Août 2004 Par Christian DE BOCK Initiatives

Le comportement des jeunes face à l’alcool se modifie, il se rajeunit, il se féminise. Les stratégies commerciales mises en œuvre pour cibler les jeunes deviennent de plus en plus variées et pointues. Comment faut-il réagir? En observant, en dénonçant, en éduquant? Plusieurs partenaires du monde éducatif et de la santé (1) se sont associés afin de mettre ces questions du rapport entre le jeune et l’alcool sur la place publique. Leur objectif: observer le comportement des jeunes, connaître et comprendre les stratégies commerciales, faire connaître des actions de prévention. Le colloque «Les jeunes et l’alcool», qui s’est tenu le 18 mai dernier à Louvain-la-Neuve, et qui bénéficiait de l’appui de la Ministre de l’Aide à la jeunesse et de la Santé en Communauté française, constitue une première phase visible de ce travail qui devrait se poursuivre par différents acteurs, sous différentes formes.

Dès le biberon?

Les parents sont souvent à la base du premier verre, les jeunes s’initieront «grâce» à la famille. Très souvent, l’enfant, à l’occasion d’une cérémonie familiale, est invité à tester du vin, de la bière, aujourd’hui un «breezer». Une tierce personne, ou les amis inciteront le jeune dans 22,5% des situations. Dans l’enquête de l’Unité de Promotion Education Santé (PROMES) de l’ULB (2) sur la santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire, il apparaît en 2002 que 81% des jeunes déclarent avoir déjà goûté, c’est-à-dire avoir consommé au moins un verre d’alcool. Environ un jeune sur quatre, parmi ceux qui ont déjà bu de l’alcool déclare consommer de l’alcool une fois ou plus par semaine. Les garçons sont deux fois plus nombreux que les filles à consommer de l’alcool chaque semaine. Le nombre de grands buveurs (au moins 7 verres par semaine ou 2 verres par jour) est relativement stable depuis 1988. La tendance à l’augmentation du pourcentage (27% en 2002) des jeunes qui ont déjà bu jusqu’à l’ivresse est inquiétante.
Le CRIOC (3) s’est également penché sur la question. Il apparaît que les jeunes de 11 à 12 ans ont déjà testé plusieurs types de boissons alcoolisées. Le vin et la bière sont les boissons les plus consommées, mais les «breezers», malgré leur apparition récente, rencontrent un succès certain auprès de ces jeunes (30% en ont déjà consommé). Succès largement renforcé chez les jeunes de 15 à 18 ans (76%).
Pourquoi les jeunes boivent-ils? D’abord pour goûter, «voir l’effet que cela fait», répondent près de 70% d’entre eux. Une minorité fera le pas par mimétisme social (13,8% ) ou pour se décoincer (8% ). Côté plaisir, plus de la moitié des jeunes déclarent rechercher la détente ou le bien-être lorsqu’ils consomment de l’alcool. Mais près d’un jeune sur cinq y recourt pour lutter contre une certaine forme de mal-être.

Une préoccupation mondiale

L’Organisation mondiale de la santé a déjà identifié ces faits et a invité l’ensemble des nations à prendre en considération cette évolution des comportements de consommation dans la définition de leurs politiques de prévention. L’OMS tire quelque peu la sonnette d’alarme au regard de l’impact que peuvent avoir ces pratiques de consommation en matière de santé publique. Il s’agit donc d’une thématique prioritaire. En effet, la déclaration de l’OMS sur les jeunes et l’alcool a été adoptée à la Conférence ministérielle européenne de l’OMS à Stockholm en février 2001. Elle vise à protéger les enfants et les jeunes contre les pressions qui s’exercent sur eux pour les inciter à boire, et à limiter les dommages qu’ils subissent directement ou indirectement du fait de la consommation d’alcool.

Quels problèmes résoudre?

Toutes ces données ont poussé plusieurs associations à se mettre autour de la table afin d’observer tant les comportements des jeunes que les stratégies des commerciaux. Leur but : mettre cette question à l’ordre du jour de toutes les instances qui se sentent concernées par l’évolution de ces comportements. Quelques idées-force inspirent leur réflexion:
– il existe des risques liés à la consommation excessive d’alcool chez les jeunes. Il s’agit donc de s’inscrire dans une stratégie d’éducation à la consommation responsable et de réduction des risques;
– les jeunes consomment de plus en plus jeunes. Les stratégies commerciales abondent dans le sens de la normalisation. Il s’agit donc de s’inscrire dans une perspective de «dénormalisation» à l’instar de ce qui se fait depuis peu en matière de tabagisme;
– il existe un ensemble d’initiatives de prévention de la consommation d’alcool chez les jeunes, mais cela se fait en ordre dispersé. Il s’agit donc de créer une concertation et d’affiner des politiques communes ou cohérentes d’actions en concordance avec d’autres actions de prévention des assuétudes. Il s’agit aussi d’améliorer la visibilité des actions;
– plus globalement, en terme de santé publique, l’alcool mal géré pose des problèmes sanitaires et sociaux: morbidité, accidents de la route, violences publiques et domestiques. De plus l’alcool est également à l’origine d’un surcoût pour la société par perte de productivité, surcharge pour les services de santé, d’assistance sociale et pour le système pénal.

Le colloque

Un état des lieux

Il a réuni plus de 300 personnes autour de cette problématique: éducateurs, professionnels de la santé et de la promotion de la santé, acteurs politiques, analystes. La matinée fut consacrée à l’analyse, à la fois par des experts et par les participants:
– allocutions inaugurales de Nicole Maréchal , Ministre de la santé en Communauté française et de Xavier Renders , Vice-recteur de l’UCL;
– une approche globale de promotion de la santé, par Patrick Ceusters (Prospective Jeunesse);
– une approche longitudinale et transversale de la consommation d’alcool chez les jeunes: quelques résultats de l’étude sur la santé et le bien-être des jeunes, par Charlotte Lonfils (PROMES ULB);
– les stratégies communicationnelles, ou comment les pubs influencent-elles les jeunes, sur quels leviers agissent les messages des industriels du secteur ? par Philippe Marion (COMU UCL);
– les stratégies commerciales à l’œuvre, de la consommation familiale du vin à la consommation tribale des «alcopops», par Marc Vandercammen (CRIOC), pas avare d’échantillons (non consommés sur place, je vous rassure tout de suite!);
– enfin une approche juridique et politique : quelle est la législation en la matière? L’arsenal juridique est-il adapté, respecté? Faut-il mieux légiférer? par Jean-François Servais (asbl Le Droit des Jeunes).
Les très nombreux participants ont également pu témoigner de leurs constats et pratiques dans 5 ateliers: quelle prévention, pour qui, pourquoi?
quel rôle social de la consommation d’alcool?
quelles réactions face aux stratégies communicationnelles?
quelles pistes juridiques?
en quoi y a-t-il lieu de différencier les politiques de prévention pour les drogues légales et illégales?
Formule originale: la synthèse des ateliers a été présentée en fin de journée sous forme d’un film vidéo reprenant pour chaque atelier une brève intervention face caméra des rapporteurs. Une bonne idée, qui oblige à concentrer le message, et qui évite les tunnels interminables de fin de colloque, mais un exercice périlleux pour les intéressés (j’en étais!). Chapeau aux réalisateurs en tout cas.

Du concret

L’après-midi, plusieurs récits d’actions de prévention étaient au menu:
– la campagne Bob, dont le succès est incontestable depuis son lancement fin 1995, par Amély Gérard (Institut belge pour la sécurité routière);
– des actions de prévention de l’abus d’alcool à l’UCL, par Marie Welsch (Service d’aide), Damien Bioul et Virginie Verton , responsables de collectifs étudiants;
– le Kottabos , un outil français de travail sur les représentations de consommation, par Frank Vanbeselaere (Comité départemental de prévention de l’alcoolisme du Nord, Lille);
Accro moi non plus un outil interactif destiné aux adolescents, par Pierre Baldewyns et Caroline Huart (Mutualités socialistes);
Je bois , je fume , j’anime , un outil de formation des animateurs en mouvement de jeunesse, par Mélanie Dupriez et Anne Marione (Guides catholiques de Belgique).
En permanence, un Forum-exposition était proposé en collaboration avec le CLPS de Wavre, permettant de découvrir ces outils et d’autres.
Pour ceux qui ont raté le colloque, des actes sont annoncés à la rentrée (ils seront produits avec l’aide de Prospective Jeunesse et des Mutualités chrétiennes), et Education Santé aura aussi l’occasion de publier l’une ou l’autre intervention intéressante.
Le projet ne s’arrête pas là, puisque dans la foulée de cette journée très réussie, les partenaires ont l’intention d’attaquer quelques chantiers prioritaires mis en exergue le 18 mai et d’étendre leur réseau qui s’assigne trois objectifs généraux: faire circuler l’information, observer les comportements des jeunes et l’évolution des stratégies commerciales, promouvoir en concertation la consommation responsable.
Univers Santé, Place Galilée 6, 1348 Louvain-la-Neuve. Tél.: 010 47 28 28. Courriel: univers-sante@univers-sante.ucl.ac.be

Un forum

Quelques jours après le colloque de Louvain-la-Neuve, la Société scientifique de médecine générale et son pendant flamand la Wetenschappelijke Vereniging van de Vlaamse Huisartsen organisaient un forum consacré au mésusage de l’alcool dans la population générale, dont l’objectif est aussi de cerner de façon large le problème sans se limiter à proposer à la première ligne des méthodes d’intervention par rapport aux consommateurs alcoolo-dépendants.
Leur ambition légitime est de convaincre les politiques, les professionnels de santé et de promotion santé de mettre en place une gestion spécifique en la matière.
On y a entendu notamment le Prof . Pacolet (KUL), qui a réalisé sur demande du groupe Arnoldus une estimation de la balance coûts-bénéfices de l’alcool dans notre pays, dont le bilan négatif (4,5 milliards d’euros par an) a selon ses dires surpris ses commanditaires…
Marijs Geirnaert (VAD, Vereniging voor Alcohol- en andere Drugproblemen), en présentant une série d’initiatives prises en Communauté flamande, y a souligné l’intérêt d’une gestion locale et visible du problème, et développé les initiatives spécifiques à l’égard du public jeune. La convergence avec le travail en Communauté française est certaine sur plusieurs points.
SSMG, Danielle Pianet, rue de Suisse 8, 1060 Bruxelles. Tél.: 02 533 09 82. Courriel: danielle.pianet@ssmg.be
Christian De Bock , d’après le communiqué de presse du colloque et sur base d’impressions personnelles.
(1) Il s’agit au départ de la Fédération des centres de jeunes en milieu populaire (Anthony Agneessens), de la Fédération des étudiants francophones (Willy Van Hoef), d’Infor-Drogues (Philippe Bastin et Azadeh Banaï), de Jeunesse et Santé pour le Conseil de la Jeunesse catholique (Muriel Van Der Heyden), de la Ligue des familles (Patrick Govers), de Prospective Jeunesse (Patrick Ceusters) et d’Univers Santé (Florence Vanderstichelen et Martin de Duve).
(2) PIETTE D. (dir). La santé et le bien-être des jeunes d’âge scolaire . Quoi de neuf depuis 1994? , ULB, Promes, 2003. Lire la présentation détaillée de cette enquête dans ‘La santé et le bien-être des jeunes d’âges scolaires. Quoi de neuf depuis 1994?’ de PIETTE D., DE SMET P., FAVRESSE D. et al, n°189.
(3) VANDERCAMMEN M., Jeunes et assuétudes, CRIOC, Bruxelles, 2004.