Mai 2006 Initiatives

Un constat inquiétant

Les jeunes sont d’importants consommateurs de boissons alcoolisées – surtout bières et alcopops. Les filles ne sont pas en reste même si elles en consomment une moindre proportion. Une récente enquête du CRIOC menée pour la Fondation Rodin, révèle des résultats préoccupants…

Que boivent nos adolescents et dans quelles circonstances?

En 2005, 2196 jeunes Belges âgés de 10 à 17 ans ont été interviewés sur leur consommation d’alcool. 40% des jeunes déclarent consommer des boissons alcoolisées. Plus de garçons (45%) que de filles (36%) boivent de l’alcool, et davantage de néerlandophones (44%) que de francophones (36%).
Une autre forte tendance révélée par cette étude concerne le type d’alcool consommé: 70% des jeunes boivent de la bière, 49% des alcopops. Le goût sucré de ces boissons appelées aussi ‘ready to drink’ ou ‘breezers’, encourage les jeunes à consommer de l’alcool.
La consommation d’alcool chez les jeunes est très souvent associée à la notion de fête. La quantité de verres bus est presque deux fois plus importante le week-end (4.2 verres) qu’en semaine (2.7 verres).

La consommation d’alcool: un rite initiatique d’intégration familiale

La plupart du temps, c’est la famille ou les copains qui initient le jeune à l’alcool. Selon leurs dires, les jeunes interviewés ont été initiés aux boissons alcoolisées par des copains (une fois sur trois) ou leurs parents (deux fois sur cinq).
Il existe un lien entre la consommation d’alcool chez les parents et celle des jeunes. En effet, dans une famille où les parents, les amis ou la fratrie boivent, 55% des jeunes déclarent consommer de l’alcool, contre 27% dans une famille où les parents ne boivent pas.
La consommation d’alcool chez le jeune relève avant tout d’un comportement social, à l’intérieur de la famille pour l’apprentissage de consommation de vin, ou parmi ses pairs pour l’apprentissage de consommation d’alcopops. Par ailleurs, aux yeux des jeunes, la consommation d’alcool ne constitue pas un comportement à risque.
Les habitudes de consommation apparaissent très tôt. Ainsi, la consommation débute souvent durant la pré- adolescence. Le rôle des parents est donc déterminant dans la phase de primo consommation qui démarre autour de 11-12 ans. Le premier pas vers la prévention de l’alcoolisme des enfants réside bien dans l’information que les parents dispensent aux enfants.

Initiatives de pouvoirs publics pour prévenir l’alcoolisme des jeunes

Limiter la consommation d’alcool chez les jeunes relève d’un souci de santé publique. En Europe, 1 décès sur 4 parmi les 15-24 ans est imputable à l’alcool. C’est pourquoi les autorités doivent protéger les jeunes consommateurs des incitations à la boisson et encourager les parents à jouer leur rôle d’éducateurs, et les professionnels à respecter scrupuleusement la réglementation relative à la vente d’alcool aux mineurs.
Le 12 mai 2005, une convention tripartite avait été signée entre les organisations de consommateurs, le Ministre de la santé publique et les fédérations de producteurs et de distributeurs spécialisés, incluant l’Horeca. Cette convention est à présent traduite en projet de loi visant à instaurer un cadre juridique légal pour la publicité relative à l’alcool et visant les jeunes.

Vente d’alcool aux mineurs: 9 points de vente sur 10 vendent des boissons alcoolisées aux jeunes de moins de 18 ans!

Dans le même mouvement, le CRIOC a réalisé une étude visant à évaluer le respect de la législation en matière de vente d’alcool (bière et alcopops) aux mineurs. Le moins qu’on puisse dire est que la réglementation n’est pas très respectée.
Un ‘mystery shopping’ a été réalisé, sous la supervision du CRIOC, par de jeunes acheteurs (12 – 14 ans) auprès de 153 points de vente à travers tout le pays, début janvier 2006. Il s’agissait pour les jeunes acheteurs, de tenter d’acheter une bière et un alcopop. En cas de refus, ils testaient l’argumentaire ‘C’est pour mes parents’.
Sur le terrain…
92% des points de vente visités ont vendu sans réserve de la bière aux jeunes (ce qui est autorisé); 91% ont vendu également sans réserve des alcopops (ce qui est interdit). En cas de refus, l’argument ‘pour les parents’ fut accepté par un point de vente sur 100. Il n’y a donc pas tellement de différence entre la vente de ces deux produits, l’une autorisée, l’autre interdite, ce qui démontre une grande confusion dans l’application de la réglementation.
Dans certains points de vente, les caissiers ont manifesté un comportement inattendu: vente malgré un sérieux doute ou malgré une interdiction affichée à l’entrée, interdiction sélective selon la caisse de passage…
Dans un supermarché, limonades, jus de fruits et alcopops se trouvaient au sein du même rayon, contrairement au code de bonnes conduites signé par les distributeurs avec les organisations de consommateurs…
Manifestement la législation en matière de vente de bière et d’alcool est méconnue et mal respectée. Certains vendeurs acceptent de vendre, alors qu’ils sont visiblement conscients des conséquences de l’alcool sur les jeunes. Ils manifestent une connivence avec le jeune acheteur. Une argumentation entendue dans leur chef est qu’ils ne peuvent pas vérifier la carte d’identité de chaque mineur. Cependant la loi doit être respectée par tous. S’il n’est pas possible de la (faire) respecter, il vaut mieux s’abstenir de l’enfreindre et ne pas vendre ces produits.

Recommandations

Consommer de l’alcool ne conduit pas nécessairement à sombrer dans l’alcoolisme. Toutefois, les études récentes montrent que le jeune n’est pas suffisamment conscient des dangers liés à l’alcool et que ceux qui commencent à boire jeunes sont plus sujets à l’alcoolisme une fois adultes.
C’est pourquoi les pouvoirs publics et les acteurs de la santé doivent à la fois encourager les comportements positifs des vendeurs responsables, et renforcer les amendes en cas de non-respect de la législation. De plus la réglementation en matière de vente de boissons alcoolisées doit être harmonisée pour éviter toute confusion. Quant aux entreprises, il leur revient de traduire leur responsabilité sociétale par des actions concrètes et transparentes sur le terrain.
D’après deux communiqués du CRIOC

Une réaction du Groupe porteur ‘Les jeunes et l’alcool’

Les résultats présentés par le CRIOC confirment des tendances déjà connues et qui doivent préoccuper les partenaires éducatifs. Ils mettent en lumière de nouvelles pratiques, notamment en matière de consommation d’alcopops, et des données plus précises relatives à la consommation d’alcool des plus jeunes (10-12 ans). L’ensemble de ces résultats peut nous aider à affiner nos stratégies éducatives.
Si nous partageons avec les auteurs l’intérêt pour ce genre d’enquête sur le jeune, sa consommation et sa perception de l’alcool, nous regrettons vivement que leurs commentaires et conclusions passent sous silence l’influence de l’industrie de l’alcool alors que nous savons que les alcooliers mènent sciemment des stratégies pour féminiser et rajeunir la consommation d’alcool.
Notre attention est focalisée uniquement sur le jeune alors que nous pensons qu’il faut pouvoir agir également sur d’autres leviers, tels la régulation plus grande du marché par le service public.
Nous pensons que cette question relève de responsabilités multiples: celles des jeunes et de leurs milieux familiaux certes, mais également des pouvoirs publics qui doivent légiférer en toute indépendance sur ces questions.
Les résultats de l’étude mettent en évidence des différences de comportement en fonction des milieux scolaires, familiaux et sociaux dans lesquels les jeunes évoluent. Tout en reconnaissant que ces différences existent, il nous semble important de ne pas tirer de conclusions trop hâtives de certains résultats peu significatifs, et d’éviter de stigmatiser certains publics.

Pour une consommation responsable…

Dans certains commentaires, il y a un glissement ou une confusion entre consommation d’alcool et alcoolisme. Il nous apparaît important de ne pas confondre ces niveaux. Toute consommation d’alcool n’est pas problématique ou maladive. L’enjeu éducatif est plutôt, lorsqu’il y a consommation d’alcool, de prôner une consommation raisonnable, responsable, moins risquée. Cependant, ce coup de projecteur sur l’alcool ne doit pas nous faire oublier de mettre en perspective cette consommation en lien avec les autres consommations des jeunes et leurs différents contextes de vie.
Le Groupe porteur «Les jeunes et l’alcool»
Contact: jeunes-alcool@univers-sante.ucl.ac.be