Aimer et être aimé(e) reste et restera toujours magique, mais ce n’est pas toujours aussi simple que dans les contes de fées. Je tiens beaucoup à parler de vie affective et sexuelle plutôt que d’éducation sexuelle, parce que l’amour, s’il n’est pas conte de fée, n’est pas non plus qu’un carnet d’actes techniques.
Il n’y a pas de «diplôme» en relations amoureuses et malgré les apparences et les représentations sexuelles qui envahissent notre quotidien (sexualité dans les films, au ciné, à la TV, dans la publicité, sur le net …), la vie sexuelle reste un tabou et de trop nombreux jeunes se retrouvent encore dans des situations complexes, prennent des risques pour leur santé physique et mentale, parce qu’ils n’ont pas reçu ou compris les informations relatives à la vie affective et sexuelle.
Le nombre d’IVG et de grossesses non désirées est en augmentation chez les jeunes filles de moins de 20 ans, le sida reste toujours bien présent et ses chiffres sont même en légère augmentation. Des MST réoccupent le terrain. Parmi les auteurs de maltraitance – selon les chiffres des équipes SOS Enfants – il y a 3,5% d’auteurs mineurs en 2002 contre 2,2% en 2001. De nouveaux travaux mettent en évidence les dérives, les effets pervers de l’accessibilité à la pornographie via internet, premier accès à la sexualité et donc à une certaine image de la femme. De plus en plus de jeunes (garçons surtout) utilisent ces sites en pensant y trouver des réponses aux questions liées à la vie affective et sexuelle.
Sans vouloir être moralisatrice, ces sites sont le reflet d’une société de consommation, où le corps est un objet. Et un objet ne pense pas et n’a pas de sentiment. «Le corps est un objet», c’est ce que déclarent aussi les consommateurs des sinistres tournantes, dont les Juges de la Jeunesse disent qu’elles sont en augmentation.
Je reçois aussi les témoignages de jeunes garçons, disant être un peu perdus, et j’ai gardé en mémoire cette phrase: «Les filles d’aujourd’hui sont très féministes, on a peur, on ne sait plus comment les aborder. On n’a pas envie d’être traité de macho». Sans compter les souffrances des jeunes qui ne se reconnaissent pas dans les schémas traditionnels proposés, puisqu’il faut le dire, affirmer son homosexualité ou sa bisexualité, d’autant plus à cet âge, reste vraiment compliqué. Les chiffres du suicide chez les jeunes homosexuels sont plus élevés encore que ceux des jeunes hétéros. Mais où et quand parle-t-on de l’identité sexuelle?
Face à ces différents constats plutôt inquiétants, il me semblait plus que jamais important de remettre une fois encore sur le tapis l’idée d’un cours abordant ces questions dans le cadre scolaire. Après avoir pris connaissance de différentes expériences, tant ici qu’au Québec, et en Suisse notamment, j’ai été séduite par le travail réalisé dans le Canton de Genève .
Il faut savoir que ce qui «coince» ici depuis de nombreuses années, c’est l’idée de créer un cours spécifique. J’ai donc trouvé intéressante l’idée d’animations relatives à la vie affective et sexuelle, données par des professionnels (les acteurs de planning, de PSE, PMS, acteurs de promotion de la santé). L’intérêt étant que l’ensemble des enfants puissent bénéficier d’animations « brise-glace » – comme on le dit à Genève -, tant en primaire, qu’en secondaire, sans oublier l’enseignement spécialisé. Les enseignants sont bien entendu en première ligne et une coordination devra s’organiser entre tous les acteurs concernés par ce processus.
Les étapes du processus
Après un an de concertation avec mes collègues concernés aussi par cette question aux niveaux communautaire et régional, une première réunion avec les acteurs de terrain (promotion santé, PSE, PMS…) a eu lieu en novembre 2002 et un comité d’accompagnement du processus a été mis en place.
Avant de vouloir proposer des animations de ce type dans les écoles, il fallait faire l’état des lieux de ce qui se faisait déjà, ou pas. Cet état des lieux, réalisé par ULB Promes sous la direction de Danielle Piette, vient d’être finalisé . Alors que le processus était entamé, il m’a semblé aussi important d’évaluer la question de l’orientation sexuelle: était-elle abordée et de quelle manière? Ce travail n’avait jamais été réalisé non plus en Communauté française.
Enfin, depuis septembre, un travail interuniversitaire (ULB, ULg, FUNDP) est en cours, qui a pour but de définir les grandes lignes des objectifs, contenus et stratégies, en fonction des années choisies pour la réalisation de ces animations soit, les 4e et 6e primaires, les 2e et 4e secondaires, sans oublier l’enseignement spécialisé. Il est évident que les thèmes abordés à 10 ans doivent être différents de ceux abordés à 14 ans.
Au cours de ce long processus, les fédérations de planning ont élaboré, en mai 2003, une «Charte pour une éthique des animations en éducation affective et sexuelle» ainsi qu’une proposition de canevas de base pour ces animations. C’est un outil intéressant qui sera aussi analysé.
Je lancerai aussi un appel à projets auprès des acteurs de terrain et d’établissements scolaires pour que des animations rentrant dans le cadre défini par l’étude interuniversitaire soient proposées. Je pense débloquer un budget prioritairement pour des projets pilotes en 4e et 6e primaire, ordinaire et spécialisé.
Mais ce projet n’est pas de ma seule compétence. Si je suis à son initiative, je ne peux pas en assumer seule la réalisation. Si tous les enfants des classes précitées devaient bénéficier de 2 x 2 heures d’animations dans l’enseignement primaire et 2 x 2 heures dans le secondaire, il faudrait, en gros, 53.224 heures par an, soit plus ou moins le double des heures actuellement consacrées à cette thématique. Mais il faut savoir que ce qui se donne actuellement ne se donne pas nécessairement dans les tranches d’âge retenues. De plus, il est absolument nécessaire de prévoir des heures de coordination, de concertation et de préparation.
Le projet-pilote sera pensé dès le départ dans un cadre de pluriannualité de façon à ce que l’on puisse en tirer des enseignements pertinents. Je tiens à laisser à mon successeur un scénario d’inclusion dans le cursus scolaire qui tienne la route, même s’il devra encore être affiné.
Je compte donc sur toutes celles et ceux que ce projet intéresse pour continuer et repartir des travaux réalisés en les précisant. Je voudrais aussi que mon appel soit entendu: avançons, avançons pour qu’aimer et être aimé(e), pour nos jeunes, soit doux et épanouissant.
Nicole Maréchal, Ministre de la Santé
Quelques données à méditer
Relations sexuelles
Les derniers chiffres collectés par ULB Promes dans le cadre de l’enquête de santé réalisée auprès des jeunes tous les deux ans nous montrent que:
44% des jeunes entre 15 et 18 ans ont des relations sexuelles, un chiffre stable depuis 1988.
Parmi ceux-ci, 16% ont plus d’un partenaire, 57% disent toujours utiliser le préservatif , 88% disent utiliser la pilule comme moyen de contraception, 96% ont déjà vu ou manipulé un préservatif (contre 64% parmi ceux qui n’ont jamais eu de relations sexuelles).
Enfin, 12% ont eu des relations sexuelles avant 14 ans, ce qui représente une augmentation de 5% depuis 1988. 20% des appels (soit 5.962 appels) concernent des questions relatives à la vie sexuelle et affective (items «vie sexuelle», «émotion et sentiments», «image corporelle»). A partir de leur expérience de vie, ces jeunes sont en recherche d’information, mais également d’espace de parole pour évoquer leur vie sentimentale, des questions d’identité et de construction de leur sexualité. Types d’appels: «mon petit copain voudrait faire l’amour, mais je n’ai pas envie», «j’ai 15 ans, je suis enceinte, je n’ose pas le dire à mes parents», «c’est quoi du sperme»,«je suis attiré par les garçons, suis-je normal?».
Un extrait du rapport d’activités 2002 de Ecoute Enfants: «L’entrée dans l’adolescence engendre de nombreuses questions liées aux transformations du corps et à l’éveil de la sexualité. Au travers des divers témoignages qui arrivent au 103, nous pouvons constater combien cette période de la vie suscite des interrogations, des doutes, des peurs et un besoin d’être rassuré. Par ailleurs, nous remarquons également le manque d’information des jeunes en matière d’éducation sexuelle et affective; beaucoup ignorent encore ou méconnaissent la contraception, de même que la prévention des maladies sexuellement transmissibles.» 55 % des élèves dans le primaire ordinaire, 84 % des étudiants dans le secondaire, 65 % des élèves dans le primaire spécial, 88 % des étudiants dans le secondaire spécial ont eu au moins une animation du type « vie affective et sexuelle, bien-être.»
Ces animations sont assurées par « l’interne » (professeurs, équipes PSE-promotion de la santé à l’école et PMS) dans 52 % des cas en primaire ordinaire, 58 % des cas en secondaire ordinaire, 66 % des cas en primaire spécial, et 91 % des cas en secondaire spécial.
Près de 3000 jeunes de 2e , 3e et 4e secondaire ont été interrogés. Il apparaît que 78 % d’entre eux ont bénéficié d’au moins une animation mais moins de la moitié ont eu une seule animation, un tiers en ont eu plusieurs et un cinquième aucune.
Dans plus d’un tiers des animations, les filles et les garçons sont séparés. La moitié des garçons préfèrent cette séparation tandis que les filles estiment qu’elle doit se faire uniquement en fonction du sujet abordé.
La moitié des jeunes interrogés ne veulent pas parler de ces sujets avec leurs parents.
La Ligne 103 (Ecoute – Enfants) |
Etat des lieux |