Promouvoir la santé des femmes passe par une réforme structurelle dans la pratique clinique, la recherche et l’enseignement universitaire. Le Service d’études de la MC émet une série de recommandations.
Lorsqu’une femme arrive aux urgences et se plaint de douleurs, les médecins auront plutôt tendance à lui prescrire des anxiolytiques, tandis qu’un homme recevra des anti-inflammatoires. Pire encore, une femme est exposée à un risque plus élevé de complications et ses chances de survie seront moins élevées, si l’équipe médicale qui l’opère est entièrement masculine. Ces récits, loin d’être anecdotiques sont issus d’un documentaire consacré à la santé des femmes et disponible sur Arte. Ils illustrent à quel point le genre – au sens des relations et des normes de pouvoir entre les hommes et les femmes – impacte nos systèmes de santé.
Si les préjugés liés au genre ont la peau dure, c’est notamment parce que le domaine médical, prend pour référence le corps masculin-type : 1,75 pour 70 kilos, et néglige encore trop souvent les particularités physiologiques des femmes. Cela génère des pertes de chance, des diagnostics erronés, de l’errance médicale, ou des traitements inappropriés en particulier pour les maladies cardiovasculaires ou encore l’endométriose.
Le film suit plusieurs femmes médecins françaises et allemandes qui cherchent à faire bouger les lignes dans la recherche, l’enseignement universitaire et la pratique clinique. Parmi elles, la Dre Claire Mounier-Vehier, cardiologue au CHU de Lille, qui déplore les effets d’une “médecine bikini”, capable de soigner les cancers du sein et de l’utérus, de surmédicaliser les grossesses, quand tout le reste du corps des femmes est négligé.
Alors, la Belgique fait-elle exception à la règle ?
En octobre, la MC publiait justement une grande étude sur les inégalités de santé entre les hommes et les femmes en Belgique dans la revue Santé et Société. Le service d’études de la MC y analyse la façon dont le genre imprègne la pratique médicale et décrit les mêmes effets délétères.
Androcentrisme mortifère
En Belgique, les femmes vivent plus longtemps que les hommes (84 ans contre 79,2), mais elles ont plus de problèmes de santé qu’eux. D’ailleurs, l’espérance de vie en bonne santé est quasiment la même pour les deux sexes : 64 et 63,6 ans en 2020 (selon les données d’indicators.be). Les femmes ont aussi plus de risque de souffrir de maladies invalidantes, maladies de longue durée ou qui les limitent fortement dans leurs activités quotidiennes jusqu’à mettre en péril leur capacité à travailler, selon les données du Bureau fédéral du Plan.
Les femmes cumulent d’ailleurs les inégalités. Plus souvent précaires et touchées par la pauvreté, elles reporteront davantage le moment de consulter ou de se soigner. Elles sont aussi plus souvent victimes de violences sexistes et sexuelles, en particulier dans l’enfance. Le rôle social qui leur est attribué dans la sphère familiale a aussi des conséquences sur leur santé physique et mentale. À leur condition de femmes se surajoutent aussi des discriminations croisées : l’origine étrangère, le handicap ou encore le surpoids, comme l’illustre le podcast ‘Lâchez-nous le gras’ de la série ‘Inspirations’ réalisée par le journal En Marche.
Ainsi, loin de corriger les inégalités, le système de soins de santé le renforce avec pour conséquence, des traitements plus tardifs, un risque accru de mortalité ou d’invalidité. Les femmes courent un risque accru d’être confrontées à un sous-diagnostic, aussi bien pour des problèmes de santé typiquement féminins (notamment liés au système reproductif, comme l’endométriose marqué par un retard de diagnostic de 6 à 12 ans) que pour des problèmes identiques à ceux des hommes. Le cas des maladies cardiovasculaires illustre bien l’androcentrisme de la science médicale. Comme les symptômes des femmes sont considérés comme atypiques, elles bénéficient moins souvent de traitement précoce à l’aspirine, bétabloquant ou de reperfusion.
Créer un changement systémique
Pour remédier à ces biais sexistes et aux inégalités d’accès aux soins, le service d’études de la MC pose une série de revendications faciles à mettre en œuvre dont l’impact pourrait être systémique.
Aux responsables de la recherche scientifique en santé
- Remédier aux biais de genre dans la recherche en santé
Les femmes sont souvent exclues des études cliniques ou en constituent la minorité notamment à l’âge avancé même si leur santé est tendanciellement moins bonne que celles des hommes âgés. Les chercheurs devraient pouvoir travailler sur des données désagrégées par sexe, pour rendre visible les différences, puis analyser ces différences sous l’angle du genre. Ce manque de données est loin d’être anodin, il reflète la façon dont le système de santé maintient le statu quo et perpétue les inégalités.
L’étude MC recommande donc de porter une attention particulière à la constitution des échantillons et des groupes cibles étudiés afin de tenir compte de leur diversité (lors des enquêtes, des analyses statistiques, des études cliniques, etc.) et de questionner les différences entre hommes et femmes observées. Cela inclut d’examiner le genre en relation avec d’autres déterminants sociaux, tels que la classe sociale, l’origine, l’éducation, l’ethnicité, l’âge, la situation géographique, les handicaps et la sexualité, idéalement dans une perspective intersectionnelle.
2. Récolter et analyser les données sur les biais de genre dans les soins de santé
Il existe peu d’analyses qui visent à comprendre « les relations et les normes de pouvoir entre les hommes et les femmes et leurs conséquences dans les systèmes de santé, y compris la nature de la vie des femmes et des hommes, la manière dont leurs besoins et leurs expériences diffèrent au sein du système de santé, les causes et les conséquences de ces différences, et la manière dont les programmes, les services et les politiques peuvent être mieux organisés pour réduire, prendre en compte ou corriger les différences entre les hommes et les femmes » écrit la chercheuse Rosemary Morgan dans un article intitulé « Comment faire (ou ne pas faire) de l’analyse de genre dans les systèmes de santé » paru en 2016.
Par ailleurs les discriminations raciales à l’égard des femmes restent un domaine peu étudié en Belgique. Une des raisons est le manque de données, notamment dans le champ de la santé. L’étude MC recommande à tous les organismes de recherche actifs dans l’évaluation et la préparation des politiques de santé publique (Agence intermutualiste, KCE, Inami, Sciensano) de développer des analyses spécifiques sur le genre.
Il est également nécessaire de faire un monitoring régulier des discriminations de genre en santé et soins de santé en renforçant les plateformes existantes de l’enregistrement des plaintes comme Unia.
Aux différent·es responsables dans le système des soins de santé
1. Éviter les biais de genre dans la pratique médicale au niveau de la prévention, du diagnostic, du traitement et du suivi
Garantir l’accessibilité des soins de santé signifie garantir ses quatre dimensions : sensibilité à l’état de santé, disponibilité, accessibilité financière et acceptabilité de l’offre de soin. Les personnes doivent être traitées en fonction de leurs besoins en santé, qui sont médicaux, mais aussi sociaux.
Afin d’éviter que la vision genrée des sexes influence la pratique clinique, il est nécessaire de veiller au renforcement de la « sensibilité au genre dans les soins de santé », c’est-à-dire la capacité à discerner la façon dont les soins de santé peuvent reproduire les rapports de pouvoir inhérents au genre.
Il faut également incorporer les données en lien avec la question de genre dans la médecine fondée sur les données probantes. Cette sensibilisation doit combiner les approches top down organisationnelles qui régulent la pratique clinique, et bottom up individuelles qui s’appuient sur l’expérience des patient·es et la réalité de terrain des soignant·es.
Le service d’études de la MC recommande d’introduire et/ou adapter des protocoles médicaux afin de prendre en compte les différences de sexe et réduire les inégalités de genre.
Il propose d’appliquer la méthode de l’universalisme proportionné dans les programmes de prévention afin de moduler ces derniers en fonction des besoins, des conditions de vie et de l’hétérogénéité des publics visés.
En outre, il est nécessaire de continuer à rendre les soins centrés sur les objectifs de vie de la personne et pour cela de garantir l’implication des patient·es dans le processus médical et rendre le système plus centré sur les patient·es.
2. Rendre obligatoire la parité hommes-femmes dans les lieux de gestion et de coordination des soins de santé
Malgré la féminisation de la profession médicale grâce aux jeunes générations, certaines spécialités restent majoritairement masculines. Il s’agit tendanciellement des spécialités les plus lucratives. En outre, les femmes restent minoritaires dans les lieux de décision comme les postes de direction des hôpitaux. Cependant les femmes sont majoritaires au sein du corps des infirmier·es et des aides-soignant·es.
Le service d’études de la MC recommande aussi d’introduire des quotas hommes-femmes dans les postes de direction du système des soins de santé, allant des comités nationaux de santé jusqu’aux directions des hôpitaux. Il est également nécessaire de tenir compte des inégalités de genre et des inégalités économiques au sein des professions médicales lors des prises de décisions budgétaires.
Pour ce faire, l’étude suggère de rendre certaines dépenses budgétaires davantage transparentes, notamment les informations sur les salaires des soignant·es.
Aux responsables des formations en santé : améliorer la formation des professionnel·les de santé aux questions de genre
Il est nécessaire de sensibiliser et former les personnels soignants à prendre en compte les interactions entre sexe et genre dans les pathologies, mais aussi dans la relation clinique.
Le service d’études de la MC recommande de revoir la formation initiale des étudiant·es en médecine pour introduire la thématique des biais de genre. De même, il lui paraît nécessaire d’organiser une formation continue de tous les professionnel·les de santé sur le sujet.
Enfin, l’étude suggère d’organiser des programmes de formation en Genre et Santé pour les étudiant·es et professionnel·les dans les domaines de la recherche clinique et biomédicale, soulignant la nécessité de veiller à l’égalité entre les sexes au sein des équipes, dans le portage des appels à projets et dans les comités de sélection des projets et d’attribution des financements.
Cette refonte systémique permettrait de placer les femmes au cœur des dispositifs de décision. Un curseur essentiel pour que le système de soins puisse véritablement corriger les inégalités de santé et briser le statu quo.
Références
Sholokhova, S. (2023). Femmes et soins de santé en Belgique, Santé & Société, 7, octobre 2023
La santé des femmes, Documentaire d’Ursula Duplantier et Marta Schröer (Allemagne, 2023, 53mn) : La santé des femmes | ARTE – YouTube
Morgan, R., George, A., Ssali, S., Hawkins, K., Molyneux, S., & Theobald, S. (2016). How to do (or not to do)… gender analysis in health systems research. Health Policy and Planning
Annick : Lâchez-nous le gras ! Podcast Inspirations, En Marche
D’Ortenzio A., Les femmes, les « oubliées » des maladies cardiovasculaires, Education Santé, avril 2021
Voir aussi
L’ASBL Femmes et Santé interroge la médicalisation des cycles de vie des femmes et l’impact du genre sur leur santé : https://www.femmesetsante.be