Avril 2017 Par Anne LE PENNEC Initiatives

Propos recueillis par Anne Le Pennec

Éric Breton est enseignant-chercheur, titulaire de la chaire INPES «Promotion de la santé» à l’École des Hautes Études en Santé Publique (EHESP) à Rennes (France). Nous ne pouvions manquer de faire appel à lui pour ce numéro spécial d’Éducation Santé. Nous lui avons posé quatre questions.

Éducation Santé: Selon vous, il y aurait un malentendu autour de la Charte d’Ottawa. Quel est-il?

Éric Breton: Ce n’est pas un grand malentendu mais tout de même. On parle de la Charte d’Ottawa depuis des années et en particulier de ses cinq leviers d’action. En réalité, ces leviers ne disent pas grand chose de concret aux acteurs de la promotion de la santé.

Il faut se souvenir que ce texte a été rédigé dans l’idée qu’après une dérive vers la biomédicalisation, il fallait réorienter l’action en santé. Au fond, il dit que ce n’est pas en mettant tous les moyens dans les soins que l’on parviendra à améliorer la santé des populations.

Ma lecture de la charte n’est pas opérationnelle. J’y vois une carte des déterminants de santé des populations. C’est une affirmation importante et un guide essentiel pour l’action mais sans cap opérationnel.

Elle pose aussi des principes pour l’action, un cadre de valeurs qui au fond sont des valeurs démocratiques et humanistes. Mais elle ne va pas au-delà et laisse les gens quelque peu sur leur faim, désarmés.

ES: Quels outils vous paraissent pertinents pour agir en accord avec ces principes et valeurs?

EB: Ils sont nombreux, de même que les actions déployées sur le terrain, dans les quartiers, au plus près des populations pour améliorer leur santé. Mais il y a eu, je crois, beaucoup d’interventions fondées sur des intuitions qui, tout en s’avérant aujourd’hui tout à fait justes, n’étaient pas confirmées par la science.

Je pense par exemple au principe de participation des populations dans la définition et le déploiement des projets. Nous avons aujourd’hui les preuves que cela renforce l’efficacité des actions et favorise la persistance des effets dans le temps.

Pourtant, la science a peu suivi pour éclairer les pratiques. Je pense que nous devons maintenant mettre l’accent sur la compréhension des mécanismes capables de changer les politiques publiques, créer des environnements favorables ou renforcer l’action communautaire, pour ne citer que ces trois axes de la charte. Nous devons développer des approches plus rigoureuses.

L’action communautaire comme elle se pratiquait à l’époque d’Alma Ata, à la fin des années 70, reste un levier pertinent, surtout si on y met de la science et que l’on convoque des approches qui s’émancipent d’une perspective de causalité linéaire pour mieux comprendre les rouages de la mobilisation de la population et comment celle-ci peut produire des améliorations de la santé.

Il nous faut des modèles pour être en capacité de répliquer les expériences positives. Pour cela, nous devons aller au-delà de la description par le récit pour aller chercher le ou les ingrédients actifs, qui génèrent les effets, et comprendre comment transposer les expériences heureuses dans d’autres contextes et à d’autres populations. Cela implique de disposer de nouveaux modèles et devis d’évaluation, autres que ceux du modèle biomédical. Des travaux en sciences de l’évaluation vont dans ce sens et méritent d’être soutenus.

ES: La promotion de la santé n’en a donc pas terminé avec le modèle biomédical?

EB: Effectivement. Nous avons toujours une lecture biomédicale des actions, qui nous pousse à la simplification. Cela ne peut pas marcher, entre autres parce que nos actions visent des populations, pas des individus. Heureusement, les formations en santé publique commencent à s’émanciper des facultés de médecine.

Les fonds de recherche, eux, restent encore dominés par les sciences biomédicales, où la promotion de la santé est soit invisible, soit jugée négativement. La composante sociale de nos approches suscite toujours beaucoup d’incompréhension dans les instances qui allouent les budgets. Récemment encore, j’ai entendu un chercheur se demander à quoi bon financer un projet dont un des volets consiste à organiser des réunions avec des habitants…

ES: À votre avis, où se situe l’avenir de la promotion de la santé?

EB: Grâce au développement des connaissances sur les déterminants de santé, nous sommes aujourd’hui moins naïfs qu’il y a 30 ans. On sait notamment le poids du logement, du transport, de la solitude, etc. Le monde de la santé voudrait que les autres secteurs viennent à elle, incluent cette préoccupation dans leurs projets. Mais nous devons nous aussi nous intéresser à leurs domaines, participer à leurs réunions, faire connaissance avec leurs outils. La promotion de la santé a tout à y gagner.

Par ailleurs, nous vivons une période de transformation des modèles de gouvernance pour relever les défis de notre époque. Travailler en silos comme nous en avions l’habitude jusqu’ici n’est plus opérant. Face au réchauffement climatique ou au chômage persistant par exemple, l’intersectorialité à tous les niveaux – national, territorial, local – s’impose. Cet objectif est l’un de ceux que poursuit l’Organisation des Nations Unies en matière de développement durable. La déclaration de Shanghai, signée en novembre 2016 à l’issue de la neuvième Conférence mondiale sur la promotion de la santé, fait le pont en affirmant que la santé et le bien-être sont essentiels pour réaliser son ambition de développement durable à l’horizon 2030.