Suite aux constats et recommandations émanant de l’évaluation des dispositifs de santé en Communauté française, un nouveau code de la santé devrait bientôt voir le jour. Ce code entend articuler toutes les politiques liées à la santé autour du concept de promotion de la santé. Pour pallier la fragmentation des dispositions et des compétences relevant du secteur de la santé au sein de la Communauté française, le rapport d’évaluation préconise la création d’un organe de pilotage destiné à rendre les politiques de santé plus cohérentes, à améliorer la lisibilité des dispositifs de santé ainsi que la coordination entre les différents acteurs et niveaux de pouvoir, et à assurer davantage de transversalité dans l’exercice des compétences.
Trente ans après la communautarisation des matières de santé, une évaluation des dispositifs de santé en Communauté française s’avérait nécessaire eu égard à l’évolution des objectifs politiques, aux progrès scientifiques et à l’apparition de nouveaux acteurs. Cette évaluation avait, par ailleurs, déjà été prévue dans le décret du 14 juillet 1997 portant organisation de la promotion de la santé et, dernièrement, dans la Déclaration de politique communautaire 2009-2014.
Le consortium constitué des sociétés «Perspective Consulting» et «Effisciences», auquel l’évaluation a été attribuée en juillet 2010, vient de rendre publics ses constats et recommandations.
Éléments et thèmes évalués
Le consortium s’est attelé à évaluer les différents éléments constitutifs de la politique de santé en Communauté française:
-les programmes et plans communautaires quinquennaux et opérationnels;
-les services agréés et les organismes subventionnés;
-les dispositions décrétales et réglementaires.
Conformément au souhait du Gouvernement, les six thématiques suivantes ont été analysées:
-la cohérence des compétences en matière de santé;
-la transparence et la lisibilité des dispositifs;
-la transversalité dans l’exercice des compétences;
-l’organisation et les structures;
-la pertinence des moyens opérationnels;
-les procédures d’accompagnement et d’évaluation.
La promotion de la santé: toujours d’actualité
Les évaluateurs ont, dans un premier temps, jugé utile d’examiner le concept de «promotion de la santé», issu de la charte d’Ottawa de 1986 et traduit par la Communauté française dans le décret du 14 juillet 1997 portant organisation de la promotion de la santé. « À cette époque , la Communauté française était vraiment à la pointe de la traduction , dans son dispositif légal , de ce nouveau concept au niveau mondial », analyse l’évaluateur François Burhin . « Il faut toujours un certain temps avant que ces concepts novateurs sur le plan mondial infusent dans les structures et arrivent jusqu’au terrain . La ‘ promotion de la santé’ porte essentiellement en soi l’idée qu’il faut agir prioritairement sur les déterminants de la santé et que , dans le fond , les citoyens doivent devenir responsables de leur santé ( empowerment ).»
14 ans plus tard, la promotion de la santé reste d’actualité. « Elle est toujours préconisée par les instances internationales . La charte d’Ottawa a été revisitée à de multiples reprises . Dans sa dernière mouture , on y a ajouté la charte de Bangkok de 2005 qui contient des éléments ayant trait à la santé mentale . On a donc toujours un bon concept à la base du dispositif de santé en Communauté française .»
Dispersion des compétences, manque de cohérence et de lisibilité
Si la plupart des acteurs se reconnaissent bien dans le concept de promotion de la santé, les évaluateurs mettent en avant une difficulté d’opérationnaliser le décret de 1997.
Diverses raisons expliquent cette difficulté.
D’une part, le concept de promotion de la santé est peu précis sur le plan juridique.
D’autre part, en matière d’action publique, les compétences liées aux déterminants de la santé sont dispersées sur base de la répartition des compétences entre les niveaux de pouvoir et sur base de la répartition des compétences au sein des Gouvernements. Cette fragmentation des compétences en matière de santé entraîne une difficulté de compréhension des actions de la Communauté française.
Autre difficulté, l’horizon temporel de la promotion de la santé, qui s’inscrit dans le long terme, ne correspond pas à celui d’une législature (4 ou 5 années).
Par ailleurs, si la promotion de la santé implique une intervention sur les déterminants de la santé, cette approche n’est pas spécifique aux compétences de la Communauté française et l’empêche de se distinguer des autres niveaux de pouvoir.
Cependant, les évaluateurs considèrent que si la Communauté française a peu de compétences en matière de santé (1), elle peut, malgré cela, clairement agir en son sein sur les déterminants de la santé suivants: habitudes de santé et capacité d’adaptation personnelle, éducation et alphabétisme, développement de la petite enfance, questions de genre et culture.
Outre la promotion de la santé, la Communauté française exerce, au moins partiellement, d’autres fonctions de santé publique. Il s’agit de la prévention, de la surveillance et de la maîtrise des maladies transmissibles et non transmissibles, de la surveillance de l’état de santé, de la législation et de la réglementation en santé publique, de la planification et de la gestion en santé publique, des services spécifiques de santé publique, de la santé pour les populations vulnérables et à risque. Or, les évaluateurs soulignent la faible visibilité auprès des autres niveaux de pouvoir et l’absence de pilotage de cette politique. À ce jour, le rapport indique qu’il n’existe ni cohérence globale ni dispositif juridique qui préciserait la contribution de la Communauté française à la santé publique.
Renforcer la transversalité et la coopération
La transversalité est une évidence puisque l’intersectorialité et le partenariat constituent des éléments clés du concept de promotion de la santé. Selon les évaluateurs, des progrès doivent être réalisés en la matière au sein de la Communauté française, mais aussi dans le domaine de la coopération entre les différents acteurs, cela d’autant plus que les compétences santé sont fragmentées.
Le rapport indique qu’il n’existe aucun mécanisme permettant d’assurer une lecture des politiques sous l’angle de la santé publique. Les compétences en matière de santé sont conçues comme une politique verticale qui coexiste à côté des autres compétences de la Communauté française. La coordination entre les différentes compétences de la Communauté française liées de près ou de loin à la santé est, à l’heure actuelle, insuffisante.
Améliorer l’organisation de la politique de santé
Le rapport constate une absence de planification de la politique et de sa mise en œuvre, de prises de décisions de réorientation, d’évaluation des effets de la politique ou du programme et de réajustement le cas échéant. Aucun acteur n’est désigné en tant que coordinateur de la mise en œuvre des programmes et des plans.
Cette absence de pilotage conduit à un risque de redondance dans l’action, d’une mauvaise utilisation des moyens, ainsi qu’à un manque de lisibilité pour les acteurs. Le rapport observe une perte d’énergie dans la division des tâches des Services communautaires de promotion de la santé, un recouvrement des compétences entre les Centres locaux de la promotion de la santé et les Services communautaires de promotion de la santé en matière d’aide méthodologique et un manque de clarté dans les missions des Centres locaux de promotion de la santé ainsi que dans la distinction entre les projets et les services.
Rendre les moyens plus opérationnels
L’évaluation révèle que le Programme quinquennal et le Plan communautaire opérationnel fournissent un cadre de référence mais qu’ils ne constituent pas un outil de travail encadrant leur opérationnalisation. Ainsi, les objectifs sont peu spécifiques, le planning de la mise en œuvre n’est pas précisé, les moyens alloués ne sont pas mentionnés, un suivi systématique des objectifs et de l’état d’avancement n’est pas mis en place, la responsabilisation des acteurs dans la mise en œuvre du programme et du plan est inexistante.
Selon le rapport, la construction historique du dispositif a mené à une externalisation de certaines fonctions sous la forme de services agréés. Ce fonctionnement suppose un encadrement avec des contrats d’objectifs, un suivi, une évaluation.
Enfin, le rapport relève la nécessité d’assurer les «fondamentaux», plutôt que de lancer de nouvelles initiatives nécessitant de l’énergie et des moyens à long terme.
Utiliser les évaluations
Des compétences se sont développées en matière d’évaluation. Mais les rapports d’évaluation ne sont malheureusement pas exploités. Une des raisons est peut-être liée à la difficulté de compiler les rapports et les résultats. Aussi, les évaluateurs attirent-ils l’attention sur le risque de décourager les acteurs à faire des évaluations et insistent sur la nécessité de créer un système d’évaluation dans le futur dispositif.
Nouveau décret
Parmi les recommandations, le consortium suggère d’articuler toutes les fonctions de la Communauté française autour des concepts de santé pour tous et de promotion de la santé .
À cette fin, les évaluateurs préconisent la mise en place d’un nouveau décret qui devra s’appuyer sur celui du 14 juillet 1997. Ce nouveau décret devra réaffirmer le concept de promotion de la santé et l’importance de l’action sur les déterminants de la santé, et agir prioritairement sur les politiques de la Communauté française.
Les évaluateurs proposent que ce nouveau décret s’articule autour de quatre grandes fonctions suivantes:
-la médecine préventive (vaccination, dépistage, santé scolaire);
-la protection;
-l’observation, la surveillance et la recherche;
-l’information, l’éducation, le renforcement des capacités (empowerment).
Organe de pilotage
Les évaluateurs suggèrent de définir des structures qui assureront une meilleure coordination des politiques contribuant à la santé pour tous et à la promotion de la santé en Communauté française.
Dans le même sens, le rapport recommande que la Direction générale de la Santé du Ministère de la Communauté française assure une plus grande transversalité des différentes politiques de la Communauté.
D’où l’idée émise de créer un organe destiné à assurer le pilotage des fonctions principales de la santé pour tous et de la promotion de la santé.
« L’idée n’est pas de créer une administration à côté de l’administration existante , mais de mettre en place une structure simple et souple », explique l’évaluateur Jean – Louis Dethier . « Une structure simple car pour piloter , il n’est pas nécessaire d’avoir une grosse structure à partir du moment où on peut s’en tenir à l’essentiel , ce qui est le cas puisque la Communauté française a défini un certain nombre de priorités à travers son système de plans et de programmes . Il faut aussi une structure souple car ce qui est important , c’est l’autonomie des acteurs . Étant donné qu’il est nécessaire d’avoir des orientations claires dans l’intérêt des acteurs , cet organe de pilotage est destiné à jouer un rôle de coordination et d’incitation , mais il ne doit pas s’immiscer dans le travail des acteurs . Leur autonomie , leur professionnalisme ainsi que les différences locales doivent être respectés . Les déterminants de la santé sont tellement nombreux que si l’on ne donne pas de l’autonomie et des responsabilités aux acteurs de terrain , on n’obtiendra pas un système fonctionnel et efficace .»
Vers un nouveau code de la santé
La Ministre de la Santé Fadila Lanaan se prépare donc à revoir en profondeur les dispositifs légaux et réglementaires dans le domaine de la santé. « Les recommandations vont permettre à la Communauté française de clarifier l’exercice de ses compétences en matière de santé , de renforcer la cohérence , la lisibilité et la transparence des dispositifs , d’améliorer le fonctionnement des opérateurs et enfin de définir un mode de pilotage et de suivi permanent », précise la Ministre. « Sur le plan de la transparence et de la lisibilité des dispositifs , j’ai l’intention de rassembler les textes en un seul décret , le code de la santé de la Fédération Wallonie – Bruxelles . Ce code rassemblera non seulement dans un ordre logique les divers textes législatifs traitant de la politique de santé mais surtout , il dégagera des principes communs aux textes existants et indiquera les lignes de force de la santé de la Fédération Wallonie – Bruxelles .
Je veillerai également à ce qu’il puisse évoluer en fonction de l’émergence de problématiques nouvelles et à pouvoir y intégrer de nouvelles compétences , le cas échéant , sur base d’un nouvel accord institutionnel .
Par la suite , il sera nécessaire d’y greffer des arrêtés d’application afin de mettre en œuvre les différents programmes de la santé de la Fédération Wallonie – Bruxelles .
Sur le plan de l’organisation des structures et de la coordination des politiques contribuant à la santé pour tous , j’analyse actuellement la possibilité de confier à un organisme spécifique , qui serait à créer le cas échant , un rôle de documentation , de sensibilisation , de coordination , de pilotage et d’évaluation des politiques de santé .
Mais avant toute modification de ces dispositifs , j’ai l’intention de présenter ce rapport à mon Administration et au secteur de la santé afin de récolter leurs avis sur les aménagements qui sont recommandés par les évaluateurs de ce rapport . Ces présentations débuteront dès le mois de juin . Cette consultation est pour moi un stade essentiel de la réflexion entamée .»
La Ministre espère pouvoir déposer son avant-projet de décret en janvier 2012 afin que le nouveau texte soit opérationnel à partir de 2013.
Colette Barbier
(1) Selon les évaluateurs en tout cas. Ce n’est pas le point de vue du côté flamand, où on estime que tout ce qui est fédéral (soins de santé) est résiduaire par rapport aux compétences des Communautés, même si l’immense majorité des dépenses reste ‘fédérale’ pour le moment (ndlr).