Mars 2003 Réflexions

Grâce aux progrès de la santé publique, les gens vivent de plus en plus vieux. Ils vivent aussi de plus en plus souvent avec une ou plusieurs affections chroniques pendant des décennies. Cela crée de nouvelles sollicitations à long terme pour les systèmes de santé. Non seulement on prévoit que les affections chroniques seront la principale cause d’incapacités partout dans le monde d’ici 2020 mais si l’on ne parvient pas à les éviter et à les prendre en charge, elles deviendront le problème le plus coûteux pour nos systèmes de santé.
Les diabétiques, par exemple, génèrent des dépenses de santé deux à trois fois supérieures au reste de la population, et en Amérique latine, les coûts des pertes de production dues au diabète sont estimés cinq fois supérieurs aux dépenses directes en soins de santé que la maladie entraîne. A cet égard, les maladies chroniques constituent une menace pour tous les pays d’un point de vue sanitaire et économique.
De nombreuses affections coûteuses et incapacitantes – les maladies cardio-vasculaires, le cancer, le diabète et les maladies respiratoires chroniques – sont liées à des facteurs de risque courants et évitables. Le tabagisme, une mauvaise alimentation, la sédentarité et une consommation excessive d’alcool en sont les principales causes et les principaux facteurs de risque. Le tabagisme va augmenter dans l’avenir immédiat, surtout dans les pays en développement. La transition nutritionnelle en cours, qui se traduit par une augmentation de la consommation de produits alimentaires à forte teneur en graisses et en sel, contribue à la charge croissante de cardiopathies, d’accidents vasculaires cérébraux, d’obésité et de diabète.
Les changements dans les modes d’activité imputables au développement des transports motorisés ou aux activités de loisirs sédentaires comme la télévision se traduiront par une sédentarité de plus en plus marquée pour tous sauf les populations les plus pauvres.

Les systèmes de santé actuels

De nombreuses maladies peuvent être évitées, mais les systèmes de santé n’utilisent pas au mieux les ressources dont ils disposent pour favoriser la prévention. Les agents de santé ne saisissent pas assez souvent l’occasion d’un contact avec le patient pour l’informer sur les méthodes de promotion de la santé et de prévention de la maladie.
La plupart des systèmes de santé ont surtout pour vocation de traiter les problèmes aigus et de répondre aux besoins urgents des patients et à leurs préoccupations immédiates. Aujourd’hui, on attend des soins de santé des analyses, un diagnostic, un soulagement des symptômes et une guérison. Si ces fonctions sont tout à fait adaptées en cas de problèmes de santé aigus et épisodiques, l’application de ce modèle de soins à la prévention et aux traitements des affections chroniques est beaucoup moins efficace. Les soins de santé préventifs diffèrent radicalement des soins de santé curatifs et, à cet égard, les systèmes de santé actuels restent très insuffisants et cela partout dans le monde.

Comment les systèmes de santé peuvent-ils relever ce défi

?
De nombreuses affections pouvant être évitées, chaque contact avec les systèmes de santé devrait comprendre un élément de prévention. Si l’on fournit systématiquement au patient des informations et des compétences lui permettant de réduire les risques pour la santé, il sera plus susceptible de réduire sa consommation de certaines substances, d’arrêter de fumer, de se protéger lors des rapports sexuels, d’avoir une alimentation saine et de pratiquer une activité physique. Ces comportements, qui contribuent à réduire les risques, peuvent aussi réduire de façon spectaculaire la charge de morbidité et les besoins à long terme en soins de santé que provoquent les maladies chroniques. Mais pour favoriser la prévention, il est très important de sensibiliser les gens afin de promouvoir des changements de comportement et de susciter un engagement et une action de la part des patients et des familles, des équipes soignantes, des collectivités et des décideurs.
Une approche concertée de la prise en charge au niveau des soins de santé primaires avec les patients, leur famille et le personnel soignant s’impose si l’on veut prévenir efficacement les principaux facteurs qui contribuent à la charge de morbidité.
Quels sont les éléments essentiels de l’action?
– favoriser un changement de paradigme en faveur de soins de santé intégrés et préventifs;
– promouvoir des systèmes de financement et des politiques qui favorisent la prévention dans le cadre des soins de santé;
– doter les patients des informations nécessaires, les motiver et leur fournir les moyens de prévenir la maladie et de se prendre eux-mêmes en charge;
– faire de la prévention un élément de toute interaction avec les soins de santé.

L’action de l’OMS

Le Groupe OMS Maladies non transmissibles et santé mentale a créé un nouveau cadre pour aider les pays à réorganiser leurs soins de santé pour les rendre plus efficaces et plus efficients sur le plan de la prévention et de la prise en charge des maladies chroniques. Le nouveau cadre de prise en charge des affections chroniques est centré sur l’idée selon laquelle on obtient les meilleurs résultats lorsque se constitue une triade des soins de santé. Cette triade est un partenariat entre les patients et les familles, les équipes soignantes et les communautés qui fonctionnent au mieux lorsque chaque membre est informé, motivé et préparé à prendre en charge la santé et qu’il communique et collabore avec les autres membres de la triade.
Celle-ci subit l’influence et reçoit le soutien de l’organisation qui dispense les soins de santé, de la communauté élargie et de l’environnement décisionnel. Lorsque l’intégration des différents éléments est optimale, le patient et la famille deviennent des participants actifs aux soins, avec le soutien de la communauté et de l’équipe soignante.

Exemples d’innovations

Les trois études de cas suivantes illustrent la mise en œuvre réussie d’un ou plusieurs éléments de prévention dans les soins de santé.

Brésil: mise en place de services de santé préventifs dans les communautés défavorisées

Le Cearà, État pauvre du Brésil, possède un modèle de soins qui pourrait être imité par d’autres pays dont les ressources, les revenus et les niveaux d’instruction sont limités. En 1987, des agents de santé auxiliaires, supervisés par des infirmières qualifiées (une infirmière pour 30 agents de santé) vivant dans les communautés locales, ont entamé des visites domiciliaires mensuelles aux familles pour dispenser des services de santé essentiels. Le programme a permis d’améliorer l’état de santé des enfants et les vaccinations, les soins prénatals et le dépistage du cancer chez la femme. Il n’a pas coûté très cher. Les salaires des agents de santé étaient normaux, peu de médicaments étaient utilisés et aucun médecin n’était appelé à y participer. Dans l’ensemble, le programme n’a utilisé qu’une très petite partie du budget de l’État consacré à la santé.
En 1994, le programme des agents de santé a été intégré au programme de santé de la famille dans lequel des médecins et des infirmières participent à l’équipe soignante. Pour la première fois au Brésil, des services de santé préventifs intégrés à grande échelle étaient mis en place.

Etats-Unis d’Amérique: intégrer la prévention aux soins primaires

Kaiser Permanente , grande organisation californienne de gestion des soins, a récemment réorienté ses centres de santé primaires pour mieux répondre aux besoins des patients, en privilégiant les besoins des malades chroniques. Des équipes multidisciplinaires ont été constituées de médecins, d’infirmières, d’éducateurs pour la santé, de psychologues et de physiothérapeutes. Ces équipes de soins primaires sont rattachées à la pharmacie, à un centre de conseil et d’accueil par téléphone, à des programmes de prise en charge des affections chroniques et à des dispensaires spécialisés, ce qui constitue au total un système intégré de soins allant des consultations externes aux soins aux malades hospitalisés.
Les patients sont inscrits dans le programme de prise en charge des affections chroniques grâce à des stratégies de proximité qui visent à dépister les patients souffrant de maladies chroniques qui n’ont pas consulté au niveau des soins primaires, et par les médecins au cours des visites dans les centres de soins primaires. Les patients bénéficient alors de services faisant appel à plusieurs disciplines selon leurs besoins. L’accent est mis sur la prévention, l’éducation du patient et l’auto-prise en charge. Le fait que l’équipe soit également constituée de non-médecins facilite les consultations groupées. Les indicateurs biologiques ont été améliorés pour des affections telles que les maladies cardiaques, l’asthme et le diabète. Les services de dépistage et de prévention ont été développés et le taux d’hospitalisation a diminué.
Une comparaison récente du système de soins intégré de Kaiser avec le système national de santé du Royaume-Uni a montré que même si les coûts par habitant de chaque système étaient du même ordre, les résultats de Kaiser étaient considérablement meilleurs en termes d’accès, de traitement et de temps d’attente. Ces meilleurs résultats s’expliquent par une réelle intégration de l’ensemble des éléments des soins de santé, le traitement des patients au niveau le plus économique, la concurrence du marché et des systèmes d’information avancés.

Inde: intégrer la prévention et la prise en charge des maladies non transmissibles

Les maladies cardio-vasculaires et cérébrovasculaires, le diabète et le cancer apparaissent désormais comme les principaux problèmes de santé publique en Inde. En dehors d’une proportion croissante d’adultes vieillissants, l’exposition de la population aux risques associés à certaines maladies chroniques augmente. L’obésité est en hausse, l’activité physique en baisse et la consommation de tabac constitue un problème important dans le pays.
Bien qu’il soit communément admis que les maladies non transmissibles (MNT) touchent davantage les groupes à haut revenu, les données provenant d’une enquête nationale réalisée en Inde en 1995-1996 montrent que le tabagisme et l’alcoolisme sont plus répandus parmi les 20% de la population ayant les plus bas revenus. De ce fait, le Gouvernement indien prévoit que la prévalence des affections liées au tabagisme augmentera dans les couches économiques inférieures ces prochaines années.
Le Gouvernement a adopté un programme intégré de prévention et de prise en charge des MNT dont les principaux éléments sont les suivants:
– éducation sanitaire aux fins de prévention primaire et secondaire des MNT à travers une mobilisation de l’action communautaire;
– élaboration de protocoles de traitement pour la formation des médecins en matière de prévention et de prise en charge des MNT;
– renforcement/création de centres de diagnostic et de traitement des maladies cardio-vasculaires et des accidents vasculaires cérébraux et établissement de liens pour l’orientation recours;
– encouragement de la production de médicaments d’un coût abordable pour lutter contre le diabète, l’hypertension et l’infarctus du myocarde;
– mise en place et soutien d’institutions pour la réadaptation des personnes souffrant d’incapacités;
– soutien à la recherche pour des interventions multisectorielles visant à réduire les facteurs de risque dans la population;
– rôle important de la nutrition et des facteurs liés au mode de vie;
– mise au point d’interventions d’un bon rapport coût/efficacité à chaque niveau de soin.

Conclusions

Beaucoup d’affections coûteuses et incapacitantes que doivent traiter les systèmes de santé aujourd’hui pourraient être évitées. En outre, moyennant un soutien adéquat, un grand nombre de complications pourraient être évitées ou retardées. Les stratégies à mettre en place pour réduire l’apparition de la maladie et ses complications sont les suivantes: dépistage précoce, augmentation de l’activité physique, réduction de la consommation de tabac et lutte contre une mauvaise alimentation prolongée.
Grâce à l’innovation, les systèmes de santé peuvent accroître le rendement de ressources parfois modestes au point de paraître inexistantes en se réorientant vers des activités privilégiant la prévention et visant à retarder les complications. De petits changements progressifs sont aussi efficaces qu’un bouleversement du système. Ceux qui mettent en œuvre des changements, petits ou grands, en récoltent immédiatement les fruits et jettent les bases d’un avenir meilleur.
Pour plus d’informations: Media Centre, Service de Communication du Directeur général, OMS, Genève. Téléphone: (+41 22) 791 2222. Fax: (+41 22) 791 4858. Courriel: mediaenquiries@who.int.
Aide-Mémoire OMS n° 172, révisé en octobre 2002