La troisième rencontre organisée au théâtre du Vaudeville par la FEDITO bruxelloise (1) portait sur le social et la santé. Même si les organisateurs étaient plus dubitatifs qu’avant les vacances quant à la tenue rapide d’un débat politique sur la question, les témoignages d’observateurs privilégiés du phénomène ‘cannabis’ n’en furent pas moins intéressants.
Une fois de plus animée de maîtresse façon par Jacques Bredael (et non Jean-Jacques Jespers, comme le dit étourdiment un intervenant), la matinée nous donna l’occasion d’entendre un premier bilan de la ‘Clinique cannabis’ ouverte récemment à l’Hôpital Brugmann, et qui semble avoir trouvé sa vitesse de croisière après des débuts hésitants (certains estiment d’ailleurs qu’identifier la substance de manière aussi explicite dans une offre de service n’est pas l’idéal pour inciter l’usager à consulter s’il en ressent le besoin).
Les lignes de force de la FEDITO bruxelloise
L’engouement actuel des jeunes (surtout les moins de 25 ans) pour le cannabis ne fait aucun doute, mais il reste un sujet tabou.
Impossible de s’y retrouver dans les dispositions légales, encore plus floues et chaotiques depuis un arrêt de la Cour d’Abitrage d’octobre 2004 annulant les notions d’usage problématique et de nuisance publique: il faut une loi cohérente et structurante.
L’interdit est inadapté à la situation actuelle du terrain.
L’information et l’éducation des familles et de la communauté scolaire doit être améliorée. Il serait même utile que des cours abordent la question sans a priori.
Pas de banalisation exagérée, mais pas de diabolisation inefficace non plus. Il y a des psychotropes, comme l’alcool, qui font plus de dégâts sans susciter de réactions hystériques.
D’après un communiqué de presse (très) résumé de la FEDITO bruxelloise
Parmi les autres interventions, il y eut l’ouverture vers l’approche ‘wallonne’ du problème avec Jacques Van Russelt , président de la FEDITO wallonne, plutôt en phase avec ses hôtes bruxellois.
Plus percutante fut la prise de parole de Marcel Vanhex , des Centra voor Alcohol – en andere Drugproblemen (Limbourg), qui qualifia l’approche flamande du cannabis de ‘scientifique’ tout en estimant l’approche francophone ‘pamphlétaire et politique’. Il insista sur le fait qu’il n’y a pas matière à débat en Flandre sur cette question, et qu’il importe de ne pas banaliser le cannabis d’une part et de rappeler haut et fort sa dangerosité d’autre part. Cette prise de position avait au moins le mérite de sortir l’assemblée d’un discours ‘libéral’ parfois un peu convenu. Bien qu’aucune allusion n’y ait été faite pendant la matinée, on peut se demander si cette absence de débat dans le Nord du pays n’est pas imposée par la crainte qu’ont les partis démocratiques flamands de heurter de front (c’est le cas de le dire…) la puissante extrême-droite qui risquerait de tirer profit du ‘laxisme’ des autres, s’appuyant sur une opinion politique très chatouilleuse pour des raisons sécuritaires plutôt que de santé publique.
On ne s’étonnera pas qu’en conclusion, Serge Zombek plaida en faveur de l’engagement citoyen des experts plutôt que pour leur neutralité scientifique, message que certains d’entre eux entendent bien sûr depuis longtemps: je pense en particulier au pharmacien Jean-Paul Brohée (APB) qui rappela qu’une majorité des membres de son association estiment qu’il faut légaliser et garantir la qualité des produits; à Pascale Jamoulle , dont nous avons souligné plusieurs fois ici le remarquable travail d’anthropologue au plus près du terrain dans les quartiers populaires de la région de Charleroi, observatrice attentive de la ‘socialisation’ des jeunes par le développement de l’économie souterraine et qui affirma avec sa conviction habituelle que l’impact délétère de l’interdit sur le cannabis dans les quartiers déshérités oblige à prendre une position antiprohibitionniste; à Anatole Bakanamwo , qui nous expliqua avec beaucoup d’humour et de modestie le difficile travail de rue dans le quartier Matongé d’Ixelles. Il n’est pas simple d’aider sans porter de jugement des ex-enfants soldats ayant perdu tout repère…
Une anecdote spectaculaire pour terminer: Patrick Moriaux , député fédéral, auteur en 2000 d’une proposition de loi dépénalisant l’usage du cannabis (assortie d’une série de conditions précises), s’indigna de l’absurdité d’un pays où on laisse prospérer un gros dealer par ailleurs agent de footballeurs internationaux alors qu’on suspend pour 6 mois un jeune joueur qui a fumé un joint et a subi un contrôle antidopage positif au cannabis. De qui se moque-t-on?
Pour le reste, forte de l’intérêt suscité par ces trois matinées, la FEDITO prendra l’initiative de formaliser une réflexion plus permanente sur l’impact de la loi actuelle et sur le rôle que pourraient jouer les acteurs de terrain dans l’élaboration d’une législation mieux en phase avec notre époque.
Christian De Bock
Rencontres cannabis, FEDITO, rue du Président 55, 1050 Bruxelles. Sur le site http://www.feditobxl.be , vous pouvez prendre connaissance des ‘Réflexions du secteur toxicomanie bruxellois’, parues début 2005 (document de 12 pages également disponible en une ‘version longue’ sur papier de 80 pages qui comprend en plus les actes de la journée ‘Cannapistes’).
(1) Voir DE BOCK C., ‘Cannabis: un bon Vaudeville’ , Education Santé n° 203, août 2005 pour les épisodes précédents.