Novembre 2011 Par L. BERGHMANS Réflexions

Les inégalités sociales de santé sont des réalités bien documentées en Belgique. L’absence de plans ambitieux de l’action publique pour les réduire significativement est préoccupante dans une société où l’égalité des chances est une valeur de référence. On dispose pourtant de multiples études, à l’image des tableaux de bord de la santé en Wallonie, de l’Enquête nationale de santé ou encore des études des mutualités et de la Fondation Roi Baudouin qui quantifient le problème et avancent des pistes de solutions.
Quelques chiffres donnent à réfléchir: un écart d’espérance de vie de 7 ans entre classes sociales défavorisées et aisées; pour l’espérance de vie en bonne santé, cet écart monte à 18 ans; 50% de sur-incidence des maladies cardiovasculaires chez les plus défavorisées, etc. Ces gradients sociaux se retrouvent au niveau des déterminants de santé: sédentarité, tabagisme, alimentation déséquilibrée, stress… sont systématiquement plus fréquents dans les groupes de population moins favorisés. En Hainaut, les inégalités de santé entraînent chaque année un excès de 1800 décès. Les inégalités sociales en matière de santé s’installent dès l’enfance. Exemple, on évalue à 9% l’obésité franche chez les enfants de familles d’ouvriers contre 2% chez les familles aisées.
Le constat est clair: les politiques sociales des dernières décennies ont permis un accès relativement équitable aux soins de santé mais pas à la santé !
Les politiques d’accessibilité à des soins de santé de qualité sont éthiquement et socialement indispensables mais elles ne peuvent résoudre structurellement les inégalités de santé parce que l’origine du problème est en amont des soins, dans les conditions de vie, l’accès à l’information et à l’éducation, la qualité de l’environnement des lieux de vie et de travail, les revenus…
Pour s’attaquer au problème, les recommandations scientifiques, dont celles de l’OMS (1), préconisent deux voies d’actions complémentaires:
•intégrer les dimensions bien-être, santé, équité dans les politiques publiques (logement, emploi, éducation, culture, petite enfance, revenus…);
•renforcer structurellement la promotion de la santé et en faire une composante à part entière des politiques publiques et du système de santé. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui en Belgique francophone comme vient de le mettre en évidence un audit externe du dispositif existant (2).
Le premier axe est essentiel. Son niveau de mise en œuvre dépendra des orientations politiques et des formes de gouvernance à tous les niveaux de pouvoirs.
Le second est plus technique, à portée complémentaire du premier mais avec une possibilité de mise en œuvre rapide. Cela mérite quelques développements.
La promotion de la santé vise à créer des conditions de vie qui permettent le développement du bien-être en donnant à la population un meilleur contrôle sur les moyens de préserver et d’améliorer sa santé. Cela va donc bien au-delà de la simple information du public (indispensable mais pas suffisante); il faut aussi améliorer les conditions et les environnements de vie pour les rendre propices au bien-être et à la santé. Menus équilibrés dans les cantines scolaires, espaces verts dans les quartiers, villes et villages piétons admis, qualité et accessibilité de l’offre alimentaire, régulation éthique du marketing visant les enfants, protection contre la fumée du tabac, actions de renforcement des liens sociaux… sont quelques illustrations de l’action de promotion de la santé dans les milieux de vie.
La promotion de la santé ne peut donc se concevoir qu’avec la participation des acteurs sociaux et économiques, élus, enseignants, élèves, éducateurs, associations, clubs, familles, professionnels…. Tous sont des opérateurs potentiels de promotion de la santé. Encore faut-il que le système de santé publique les valorise et les soutienne concrètement dans ce rôle en mettant à leur disposition expertises, outils, accompagnement et coordination des interventions. Ceci nécessite de renforcer significativement le dispositif de promotion de la santé pour qu’il puisse rendre ces services à l’ensemble de la population et plus particulièrement dans les territoires défavorisés.
Les approches sont largement communes à celles du développement durable et certains objectifs concrets sont complémentaires. On pense en particulier à la qualité de l’alimentation et de sa production, à la mobilité douce et à la lutte contre la sédentarité, à la qualité de l’environnement physique des lieux de vie. Les agendas de la lutte contre les inégalités sociales de santé, de la promotion de la santé, de la cohésion sociale et du développement durable devraient être coordonnés et les programmes d’actions se renforcer mutuellement. À l’heure actuelle, l’organisation et les moyens qualitatifs et quantitatifs du secteur de la promotion de la santé ne sont pas à la hauteur des enjeux sociétaux évoqués plus haut. Où trouver les financements susceptibles de renforcer le secteur de la promotion de la santé ? C’est une question d’une brûlante actualité politique et institutionnelle.
Un scénario, à étudier sérieusement, serait de convaincre les gestionnaires sociaux et professionnels de l’INAMI de consacrer 1% du budget soins de santé à un investissement en «bons pères de famille» dans la promotion de la santé. Un impressionnant panel d’experts internationaux rappelait récemment dans le Lancet (3) que 2/3 des maladies chroniques (maladies cardiaques, accidents vasculaires cérébraux, diabète, hypertension, cancers, troubles mentaux…) ont pour facteurs favorisants communs le tabagisme, une alimentation déséquilibrée , le manque d’activité physique, la consommation excessive de sel et d’alcool. La promotion de la santé est un moyen efficace de lutter contre ces facteurs (4). Ne pas la prendre en compte spécifiquement dans les réflexions en cours sur le budget INAMI et l’impact du vieillissement serait une erreur de gouvernance.
L’opérationnalisation de cet investissement devrait être confiée aux Communautés / Régions parce que très logiquement c’est en décentralisation et en proximité avec la population que cet investissement structurel a le plus de chance d’être productif. Les communes et provinces devraient être impliquées dans ce dispositif parce que leur proximité avec les citoyens et leur capacité d’action sur le cadre de vie en font des niveaux de responsabilité publique incontournables pour intégrer sur le terrain promotion de la santé, développement durable et cohésion sociale.
Pour la Belgique francophone, cet apport de ressources (et partant d’intérêt politique) permettrait de construire un véritable dispositif de service public en promotion de la santé.
Dr. Luc Berghmans , Observatoire de la Santé du Hainaut
Opinion publiée dans La Libre Belgique le 28 septembre 2011 et reproduite avec son aimable autorisation
(1) WHO Commission on Social Determinants of Health. Report. Geneva: World Health Organization, 2008. (2) Évaluation du dispositif de santé de la Communauté française . Colette Barbier. Éducation Santé, n° 269, pp 13-15, 2011.
(3) Priority actions for the non-communicable disease crisis. Lancet, vol. 377, pp 1438-1447, 2011.
(4) A challenge for health promotion. D. McQueen. Global Health Promotion, vol. 18, pp 8-9, 2011.