Les neuf associations membres du Groupe «Les jeunes et l’alcool» (1) dénoncent de façon virulente la manœuvre stratégique qui consiste, pour les secteurs de la production, de la distribution et de la publicité, à élaborer des codes de bonne conduite de manière à éviter, sciemment, l’adoption d’une loi. En aucun cas les associations actives en santé ou en éducation permanente ne peuvent cautionner un tel système car ce mécanisme permet de contourner facilement ce qui ne sont, finalement, que des recommandations dénuées de force contraignante! Les effets de l’alcool sur la santé sont un grand problème de santé publique. Sans parler des problèmes de morbidité, de santé mentale ou encore de désinsertion sociale, selon l’OMS (2), en Europe, un décès sur quatre parmi les 15 – 24 ans est imputable à l’alcool. Cela représente, pour l’année 1999, 55.000 décès ! De plus, certaines études montrent que plus on consomme de l’alcool à un âge précoce, plus on a de risque d’être alcoolo-dépendant à l’âge adulte.
Aujourd’hui, il est clair qu’en matière de publicité (3), le secteur des «alcooliers» développe de nouvelles pratiques commerciales plus agressives et très ciblées sur les plus jeunes (12/18ans). Ainsi, outre les alcools dits plus «classiques», ces derniers ont maintenant leurs propres boissons alcoolisées: les «alcopops» (voir encadré).
Légiférer et éduquer
Faut-il légiférer afin de mieux contrôler la consommation d’alcool par les jeunes? A l’occasion d’un colloque intitulé «Les jeunes et l’alcool» qui a eu lieu à Louvain-la-Neuve le 18 mai 2004 et qui a réuni plus de 300 personnes des secteurs de la santé, de la jeunesse et de l’éducation, ont été mises en lumière les stratégies commerciales et publicitaires à l’œuvre afin de capter le public jeune, de plus en plus jeune. Le secteur ne se régule pas, la législation est peu connue et très incomplète. Il est donc apparu très clairement la nécessité de réglementer les pratiques commerciales et communicationnelles ainsi que l’accès et la distribution des boissons alcoolisées.
Un cadre législatif clair doit donc être mis en place mais cela reste insuffisant! Il doit être associé à un travail éducatif de prévention et de promotion de la santé en vue de promouvoir une consommation raisonnable et responsable dans le cadre de la promotion de la santé et du bien-être.
De plus, « croire que le marché pourra mieux s’organiser par l’autorégulation relève de l’utopie ou de la mauvaise foi . Les systèmes économiques montrent qu’en absence de régulation par les pouvoirs publics , les intérêts individuels entrent en conflit et des distorsions se créent entre les acteurs . Ainsi , les codes de conduite ont montré plus d’une fois leurs limites : ils ne sont pas applicables aux producteurs non signataires et ne sont pas toujours appliqués par ceux qui y ont souscrit » ( 4 ).
La question des alcopops
Les alcopops sont sucrés et agréables à boire car très proches des goûts habituels des limonades et sodas. Joliment colorés, ils ont aussi quelque chose d’insolent qui plaît au jeune. Tant le goût sucré et la présentation branchée de ces boissons indiquent clairement qu’elles visent les mineurs d’âge et ouvrent un nouveau marché.
Les producteurs ont à cœur de banaliser, de féminiser et de rajeunir la consommation d’alcool. En effet, on constate une volonté claire des producteurs d’alcools de compenser par des produits mieux adaptés pour les jeunes les diminutions des ventes d’alcools dits plus «classiques» tels que le vin, la bière ou les spiritueux, recul observé depuis quelques années. En dépit de leur prix relativement élevé, les alcopops (Breezers ou Prémix) sont très appréciés des jeunes, en particulier des jeunes filles, parce que le goût de l’alcool n’est pas dominant, voire presque imperceptible, et que les boissons alcoolisées préconditionnées ne sont pas aussi amères que la bière.
Aujourd’hui, on tend à boire en groupe, mais chacun accroché à son flacon. Cet « individualisme collectif » induit une véritable mode des petits contenants, le jeune consommateur est très sensible au visage de l’étiquette, à l’esthétique du flacon. En matière de publicité, on assiste à de nouvelles pratiques commerciales plus agressives et très ciblées : les plus jeunes (12/18 ans) ont maintenant leurs propres boissons alcoolisées!
Alors que les représentants de l’industrie de l’alcool continuent d’affirmer solennellement que les alcopops s’adressent à un public légalement autorisé à boire de l’alcool et ne sont rien d’autre qu’une alternative au vin et à la bière, les spécialistes de la prévention et de la santé s’accordent à dire que l’augmentation vertigineuse de la vente d’alcopops n’a pas été suivie d’une diminution de celle de la bière. Tant le goût sucré et la présentation branchée de ces boissons indiquent clairement qu’elles visent les jeunes et ouvrent un nouveau marché sans nuire aux autres.
Dès lors, le Groupe porteur «Les jeunes et l’alcool» ne peut tolérer qu’une question aussi importante pour la société soit réglementée par une simple convention privée. En effet, par définition, une convention ne s’applique qu’à ses signataires. Pire encore, le «juge» ne sera autre que le JEP (Jury d’Ethique Publicitaire) c’est-à-dire un organe partisan au service des annonceurs et des publicitaires puisque financé par eux! Ses recommandations sont faites pour ne jamais embarrasser les annonceurs. Attendre que le JEP se positionne fermement et rapidement est une illusion dangereuse.
Le Groupe porteur demande donc que le Ministre Rudy Demotte prenne ses responsabilités en déposant un projet de loi clair, cohérent, applicable à tous et contenant les mesures suivantes:
– vu l’impact certain de la publicité, particulièrement sur les mineurs, il convient d’interdire la publicité pour les boissons alcoolisées dans l’espace public (affichage) mais aussi en tout endroit où il est impossible de contrôler l’accès aux mineurs d’âge: à la TV, au cinéma, à la radio et sur Internet. Dès lors, la publicité visant des boissons alcoolisées doit rester cantonnée à la presse écrite payante pour adultes;
– l’interdiction de distribuer gratuitement ou à des tarifs symboliques des boissons alcoolisées. Spécialement lors de grands “évènements jeunes” (soirées, festivals, etc.);
– l’interdiction du sponsoring d’événements culturels, sportifs ou festifs adressés aux mineurs d’âge ou susceptibles d’attirer un public jeune (festivals, soirées d’étudiants, voyages organisés pour groupes de jeunes, etc.), par des marques de boissons alcoolisées;
– une séparation claire des «alcopops» (Breezer, Smirnoff Ice et autres) d’avec les limonades et autres sodas dans les rayons des surfaces de ventes : ces alcopops doivent se retrouver clairement au rayon des alcools afin d’éviter toute confusion chez le consommateur. Une séparation physique doit donc être imposée;
– l’emballage et l’étiquetage des alcopops doivent mentionner le degré d’alcool et ne peuvent plus entretenir de confusion avec des boissons non-alcoolisées.
La loi pourra reprendre les quelques points positifs déjà enregistrés dans la convention proposée par le secteur «alcool»:
– l’interdiction des distributeurs automatiques de boissons alcoolisées à proximité des jeunes et des lieux où ils se réunissent;
– la prise en considération de l’ensemble des produits titrant plus de 1,2% d’alcool par volume : toutes les boissons alcoolisées sont ainsi traitées sur un pied d’égalité.
Le Groupe porteur et ses associations membres restent, bien sûr, à la disposition du Ministre de la santé publique à propos de cette importante question. Ces acteurs pensent également que sur un tel sujet la discussion devrait être ouverte aux secteurs de l’éducation et de la promotion de la santé , tant au niveau politique qu’au niveau associatif, concernés par la jeunesse et la promotion de la santé.
Voilà les véritables partenaires pour construire une politique de santé, pas les «alcooliers»!
Le Groupe porteur «Les jeunes et l’alcool»
D’après un communiqué de presse.
Contacts :
Florence Vanderstichelen , Directrice d’Univers santé. Tél: 010 47 33 74 – GSM: 0473 603567
Martin de Duve , chargé de projets à Univers santé. Tél: 010 47 35 04 – GSM: 0478 206377
Courriel: jeunes-alcool@univers-sante.ucl.ac.be (1) Groupe porteur: Fédération des centres de jeunes en milieu populaire, Fédération des Etudiant(e)s francophones, Groupe RAPID, Infor-Drogues, Jeunesse et Santé, Ligue des Familles, Mutualité socialiste, Prospective Jeunesse, Univers Santé.
(2) OMS, cité in LONFILS Ch., Quelques résultats de l’étude « Santé et bien-être des jeunes », analyse transversale et longitudinale de la consommation d’alcool, Actes du colloque « Les jeunes et l’alcool », in Les Cahiers de Prospective Jeunesse, n°32, septembre 2004, pp.12-18.
(3) MARION Ph., Les stratégies communicationnelles. Comment les pubs influencent-elles le comportement des jeunes ?, Actes du colloque « Les jeunes et l’alcool », op cit, pp.19-22.
(4) CRIOC, Réglementer la publicité pour les alcools : une demande des organisations de consommateurs, Du côté des consommateurs n° 166, 30 octobre 2004.