Avril 2005 Par Chantal LEVA Locale Wallonie

L’idée d’octroyer un prix au meilleur travail de fin d’études du DES en médecine générale est le fruit d’une collaboration depuis 3 ans entre le Centre liégeois de promotion de la santé et le Département de médecine générale de l’Université de Liège.
Ce prix d’une valeur de 500 € récompense un jeune diplômé qui se destine à la médecine générale à condition que son travail de fin d’études aborde de manière innovante un thème de médecine préventive ou, plus largement, de promotion de la santé.
Le CLPS souhaite, par l’octroi de cette récompense, encourager les futurs généralistes à s’intéresser davantage à la promotion de la santé. Les médecins généralistes occupent en effet une place de choix pour être acteurs de promotion de la santé. Ils sont géographiquement accessibles et se déplacent régulièrement au domicile de leurs patients. Ils sont proches d’eux et connaissent leur environnement familial, social, physique… Ils peuvent aborder la santé de manière globale et favoriser à long terme l’intégration de la prévention dans leurs activités.
Le prix 2004 est allé à Madame Laurence Remacle pour son travail sur ‘L’interprétation de la plainte en situation interculturelle: la place du médecin généraliste’. Sa recherche porte sur la communication entre le médecin et le patient d’origine étrangère.
La démarche de Laurence Remacle a été dans un premier temps de définir qui étaient «nos» migrants en région liégeoise et quelles étaient les pathologies dont ils sont atteints.
Elle s’est ensuite lancée dans une étude de dossiers des patients d’origine étrangère l’ayant consultée au sein d’une maison médicale. Cette recherche lui a permis de réellement se rendre compte des problèmes rencontrés sur le terrain et de prendre du recul par rapport à sa pratique.
Ce travail nous a semblé intéressant à plus d’un titre. Il pointe tout d’abord les difficultés rencontrées par les médecins généralistes.
Le problème linguistique. L’analyse des dossiers prouve que le problème de la langue est loin d’être marginal et que les solutions déployées pour y faire face sont insuffisantes (recours à une langue intermédiaire, intervention d’un interprète choisi parmi les proches…).
«Pas étonnant que la consultation se termine dans la frustration, même si les patients sont souvent très reconnaissants envers les soignants des mille et un efforts, mimes, mimiques et dessins réalisés pour comprendre et se faire comprendre».
L’importance de la prise en compte par le soignant de «sa propre culture».
« Cette étape est essentielle pour aborder l’autre sans préjugé et parvenir à se défaire de cette vision ethnocentrique du monde dont la culture orientale est plus capable que la nôtre . Nous devons avant tout admettre la relativité de nos normes concernant notamment le bien être , le mal être , le logement , la notion de normal et d’anormal . Autant de conceptions culturellement conditionnées , admettons le ».
L’écueil de la psychologisation trop rapide: une plainte mal comprise, vague, expliquée par des métaphores n’exclut pas d’emblée une pathologie somatique.
L’importance du contexte de la plainte: l’expression des plaintes passe par différentes étapes et différents niveaux de discours.
« Tout d’abord se formule un discours somatique qui évoluera ensuite vers l’expression d’une souffrance individuelle puis relationnelle laissant enfin place au discours thérapeutique ».
Une plainte organique peut en cacher une autre: en effet, une plainte somatique imprécise, vague, peut cacher une atteinte organique d’une partie du corps tabou ou honteuse.
L’auteur propose également des pistes de prise en charge très concrètes de la détresse psychologique des patients migrants:
Le travail en réseau et l’approche sociale.
« Je le constate à travers l’analyse des dossiers , la procédure d’asile et les difficultés sociales ( socio économiques ) du migrant occupent une place importante dans sa demande d’aide et dans l’expression de ses plaintes . C’est pourquoi la collaboration avec un service social voire juridique me semble essentielle . Ce travail en réseau , cette pluridisciplinarité doit se faire en concertation . Concertation entre intervenants et concertation avec le patient . En effet , la multiplicité des intervenants agissant chacun dans leur coin , sans collaboration ni échange est vouée à l’échec car elle risque de ne pas correspondre aux attentes du patient et elle participe à son morcellement déjà bien installé par son vécu , ses traumatismes et son exil
La recherche d’information sur la culture du patient et une thérapie adaptée au patient ou à sa culture.
« La différence entre un comportement normal et pathologique peut être floue aux yeux du médecin occidental et la recherche de sens nécessite parfois une bonne connaissance de la culture du patient .
Le médecin est dès lors tenté de faire une recherche fouillée sur la culture de son patient , sa religion , le statut de chacun au sein de sa famille ( droits et devoirs ) afin de mieux en apprécier ses plaintes et ses comportements .
Cette démarche doit cependant rester prudente parce qu’elle peut devenir porteuse de clichés et risque d’enfermer le patient dans sa propre culture ou dans ce que le médecin croit être sa tradition .
En réalité, le patient lui-même est le meilleur informateur de sa culture, de ses croyances, de ses représentations de la santé et de la maladie. Il faut essayer de prendre le temps de l’interroger et de se laisser guider par lui.»
Une thérapie adaptée au patient et à sa coutume.
« Il se peut que la recherche de sens échoue ou qu’elle n’aboutisse pas à un soulagement des plaintes chez le patient . Il se peut aussi que le médecin généraliste seul ne parvienne pas à démêler toute la complexité du problème et à se faire une idée suffisamment claire du diagnostic . Ou encore que les traitements ou thérapies classiques soient voués à l’échec .
Des centres capables d’apporter une réponse à cette problématique existent. Il y en a qui fonctionnent sur base d’une thérapie individuelle («La clinique de l’exil» à Namur), d’autres sur le modèle ethnopsychiatrique ou encore sur les deux modèles selon les attentes du patient, son histoire et sa pathologie («Racines aériennes» à Liège).
Dans tous les cas, ces centres tentent de pratiquer la prise en charge dans la langue du patient grâce à la présence d’intervenants et de thérapeutes d’origines culturelles variées ou encore par l’intervention d’interprètes culturels extérieurs (Cripel, Cire…).

Ce travail revêt donc indéniablement un grand intérêt dans le domaine de la promotion de la santé.
Chantal Leva , pour l’équipe du CLPS