– Oh, mais oui, mon cher! Nous parvenons à équilibrer nos finances depuis plusieurs exercices.
– D’accord, pour le côté finance, mais votre population, est-elle heureuse?
– Bien sûr! Et puis, tout le monde a bien ses petits problèmes, n’est-ce pas?
– Certainement… Et ce serait quoi selon vous ces «petits problèmes»? Pourriez-vous lister ce qui est important pour la population?
– Sans problème.
– Et nous, dans un même temps, nous demandons à la population ce qui lui paraît important pour elle, d’accord? Nous pourrons après coup, confronter nos deux démarches?
– Je suis partant.
Ce petit dialogue imaginaire illustre rapidement les deux parties d’un même projet: d’une part un bourgmestre attentif au bien-être de sa population, mais ne connaissant pas ce qui compose ce bonheur, et d’autre part un intervenant du développement local qui souhaite acquérir des données objectives et scientifiques sur l’état de santé de la population (enquête de santé communautaire) et comprendre comment les professionnels de terrain perçoivent la santé de leurs concitoyens (ce sera l’enquête Delphi).
Mais d’abord un petit éclairage sur la commune en question: Durbuy.
La commune de Durbuy est certainement connue pour son tourisme (premier lieu de destination en Wallonie), sa gastronomie et la qualité de son environnement. Elle est aussi particulière sur un plan géographique et démographique. L’entité figure parmi les plus étendues de Belgique (14e). Regroupant 12 anciennes communes, elle approche les 16.000 hectares. En janvier 2006, elle comptait 10.534 habitants pour 41 villages et hameaux. En 20 ans, la population durbuysienne a augmenté ses effectifs de 25%. Une personne sur quatre est donc venue s’installer par choix. De plus, 85% de ces nouveau-venus viennent de la banlieue liégeoise et carolorégienne, de milieux socio-économiquement défavorisés.
Un Echevinat de la Qualité de la vie
Au lendemain des élections d’octobre 2000, le Collège échevinal a souhaité concrétiser sa volonté d’améliorer la santé des habitants en mettant sur pied un groupe pluraliste de concertation. L’Echevinat de la Qualité de la vie était né. C’est, en effet, au sein de celui-ci qu’est né le souhait de développer plus de proximité envers la population de la commune.
C’est ainsi qu’un groupe de personnes issues des milieux sanitaires et sociaux s’est penché sur le type d’actions à mener afin de répondre à cette problématique. Il est constitué des institutions et groupes suivants: l’O.N.E., le Planning familial Ourthe Amblève, la Maison médicale, l’Athénée royal de Bomal, l’Institut du Sacré-Cœur à Barvaux, le Centre culturel, les centres psycho-médico-sociaux, la Maison de l’Emploi, des représentants politiques CDH, PS, MR et Ecolo, le Plan de Prévention de proximité et l’Agence de développement local.
Actif réellement depuis l’automne 2001, ce groupe de travail s’est attelé à la réalisation de diverses actions:
- une enquête auprès des professionnels de santé permettant de définir les priorités en terme de thématique santé. C’est sur cette liste que nous nous basons pour choisir les conférences organisées au rythme d’une tous les trimestres;
- un site Internet consacré à la vie associative locale (voir http://www.durbuy.be );
- une campagne de sensibilisation aux missions de service public qui s’est soldée par un superbe concours d’affiches auprès des écoles de l’entité;
- une contribution à plusieurs campagnes de prévention (diabète, sécurité routière, journée des droits de l’enfant, etc.).
Parallèlement à ces démarches, le groupe de travail relevait la difficulté d’établir l’état de santé de la population. Aussi, afin de mieux connaître ses besoins, la nécessité d’établir un diagnostic de santé communautaire s’est fait ressentir.
Projet «Vers des politiques communales de santé»
Il s’agit de se pencher sur les éléments qui constituent le bien-être de chacun. Nous souhaitons donc approcher des problématiques liées à la santé individuelle mais aussi à notre plaisir de vivre à Durbuy. Il est ainsi envisageable de parler (et agir) tant de l’alimentation des enfants que de la sécurité routière, de la place des jeunes dans le débat politique que de la perception du travail de l’administration communale.
Le 17 juin 2000 se tenaient à Namur les premières rencontres «Vers des politiques communales de santé», initiées par la ministre de la santé de la Communauté française de l’époque, Nicole Maréchal .
En 2002, 14 communes ont bénéficié d’une subvention du Ministère de la Santé de la Communauté française afin de développer les conditions de mise en place d’un projet de santé communal. En 2004, 14 nouvelles communes dont Durbuy ont reçu le soutien de la Ministre Catherine Fonck . Une subvention de 48.000€ était obtenue pour deux ans. Ce projet s’intitulait «Diagnostic de santé communautaire en milieu rural: 41 villages et hameaux en Province de Luxembourg».
En novembre 2004, le groupe de travail s’est attaché à élaborer une enquête destinée à la population. Pour ce faire, l’équipe a bénéficié d’une personne travaillant à mi-temps sur ce projet, Michèle Mestrez , infirmière en santé communautaire. Un soutien méthodologique est assuré par l’Ecole de santé publique de l’Université de Liège.
Le point de vue de tous!
La représentation des citoyens
Les premiers concernés par l’évaluation du bien-être dans la commune sont les habitants eux-mêmes. C’est pourquoi la réalisation d’un diagnostic de santé communautaire au moyen d’une enquête sur le bien-être de chacun s’imposait aux yeux du groupe de travail.
Afin d’éviter de tomber dans les travers d’une enquête de grande surface, une demi douzaine d’enquêtes suisses, québécoises, françaises ont été épluchées. Cela a permis de cerner la manière de s’adresser le plus correctement par écrit à une population. Fort de ceci, un premier questionnaire a été rédigé, amendé par les experts du groupe de travail et enfin soumis à des citoyens témoins. Ces personnes, au nombre de dix, sélectionnées en fonction de leur âge, sexe et niveau social ont été mises en situation d’entretien et l’enquêteur a noté les difficultés rencontrées lors de la lecture des questions. C’est après ceci que nous avons pu rédiger la version finale du questionnaire, un document de 30 pages.
Pour l’échantillonnage du public, nous avons tiré au sort, au départ du listing total de la population, une personne sur quatre. Un quart des hommes et des femmes adultes résidant dans chaque ancienne entité a été tiré au sort pour participer activement à cette étude. Cela représente 2115 personnes.
L’enquête a été envoyée par la poste dans le courant du mois d’avril 2005. L’envoi a été nominatif mais les réponses étaient anonymes. En retour, nous avons obtenu 990 enquêtes complétées ce qui représente 46,8%! Les durbuysiens ont donc pris part à la dynamique communautaire et ont saisi l’opportunité de faire entendre leurs voix.
Nous avons encodé les réponses. Elles ont été transmises au Service de Statistique et d’Epidémiologie de l’Ecole de santé publique de l’Université de Liège (Prof. A. Albert). Ce regard externe nous a permis de tirer le meilleur des 642 variables observées.
Le feed-back des résultats a été réalisé par le biais de la publication d’un numéro spécial du journal communal distribué fin avril 2006 qui est également disponible sur Internet.
La représentation des acteurs de terrains
Le groupe de travail pluraliste a choisi également de rencontrer l’avis des acteurs de terrain qui sont confrontés quotidiennement dans leur pratique professionnelle à la qualité de vie des habitants de la commune.
Nous désirions mettre en évidence les perceptions, les représentations des acteurs locaux ainsi qu’élaborer avec eux des pistes d’actions à mener pour améliorer la situation. Sous la supervision de l’Ecole de santé publique de l’ULg, nous avons utilisé la méthode Delphi. Il s’agit de consultations d’experts locaux à l’aide de questionnaires progressifs sur un sujet qui devient de plus en plus précis. Cette méthode favorise la mise en évidence des convergences, des priorités de chacun et permet d’établir des consensus.
Cette étude s’est déroulée de mars 2005 à septembre 2005. Nous avons formé trois groupes de 21 experts à savoir les élus locaux (le conseil communal en entier), le personnel administratif (enseignants, policiers, employés communaux, assistants sociaux) et le personnel lié à la santé (médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, infirmiers et aides familiales). Nous leur demandions de mettre en évidence les principaux facteurs influençant la qualité de vie, les raisons de leurs choix et d’apporter des idées personnelles pour des actions à mener selon les compétences communales. Finalement 31 experts ont échangé leurs idées par le biais de courriers échangés (1).
Le feed-back est rendu aux participants par le biais d’un dernier courrier personnel.– Voici donc deux années de travail mises au profil d’une meilleure compréhension de la population. Vous en êtes satisfait, cher bourgmestre?
– Pleinement, je dois bien avouer que je ne m’attendais pas à ce que la santé soit un domaine aussi large. Comment pensez-vous exploiter ceci?
Les représentations des citoyens et celles des acteurs locaux ont été mises en parallèle pour définir les aspects à améliorer, la proportion de la population touchée par une problématique et d’emblée donner des pistes de travail. Ces informations sont rendues dans un premier temps aux initiateurs, les membres de l’échevinat de la qualité de la vie ainsi qu’aux échevins, conseillers communaux, conseillers du CPAS et au Commissaire de la police locale. Dans un second temps, des démarches individuelles seront envisagées pour donner les résultats à un maximum d’associations et de partenaires locaux.
Les intérêts pour les acteurs de terrain et les politiciens
L’objectif ultime de nos démarches est l’amélioration de la qualité de vie des citoyens. Les enquêtes décrites précédemment nous permettent de prendre connaissance du vécu de l’ensemble de la population, des déterminants de qualité de vie à améliorer suivant les réponses de la population, de la réalité de terrain vécue par les acteurs de première ligne, et des représentations de l’ensemble des acteurs de terrain.
Elles permettent aussi de mettre en évidence la proportion de la population déclarant un mal-être ou le souhait d’une amélioration concernant les déterminants objectivés par les acteurs de terrain, les déterminants de qualité de vie à améliorer prioritairement, et les représentations déformées des acteurs de terrains.
Elles permettent enfin de partager l’information au niveau des acteurs et des mandataires pour :
- confirmer les représentations d’une majorité de personnes;
- rappeler les rôles de chacun ainsi que leurs limites;
- redynamiser la coordination sociale d’une commune;
- sensibiliser un maximum de personnes dans leur pratique journalière;
- évaluer des actions en cours;
- élaborer des programmes à court, à moyen et à long terme en partant des besoins diagnostiqués par les principaux concernés, les citoyens.
– Eh bien c’est très intéressant. Je pourrais même avec ma nouvelle équipe, sur base des résultats des élections communales du 8 octobre dernier, proposer une amélioration progressive de la santé des gens de chez nous.
L’intérêt du transfert de ces résultats à l’agent du Plan Prévention Proximité (PPP) est primordial. Ainsi il pourra initier des réponses en fonction des besoins exprimés et mesurés par la population.
L’adhésion de notre commune au plan Habitat Permanent (HP) trouve également son fondement vu la proportion des résidents permanents, 5% de la population vivant dans les zones de loisirs et logeant dans des infrastructures telles que les caravanes et les chalets.
Au-delà des données récoltées cette année et de la diffusion des résultats, il restera une étape importante. En effet, nous pensons qu’il ne suffit pas de prendre la température de la population ainsi, de manière ponctuelle, mais bien d’observer des tendances au niveau local afin d’attirer l’attention des élus régulièrement sur l’état de santé de la population. A dans 10 ans?
Michèle Mestrez , infirmière en santé communautaire, Xavier Lechien , responsable de l’Agence de développement local – Ville de Durbuy
Les résultats en vrac
Une note de 7/10 est attribuée à la qualité de la vie dans les villages, de par l’ambiance calme et sereine (58,1%) et le fait que «tout le monde connaît tout le monde» (36,6%). Quelques inconvénients existent: absence de magasins et de transports en commun.
Le pourcentage des habitants en possession d’un permis de conduire est de 86,1%. Et paradoxalement, des difficultés de déplacement sont ressenties par 77,7% des répondants. En tête de celles-ci, citons le mauvais état des routes et l’augmentation du flux routier, notamment les week-ends. En matière de priorité à réaliser pour améliorer la mobilité, l’on trouve la sécurisation des piétons (80,2%) et l’accessibilité des lieux publics (77,6%).
L’état de santé est excellent à bon pour 76,9% des habitants, qui se disent heureux à 86%. 52,7% déclarent ne pas faire de sport. Pendant les six mois qui ont précédé l’enquête, la violence morale a été ressentie chez 12,6% des citoyens et la violence physique chez 29 personnes! Le mal-être touche 32,2% des hommes et 41,9% des femmes. 50,7% prennent régulièrement des médicaments.
Les habitants voient d’un bon œil le développement touristique et ce pour les trois quarts d’entre eux, même si 44,5% d’entre eux ne partent pas en vacances. Leurs hobbies favoris sont les promenades (63,9%), le jardinage (57,3%) et la lecture (57,2%).
(1) La méthode Delphi a pour objectif d’aboutir à un consensus sur une question centrale, par le seul biais de courriers interposés.