Mars 2016 Par Carole FEULIEN Stratégies

Propos de François Baudier recueillis par Carole Feulien

Suite au transfert des compétences santé aux régions, le Conseil supérieur de promotion de la santé, organe d’avis de la Fédération Wallonie-Bruxelles, n’est plus… Il s’est réuni pour la dernière fois le 4 décembre dernier. François Baudier, Président de la Fédération nationale d’éducation pour la santé (FNES) en France, était son invité d’honneur. À l’heure où les deux plateformes régionales belges francophones réunissant les acteurs du secteur s’interrogent sur l’intérêt de se constituer en fédérations (voir encacré), Éducation Santé l’a rencontré pour vous…

Éducation Santé: Vous présidez la FNES. Pouvez-vous nous présenter cette association? Depuis quand existe-t-elle?, Quels sont ses objectifs, les valeurs sur lesquelles elle s’appuie?

François Baudier: La Fédération nationale d’éducation pour la santé (FNES) a été créée en 2002, en même temps que l’Institut national d’éducation et de promotion de la santé (Inpes). En effet, à l’époque du Comité français d’éducation pour la santé (CFES), les comités d’éducation pour la santé régionaux et départementaux constituaient le réseau de terrain du CFES. À la création de l’Inpes et lors de la disparition du CFES, l’Institut a souhaité diversifier ses relais de proximité et donc, les comités d’éducation pour la santé ont décidé de se fédérer afin d’être un interlocuteur unifié auprès des instances nationales, dont l’Inpes.

Concernant nos valeurs, elles sont en rapport direct avec la Charte d’Ottawa. Nous les avons exprimées dans notre projet fédératif, adopté pour la période 2014-2018. Nous militons pour une promotion durable de la santé, inscrite dans une véritable politique de santé publique. Nous souhaitons également favoriser la responsabilité et l’autonomie des personnes dans leurs choix individuels et collectifs. Nous insistons sur le fait qu’il est impératif de tenir compte des pressions sociales, économiques et culturelles. En effet, elles limitent la responsabilité individuelle des choix comportementaux et la capacité de les modifier. La dignité humaine, l’équité et la démocratie sont les trois autres valeurs guidant nos actions au quotidien.

ES: Qui dit fédération dit membres. Qui en fait partie? Sont-ils nombreux? De combien de personnes se compose l’équipe?

FB: Il existe une Instance régionale d’éducation et de promotion de la santé (Ireps) dans chaque région française, y compris en outre-mer. La Fédération regroupe donc près de 600 professionnels salariés, dont 500 à plein temps, issus de divers secteurs d’activités: santé publique, sociologie, sciences de l’éducation et psychologie notamment. Plus de 2000 administrateurs y sont bénévoles. Nous avons une vie fédérative très riche avec un Bureau et un Conseil d’administration composés à parts égales d’élus et de salariés. Notre équipe nationale n’est que de trois personnes.

Les Ireps mettent à disposition dans les régions leurs expertises en formation, méthodologie et documentation pour accompagner les politiques de santé publique. Elles analysent les besoins de santé locaux, exercent un rôle de soutien et d’expertise auprès des acteurs dans le champ de la promotion de la santé: institutionnels, professionnels, bénévoles, élus…

ES: De quels moyens dispose la FNES? Développe-t-elle ses propres projets et outils? Dans quelle optique?

FB: Financièrement, nous avons deux sources principales: d’abord, la cotisation des membres de notre Fédération, mais également une convention de partenariat avec l’Inpes.

Notre activité s’organise autour de plusieurs axes. Nous avons vocation à renforcer le professionnalisme du premier réseau généraliste français en promotion de la santé. Il est important que sur tous les territoires, l’offre de service soit équivalente. Dans cette perspective, nous avons favorisé une démarche ‘qualité’ au sein des Ireps.

La recherche interventionnelle mais également l’identification et le déploiement des actions probantes et prometteuses sont des orientations récentes et fortes. Dans cette perspective, nous travaillons étroitement avec l’École des hautes études en santé publique de Rennes (EHESP).

Nous souhaitons nous inscrire également dans une démarche plus active de démocratie en santé. Nous allons collaborer avec les Conférences régionales de la santé et de l’autonomie, instances stratégiques des ARS concourant à la mise en œuvre de la politique régionale de santé par des avis sur ses modalités d’élaboration, de suivi et d’évaluation. Elles existent dans chaque région et nous souhaitons faire du plaidoyer en faveur de la promotion de la santé auprès de leurs membres, afin de leur permettre d’en appréhender les valeurs et concepts.

Enfin, la question du numérique et des réseaux sociaux est un sujet clef. Nous pensons que les acteurs de la promotion de la santé n’ont pas assez investi ce champ. Nous désirons notamment activer la participation des citoyens à travers ce mode d’échange, trop souvent régulé par des intérêts commerciaux.

ES: La FNES est-elle représentative du secteur de la promotion de la santé en France?

FB: Le paysage de la santé a profondément changé dans notre pays depuis quelques années. La création des ARS a modifié significativement l’organisation de l’offre. Tout d’abord, elle est aujourd’hui simplifiée, puisque plusieurs organismes se sont réunis au sein d’une même Agence, couvrant à la fois la prévention, le soin et le médico-social.

Par ailleurs, sans être une décentralisation affichée, ces agences ont une certaine autonomie dans leurs orientations. Chaque région a adopté son propre Projet régional de santé. Certes, il s’appuie sur de grandes orientations nationales, mais il trouve également ses priorités au sein des réalités de santé spécifiques à chaque territoire. Dans ce contexte les Ireps jouent un rôle majeur en promotion de la santé. La plupart d’entre elles ont une convention d’objectifs et de moyens signée pour une période pluriannuelle avec leur Agence. Il existe aussi d’autres acteurs en promotion de la santé. Ils ont une orientation plus thématique, par exemple sur les addictions, la lutte contre le sida, la nutrition… ou populationnelle: jeunes, personnes âgées, sujets handicapés…

ES: Sa parole est-elle entendue dans les débats relatifs à l’organisation de la politique de santé en France?

FB: La tâche est difficile! Nous avions beaucoup d’espoir dans la nouvelle loi de santé adoptée il y a quelques jours. D’abord, elle comportait une partie introductive très ‘promotion de la santé’. Elle insistait sur le rôle des déterminants de santé, notamment ceux qui ne sont pas liés directement à notre système de soin. De plus, une trentaine de chantiers avaient été ouverts pour consolider une vraie stratégie nationale de santé.

Au final, nous avons une loi comportant certes quelques dispositifs de prévention intéressants mais très épars. Le cœur des mesures législatives concerne le soin, j’allais dire comme d’habitude!

Un point positif: la création d’une Agence nationale de santé publique. Elle va réunir notamment l’Inpes et l’Institut national de veille et de sécurité sanitaire. Nous avons beaucoup d’espoir dans sa mise en place. Depuis plusieurs mois, nous avons entamé des échanges avec les responsables préfigurateurs de cette nouvelle entité. Elle va peser dans le nouveau paysage de la santé en France.

ES: Agit-elle en concertation, voire en coalition avec d’autres acteurs comme la Société française de santé publique (SFSP) pour donner plus de poids à la promotion de la santé, qui reste le parent (très) pauvre de nos dispositifs socio-sanitaires?

FB: Oui, mon prédécesseur à la Présidence de la FNES a impulsé la création d’une coalition réunissant les principaux acteurs nationaux œuvrant en promotion de la santé. Elle a été très active dans toute la période des débats parlementaires sur le projet de loi. Nous avons interpellé les députés, les sénateurs dans toutes les régions, avec la participation de nos instances régionales. Les résultats ont été très très modestes. Clairement, la représentation nationale est plus sensible au lobby des producteurs de vin qu’à celui de la santé publique!

ES: Les soins de santé dominent de manière écrasante nos systèmes de santé et mobilisent la quasi totalité des ressources publiques. Cela fait aussi bientôt 30 ans que la charte d’Ottawa inspire les acteurs de la promotion de la santé. Avec votre longue expérience, quel bilan tirez-vous de ces 30 années? Avez-vous des motifs de satisfaction à partager?

FB: Le bilan est très mitigé mais il nous faut «continuer le combat!». Rendez-vous compte, en France, au début des années 80, avant l’adoption de la Charte d’Ottawa, les pouvoirs publics avaient impulsé la mise en place de comités régionaux, départementaux et locaux de promotion de la santé! Ces instances ont disparu très rapidement du paysage. Au début des années 2000, nous avons même assisté à une forte médicalisation de la prévention: dépistage des cancers, vaccination, éducation thérapeutique du patient… L’approche est devenue également plus individualisée, moins communautaire.

La France a donc une fédération pour une population de 67.000.000 d’habitants.

Pour la Belgique francophone, les acteurs de la promotion de la santé ont décidé le 14 janvier 2016 d’en constituer… deux, une bruxelloise (1.000.000 d’habitants francophones en étant généreux) et une wallonne (3.500.000 d’habitants). Comparaison n’est pas raison, mais quand même!

Il y a heureusement quelques motifs d’espérer. Je vais prendre deux exemples.

Les Contrats locaux de santé (CLS): ils sont conclus sur des territoires de proximité entre l’ARS et une ou plusieurs collectivités territoriales, comme des villes ou des communautés d’agglomération. Dans ce contexte partenarial, l’évaluation d’impact en santé est une approche en pleine expansion. Les actions promues sont très intersectorielles et répondent en général bien aux besoins de la population, avec une dimension participative affichée et souvent réelle. Aujourd’hui, plus de 250 CLS ont été signés et beaucoup vont être renouvelés.

L’autre dynamique prometteuse rejoint la dimension soin: c’est le développement des maisons et pôles de santé. Certes, ce type d’organisation des professionnels de santé reste encore limité, mais ces acteurs ont en général un vrai projet de santé comportant de plus en plus souvent une dimension collective, proche de l’esprit de la promotion de la santé.

ES: En francophonie, quel regard portez-vous sur le travail des équipes actives en promotion de la santé dans notre pays?

FB: Depuis de nombreuses années, je tente de favoriser des échanges au sein de la francophonie. L’organisation des Universités d’été en santé publique et en promotion de la santé, à Besançon, depuis plus de 12 ans, témoigne de mon engagement. Les acteurs français de la promotion de la santé regardent avec beaucoup d’intérêt et souvent d’admiration deux pays: le Québec et la Belgique. Nous avons la perception que votre approche est innovante, en tout cas elle nous stimule. Par exemple, votre publication est une référence et une vraie source d’inspiration.

ES: Merci! En Belgique francophone, les acteurs de promotion de la santé se sont regroupés dans deux plateformes informelles en Wallonie et à Bruxelles. Ils envisagent de constituer une ou deux fédérations pour mieux défendre leurs intérêts bousculés par les récentes réformes institutionnelles en Belgique. Qu’en pensez-vous? Jugez-vous que c’est une bonne idée et si oui, avez-vous des conseils à leur donner?

FB: Je pense en effet que c’est une excellente idée. Depuis sa création, notre Fédération a eu une vie riche! Elle chemine avec persévérance et conforte progressivement la promotion de la santé en France.

Pour cela, il y a trois principaux enjeux. D’abord, développer un plaidoyer pour la promotion de la santé. Nos décideurs la connaissent mal et nous avons trop souvent des approches très théoriques. Nous devons être plus illustratifs, plus pédagogiques.

Le deuxième point important est la question du financement. Il nous faut sortir de la précarité et demander, comme pour le soin ou le médico-social, non seulement des budgets dignes mais également plus stables sur la durée.

Enfin, le vrai garant de notre succès et de notre efficacité sera notre professionnalisme et notre capacité d’innovation. Dans l’esprit de beaucoup, les représentations autour de l’éducation pour la santé sont encore trop poussiéreuses!