne suffit pas
Des campagnes ne vont pas changer à elles seules les comportement des jeunes; elles doivent être considérées comme un point de départ pour un travail de fond qui implique les jeunes eux-mêmes, en tout premier lieu, mais aussi les enseignants, les adultes ressources au contact permanent avec les jeunes ainsi que les premières lignes socio-sanitaires, en particulier les médecins généralistes; certains remarqueront quelques nuances entre francophones et Flamands dans la manière de décliner ces objectifs. Qu’ils soient cependant convaincus que les deux communautés partagent la conviction que la promotion de la santé est la base essentielle des changements visés.
Dr Serge Zombek , Président d’iDA
Intervention faite à l’occasion du lancement de la campagne ‘Ne vous racontez pas d’histoires’
(1) Voir notre article ‘Ne vous racontez pas d’histoires’ dans le numéro 246 de juin 2009 ( http://www.educationsante.be/es/article.php?id=1133 ).