Mai 2015 Par A. COLMAN Vu pour vous

Images et santé mentale: à vous de voir

Du mercredi 11 au vendredi 13 février derniers, le 7e Festival Images mentales proposé par l’asbl PsymagesNote bas de page battait son plein à l’Espace Delvaux de Watermael-Boitsfort. Trois soirées et deux journées de courts, moyens et longs métrages, de films d’ateliers, docu-reportages, animations et fictions. Il est évidemment impossible de tout voir, et même de relater tout ce que l’on a vu. On va tenter de vous mettre l’eau à la bouche.

Mais commençons par avouer un tour de passe-passe : comme je n’aurais pas pu me libérer pour voir Dans la cour (Pierre Salvadori, 2014), projeté dans le cadre des ‘Ciné-apéros’ du mercredi soir, je l’avais troqué contre son homologue de janvier.

Je ne m’attendais pas à ce que The Homesman (Tommy Lee Jones, 2014, 123′) colle aussi bien au thème du festival, malgré son point de départ. En 1854, dans l’Ouest américain, trois femmes sont rendues folles par la cruauté de leur vie : délabrement, abandon, épidémie, mais aussi hommes immatures voire complètement tarés (et je n’exagère pas).

Dans le programme on lisait : «un magnifique anti-western». Mais ne vous y trompez pas : même si une demi-douzaine d’Indiens se pointent, s’il y a des chevaux et quelques coups de feu, c’est plutôt un film noir (avec une pointe d’humour). La folie est partout, en lien avec la fécondation, la génération, l’identité sexuelle, la mort, la peur, la solitude, le désespoir, l’illusion du profit.

Et c’est aussi un film d’amour. L’amour qui manque, l’amour que l’on offre ou demande maladroitement et qui est refusé, l’amour qui arrive trop tard, ou tombe à côté. Hilary Swank (révélée dans le Million Dollar Baby de Clint Eastwood en 2004) est fantastique. Elle incarne la pionnière déterminée qui convoie les trois femmes vers un autre État et entraîne, bien malgré lui, un vieux briscard désabusé interprété par Tommy Lee Jones. Un rôle plus classique, qui rappelle le Rooster Cogburn du True Grit des frères Coen (2010), en moins fanfaron.

Vous trouvez que j’exagère avec mes références ? Attendez. Le premier Rooster, c’est John Wayne (Cent dollars pour un shérif, Henry Hathaway, 1969). Le dernier film de Wayne, en 1976, est un western crépusculaire de Don Siegel : The Shootist. Siegel est le mentor revendiqué d’Eastwood. Dans le film des Coen, le personnage de Mattie Ross est joué par Hailee Steinfeld, qui, à la fin de Homesman, interprète le rôle bref mais marquant d’une jeune servante. Et voici ma carte maîtresse : The Homesman est tiré d’un roman de Glendon Swarthout. Comme The Shootist… Alors, hein ?

Bon, assez d’érudition. Je passe rapidement sur les autres longs métrages et mets carrément de côté les ‘moyens’ (moins de 60′). Pour ces derniers, c’est vache, je le reconnais, mais faut bien faire des choix dans la vie. Pour l’un des premiers, prenons un raccourci : un numéro hors série de la revue Mental’idéesNote bas de page offre une lecture très intéressante, par Sophie Tortolano et Laurence Mons, du film de Paul Newman De l’influence des rayons gamma sur le comportement des marguerites (1972, 96′), projeté le jeudi soir. On y trouvera aussi une longue interview, par Denis Desbonnet, d’Éric D’Agostino, co-auteur avec Patrick Lemy de La Nef des fous (2014, 75′), projeté le vendredi soir dans une salle où les places se disputaient.

Enfermement versus hospitalité

La Nef des fous est issu de deux années de travail à l’annexe psychiatrique de la prison de Forest. Un film sans complaisance ni parti-pris, que ce soit envers les détenus ou envers les gardiens. Des regards, des paroles. Ni misérabilisme ni froideur : les images et les sons – roulement des chariots, grincement et claquement des portes, cris et appels – parlent d’eux-mêmes. Le confinement et la promiscuité, l’exploitation financière des détenus, le passé terrifiant de certains (Memed, la trentaine, meurtrier, compte 21 ans en psychiatrie), la distribution massive de médicaments (Memed est complètement blindé) ne font pas oublier l’empathie du ‘chef Jean’, ni l’ambiguïté de ce détenu âgé qui essaie de rester proche de sa fille, analyse le contexte de la prison avec distance et pragmatisme, puis relate sans émotion apparente le meurtre de l’inconnue qui a eu le tort de croiser son chemin au mauvais moment…

Contraste avec Chez Lise (Jeanne Pope et James Galwey, 2013, 87′), même si là aussi un travail de plusieurs années se niche derrière les images. Dans un faubourg de Montréal, Lise Bissonnette accueille depuis longtemps, dans une sorte de pension de famille, des dizaines de personnes vivant de l’aide sociale, dont beaucoup souffrent de maladies mentales. Lise est à la fois propriétaire, gestionnaire, médiatrice, confidente, et ce contre vents et marées. Cette maison, c’est sa vie : «J’y resterai aussi longtemps que je pourrai». Malgré les difficultés financières, le déficit de médecins hospitaliers et le cancer de son quartier-maître François.

Le film se centre sur deux pensionnaires : Deanna, diabétique sévère et maniaco-dépressive, et Gordon, schizophrène parfois mégalo, parfois agressif voire dangereux, notamment avec elle. Ils ont chacun une histoire affreuse (maltraitance grave, décès précoce des proches, abandon…) et mènent tant bien que mal une relation à éclipses.

Ils finiront par se séparer car elle doit être définitivement hospitalisée. On comprend alors le rôle que chacun a joué pour l’autre : Gordon, accueilli chez Lise, avait rencontré Deanna à l’hôpital, et c’est Lise qui avait insisté pour accueillir celle-ci. «C’est important qu’il sache qu’il a été quelqu’un dans sa vie. Si elle est restée si longtemps, c’est aussi grâce à lui. Il lui a permis de vivre ces moments-là.» Et toi, Lise?… Tu n’y es pas pour rien.

Seize sur dix !

Cette année, superbe moisson de courts-métrages : pas moins de seize au programme; j’en verrai dix, tous de qualité. Commençons par les quatre présentés le jeudi.

Dans le drôle et percutant Voilà quoi (2014, France, 6′), Pierre Le Roy se met en scène, face caméra, dans la nature, sur une musique énergique. Il se dit homo (voire bi) et schizophrène. Vidéaste ? Oui, «mais j’aime bien donner des cours de math aussi». À retenir : «Quand tu vas mal, on te traite mal; quand tu vas bien, on te traite bien.» Pas mal vu.

Suivent trois films d’animation.

L’homme qui avait perdu la tête (Fred Joyeux, 2014, France, 9′) offre un travail graphique très élaboré, coloré, rythmé; ici aussi la musique joue un grand rôle. «Qu’est-ce que vous faites dans la vie ? – Du bruit. Parfois aussi j’écoute le vent. J’écris une encyclopédie, ‘Le vent musicien’.»

Les journaux de Lipsett (Theodore Ushev, 2010, Canada, 14′) joue sur le contraste ombre/lumière et commence dans les marrons, les sépias, les beiges, les jaunes-orangés, sur un air de cinéma muet. Puis, avec la disparition de la mère du personnage, les couleurs deviennent plus contrastées, plus dures : noir, rouge, blanc. Surgissent des images de mort, d’exécution, de charniers. Lipsett s’est ôté la vie en 1986; ses ‘carnets’ n’ont jamais été retrouvés…

Le labyrinthe (Mathieu Labaye, 2014, Belgique, 9′), je ne sais trop pourquoi, m’a rappelé Valse avec Bachir (Ari Folman, 2009, Israël, 86’). Par la rencontre d’une personne incarcérée pendant 15 ans, ce film nous plonge dans l’insupportable monotonie du labyrinthe de la prison. «Une expérience de l’ordre de l’irrationnel : c’est ça la matière du film», dit le réalisateur.

Le vendredi matin, la salle comble verra d’abord trois films réalisés dans le cadre de l’Heure Atelier, centre d’expression et de créativité du SSM La Gerbe, à Schaerbeek. J’épinglerai Miroirs, de Saïd Estuki (12′), qui est découpé en un prologue (le visage, l’image, l’apparence) et trois actes : le premier, angoissant, allonge sur les planches des corps souffrants, contractés, qui se débattent; le deuxième, érotico-comique, sur fond du Stabat Mater de Pergolèse, moque le voyeurisme et la fascination pour la technologie; le troisième montre enfin des corps qui se touchent, s’enlacent, ventre contre dos, dos à dos, tête contre tête, sur la clarinette de Sidney Bechet (Petite Fleur). Le réalisateur dit avoir appris beaucoup avec des gens en souffrance : l’image des corps qui rament comme dans une galère vient tout droit de ce qui se passe en psychiatrie.

FwistrasyonNote bas de page (Les Gnômes à poêle / L’Autre «lieu», 8′) use des ressorts du cinéma muet et du burlesque : tôt le même matin, trois personnages sont confrontés à la révolte des objets et à la malchance: le premier renverse son café sur sa chemise, l’eau est coupée alors que la deuxième se lave les cheveux (et par la suite elle recevra un seau d’eau sale sur la tête !), le troisième se retrouve coincé dans l’ascenseur. Onze heures : les deux premiers, dépités, font la queue dans les locaux d’Actiris lorsqu’arrive enfin l’homme de l’ascenseur. C’était le fonctionnaire qui leur avait donné rendez-vous !… Un film très écrit, dont la production complète s’est étalée sur 4 mois. Pourtant, «on n’avait pas envie de se prendre la tête; on s’est surtout fait plaisir».

Ce que je veux montrer de moi (Atelier cinéma de Psynergie, 18′) permet aux participants, qui vivent en habitations protégées à Namur d’aller s’enquérir, dans un parc, dans la rue, de ce qu’est le bonheur pour les gens, de ce qui les rend heureux. C’est aussi l’occasion de se familiariser avec la prise d’images et de sons, et de se mettre en scène : «Quand on se voit dans un film, on a une tout autre image de soi; c’est différent du miroir», dira l’un. Et cet autre : «C’est une nouvelle porte qui s’est ouverte pour moi. Et il y en aura d’autres.»

Terminons cette évocation avec le clou de la matinée : Best friend (Anastasia / CTJ Ado, 14′). Chaque jeune accueilli dans ce centre thérapeutique de jour, à Charleroi, est amené à réaliser un film de son cru et participe aux films des autres. On a ici une franche comédie où la réalisatrice se met elle-même en scène dans le rôle d’une vraie petite peste, agressive, «carrément méchante, jamais contente», qui finit par en venir aux mains avec une autre fille de l’école. L’intervention maladroite du proviseur suscite une alliance entre les deux filles et entre leurs parents respectifs.

Ce personnage, dira Anastasia après la projection, «c’est vraiment moi». Dans la salle, deux spectateurs ne tarissent pas d’éloges et l’engagent vivement à poursuivre comme comédienne : «Si vous n’aimez pas l’école, faites du théâtre, vous avez un vrai talent !» et «Vous êtes peut-être la nouvelle Florence Foresti !»… Mieux que les Césars.

Avec ses nombreux soutiens (Fédération Wallonie-Bruxelles, COCOF Santé, COCOF Culture, Wallonie) et partenaires (Centre culturel La Vénerie, Point Culture, CRESAM, L’Équipe, L’Autre «lieu», LBFSM).

Le hors-série de Mental’idées, intitulé «Séances décalées!», a été diffusé lors du festival et, si j’ai bien entendu, il était question d’en faire un nouveau tirage (renseignements: lbfsm@skynet.be).

C’est du créole. Pas trop difficile à traduire…