Novembre 2021 Par Benoît Gérard Initiatives

Un nouveau projet d’Habitat Solidaire et Inclusif voit le jour à Schaerbeek, Square Riga. Ce projet s’inscrit dans l’esprit et les méthodes de promotion de la santé. Benoît Gérard, directeur de Riga Solidaire et Inclusif asbl, nous dévoile ce projet…

a disabled senior man in wheelchair indoors playing with a pet dog at home.

Le projet en quelques mots

L’Habitat Solidaire et Inclusif RIGA est un projet pilote d’habitat inclusif, c’est-à-dire : « un lieu de vie qui rassemble des personnes handicapées et des personnes valides, dans une optique d’accessibilité, de mixité sociale, de solidarité et de réciprocité » (Décret Inclusion Bruxellois 2014). On parle ici d’un immeuble rénové comprenant 27 logements, qui se situe sur le Square Riga, au cœur du quartier Helmet-Hamoir à Schaerbeek. Dans l’immeuble, 14 logements sont adaptés aux personnes à mobilité réduite. On trouve une salle communautaire au rez de chaussée. Au total, 85 personnes y habiteront, dont 23 personnes vivant différentes situations de handicap. Si les formes de handicap sont diverses, le projet met un accent particulier sur le handicap physique et le handicap de grande dépendance. Les personnes en situation de handicap vivront, comme les autres, dans leur appartement en studio, avec leur famille ou en colocation et auront autour d’elles des voisins solidaires. Toutes ces personnes ont donc choisi de vivre une expérience solidaire tout en habitant dans leur propre logement en relative autonomie. Dans une optique de réciprocité, les échanges et l’entraide entre personnes plus et moins valides seront favorisés, à l’intérieur comme à l’extérieur du bâtiment.

Une équipe travaillera sur place et formera ce qu’on appelle un « Service Logement Inclusif ». Notre travail visera l’épanouissement, l’inclusion et le soutien à l’autonomie des personnes en situation de handicap. Le service assurera des missions d’aide à la vie journalière, d’accompagnement, d’animation de la dynamique collective, de mise en lien avec le quartier et de la sensibilisation à l’inclusion.

Les appartements sont mis en location par une agence sociale immobilière, les habitant.es en situation de handicap bénéficient donc de loyers réduits et, dans la mesure du possible, d’un logement adapté à leurs besoins.

La genèse du projet

Le projet d’Habitat Solidaire et Inclusif RIGA est né d’un heureux concours de circonstances qui a donné lieu à un partenariat public privé. Au départ, la commune de Schaerbeek identifia une opportunité de soutenir la mise en place d’appartements adaptés quand le promoteur immobilier est venu se présenter. Des contacts ont ensuite été pris avec le service Phare (Cocof) qui a marqué son intérêt pour un nouveau projet inclusif en s’alignant ainsi sur le Décret Inclusion et les demandes qui lui parvenaient. Par la suite l’Agence Sociale Immobilière de Schaerbeek a rejoint la collaboration. L’asbl Les Tof Services a finalement été sélectionnée pour porter le projet. Dans notre recherche de fonds, nous avons pu compter sur l’aide de la Fondation Roi Baudouin et de Cap 48. Entre temps, le projet a mûri et une nouvelle asbl a été créée.

Intégrer la promotion de la santé dans le domaine du handicap : comment et pourquoi ?

L’approche de la promotion de la santé étant dans l’ADN de l’équipe des Tof Services qui a lancé le projet, c’est directement apparu comme une évidence ! Le projet vise l’inclusion et l’épanouissement des habitants et habitantes et touche ainsi à plusieurs déterminants de la santé.

En soi, l’inclusion est un déterminant de la santé. Quand on a sa place dans la société et que l’on est reconnu, cela impacte positivement notre épanouissement et notre santé mentale.Les facteurs qui influencent l’inclusion des personnes en situation de handicap sont multiples: le manque de place dans les lieux d’accueil, l’institutionnalisation, le niveau d’accessibilité et d’adaptation de la société, le niveau de connaissance et de sensibilisation, le regard de la communauté, l’implication et le degré de participation de tous, l’organisation des soins, le temps et l’énergie disponibles de la part des aidants proches et professionnel.les de l’accompagnement, la reconnaissance et la valorisation du statut d’aidant proche, l’existence d’aide financière, l’existence de réseau d’aide et de soin, etc.

C’est pourquoi il est indispensable d’aborder la question du handicap dans sa globalité. Le lien social est un enjeu essentiel pour les personnes en situation de handicap, qui sont encore trop souvent isolées socialement. Les dimensions sociales et psychiques sont indissociables du handicap qu’il soit physique ou mental. Il en va de même pour les familles des personnes en situation de handicap qui se retrouvent aussi trop souvent isolées socialement, parfois dans l’incapacité de travailler ou faisant face à la méconnaissance du sujet, à la crainte du handicap voire à de la stigmatisation. Le lien social est ici un élément clé car il permet de déconstruire les préjugés. C’est pourquoi nous voyons notre salle communautaire comme un outil d’inclusion. On peut y inviter le quartier et le quartier peut y organiser des activités.

Et puis nous promouvons une vision positive du handicap. On part du principe que chaque individu a de la valeur et des ressources à partager. Valorisons les capacités, les ressources et les compétences plutôt que regarder les déficiences.

Chaque personne a la même valeur et a des choses à partager avec d’autres : une chanson, une idée de recette, un film qu’il a aimé. On peut par exemple être porteur d’un handicap moteur et coordonner l’organisation d’un évènement ou faire du soutien scolaire, être en situation de grande dépendance physique et apprendre le français à sa voisine. C’est la question de la valorisation qui renvoie à la vision positive de la santé.

Agir sur des déterminants de la santé, concrètement

Prenons un exemple :

Une maman solo a des problèmes de dos car elle doit porter son enfant polyhandicapé de 15 ans sur 3 étages. Il y a de l’humidité dans le logement. Son fils développe des problèmes respiratoires. La maman culpabilise. Les voisins se plaignent du bruit occasionné par les déplacements dans la cage d’escalier et par la place que prend la chaise roulante dans le hall. La relation devient tendue. Elle sort moins car cela l’épuise physiquement. Son logement ne lui convient pas. Elle ne trouve pas de logement adapté malgré ses nombreuses recherches. Elle se décourage. Elle aimerait pouvoir prendre un peu soin d’elle à l’occasion mais avec le temps son réseau social s’est érodé. De plus, elle gagne moins d’argent depuis qu’elle a décidé de diminuer nettement son temps de travail pour s’occuper de son fils pour lequel elle ne trouve pas de solution d’accueil adaptée. Madame se retrouve en situation de grande dépendance.  

Par l’intervention de plusieurs partenaires, ce type de projet peut répondre à plusieurs difficultés que rencontre cette maman.  Le logement est rénové et adapté au handicap de son fils, et elle bénéficie d’aide sur place et d’un loyer réduit. On agit donc sur les conditions de logement. 

La présence d’un service et de voisins solidaires peut aussi fournir une aide précieuse, comme par exemple au moment de la toilette ou pour garder son fils pendant 2 heures. Avec ce soutien, elle se sent moins seule car elle est plus flexible et peut aller boire un café en bas avec des voisins plusieurs fois par semaine.

Pour commencer, le projet vise donc l’accessibilité et  l’adaptation du bâtiment, des appartements et de l’environnement physique du quartier : plaine de jeu, commerces du quartier, largeur et surface des trottoirs suffisantes, longueur de traversées, arrêts de tram… tout doit être accessible à tous et toutes.

Cela nous mène au lien avec l’élaboration de politiques publiques favorables à la santé. En santé, on parle d’intégrer la santé dans toutes les politiques. C’est par exemple le cas pour les domaines tels que la mobilité, la culture, l’activité économique, etc.  Pour nous, le handicap doit faire l’objet de la même attention ! C’est pourquoi nous avons rencontré plusieurs échevins et rejoint la Commission Consultative Communale sur la Personne Handicapée.

Quand on parle d’inclusion sociale, on parle aussi forcément de liens avec le quartier. Un projet inclusif doit dépasser les murs du bâtiment pour prendre en compte la dimension sociétale et communautaire de l’inclusion ! Le Décret Inclusion indique d’ailleurs cette voie. C’est la raison pour laquelle notre projet comprend un axe communautaire assez marqué. L’approche communautaire est intéressante en termes de forces vives, mais elle est aussi porteuse de sensibilisation et d’impact positif sur la santé mentale. Evidemment qui dit communautaire dit aussi réseau.

Nous avons rencontré plusieurs acteurs du quartier et commençons nos premières collaborations. L’échange de savoirs pourrait se faire à plus grande échelle. Tous les acteurs associatifs et citoyens ont à gagner quand un nouvel acteur apparaît dans le paysage. Le développement d’un réseau communautaire bénéficie à toutes et tous. Plus tard, nous espérons que le projet occupera une place complémentaire à ce qui existe déjà.

La place de la participation dans le projet

Le principe de base c’est que chaque habitant et habitante ait une place à prendre dans le projet. Puisque la participation est un vecteur et un moteur d’inclusion et de santé mentale, cela nous parait essentiel.

En général, les projets inclusifs viennent souvent d’initiatives de parents de personnes handicapées. Le projet Riga est quant à lui porté par des professionnels et initié par un pouvoir public. Cela colore sans doute les choses puisque nous restons maîtres à certains niveaux et offrons aussi un cadre. La participation de tous et toutes a immédiatement été présentée comme une composante incontournable au projet (en tenant toutefois compte des limites de chacun), cela était pour nous une condition nécessaire à son fonctionnement. La motivation des habitants à passer du temps ensemble et à développer des relations d’entraide a donc été un point d’attention dès le départ. Un temps minimal par ménage sera consacré à la dynamique solidaire, en ce compris une rencontre mensuelle des habitants. En rentrant dans l’habitat, chaque habitant signera une charte de participation qui vient confirmer des engagements et ancrer des balises participatives annoncées dès le départ.

Le projet s’est construit par des rencontres et échanges avec les habitants et habitantes au travers desquelles leurs besoins et ressources ont été récoltés. Ce travail exploratoire a permis de construire une charte de valeurs communes et de poser quelques balises de la vie en communauté, comme les valeurs de respect, l’altérité. Nous avons donc pu identifier des attentes récurrentes vis-à-vis du collectif ce qui nous permet aujourd’hui de faire correspondre les demandes entendues avec les ressources disponibles, et ainsi de mettre en place les premiers projets collectifs : l’aide solidaire à la cuisine et à l’alimentation, et  le soutien scolaire.

Malgré la difficulté d’organiser des rencontres dans le contexte sanitaire, nous avons pu impliquer chaque adulte et même quelques enfants. Aussi, l’analyse approfondie des demandes individuelles a été essentielle pour nous permettre de construire les missions et horaires de l’équipe du Service Logement Inclusif.

Quelques activités extérieures ont pu être réalisées en petit comité pour permettre aux futurs habitants de se rencontrer et découvrir le quartier, mais la dynamique collective prend réellement forme maintenant que le groupe est stabilisé et que l’emménagement est imminent (fin 2021).

Enfin, nous avons prévus des mécanismes de co-évaluation de notre service et de co-construction des projets d’accompagnements des personnes en situation de handicap. De manière plus structurelle, nous allons soutenir le lancement d’un comité des usagers qui siègera à l’assemblée générale de l’asbl. Sur le plan communautaire, nous souhaitons soutenir la participation de tous et toutes aux activités réalisées dans le quartier et favoriser la participation des personnes en situation de handicap au comité de quartier.  

Aujourd’hui, il reste à donner pleinement vie à la dimension participative de notre projet et à voir jusqu’où elle peut aller. Il ne suffit pas de montrer de l’ouverture, encore faut-il que les personnes se sentent concernées, motivées et mobilisées, qu’elles aient de l’énergie et que les systèmes de communication soient adaptés.

Et si vous deviez expliquer l’inclusion ?

Avec mes mots : L’inclusion est un concept relativement récent qui, contrairement à celui « d’intégration », vise un processus dans lequel on agit sur la société et ses normes pour faire tomber les obstacles qui provoquent les situations de handicap. L’inclusion est atteinte quand les conditions sont prévues dès le départ pour que chaque personne ait sa place dans la société. Inclure c’est faire tomber les obstacles afin que chacun.e puisse participer pleinement comme citoyen.ne, travailleur.euse, consommateur.trice. Autrement dit qu’il ou elle ait la possibilité d’être acteur.trice dans tous les domaines de la vie. L’inclusion est un concept relativement récent qui permet de prendre un peu de hauteur par rapport au concept d’intégration qui ne prenait pas tellement en compte cette question des conditions de base.