À l’occasion de l’exposition ‘Avatars, entrez dans le jeu vidéo’ qui s’est déroulée du 20 avril au 16 mai 2016 à Inforvilles à Louvain-la-Neuve, trois chercheurs de l’UCL, initiateurs de l’exposition, ont partagé avec nous leurs recherches à ce sujet.
Pour l’anthropologue UCL Olivier Servais, les jeux vidéo sont à coup sûr un phénomène de société qui dure, tend à s’imposer et touche un grand public. Il estime que 75% d’hommes âgés de 12 à 45 ans s’adonnent aux jeux en ligne.
Mais attention, il n’y a pas de profil type du joueur et il ne correspond surtout pas au cliché de l’adolescent mal dans sa peau. Il y a également beaucoup de filles qui jouent, des joueurs de toutes les classes sociales, des joueurs occasionnels et réguliers. En somme, il y a une variété de profils aussi en fonction du type de jeux vidéo.
Pourquoi cet engouement pour les jeux en ligne ?
D’une part les gamers peuvent imaginer dans ce monde virtuel la société qui leur convient, soit un monde utopique loin de la société actuelle en crises perpétuelles.
D’autre part, l’aspect social des jeux en ligne est important. Entre 50 et 75% des jeunes se rencontrent aujourd’hui en ligne!
De nombreux liens sociaux passent via ce monde virtuel. Certains joueurs vont jusqu’à organiser, par les jeux de rôle en ligne multijoueurs, des funérailles lors du décès d’un joueur, considéré comme un véritable ami. D’autres organisent un rite de mariage dans leur monde virtuel avant celui dans le monde réel. Et ce n’est pas un fait isolé!
Thibault Philippette, chercheur à l’Institut Langage et Communication de l’UCL (IL&C), a consacré sa thèse de doctorat à l’étude des mécanismes de communication utiles aux joueurs.
Jouer à plusieurs des jeux vidéo en ligne n’est pas une chose aisée, mais demande une bonne organisation, stratégie… et surtout des compétences en communication.
L’échange d’information est essentiel pour que le jeu fonctionne. Comment? En respectant les tours de parole, en permettant à chacun de disposer des mêmes éléments stratégiques concernant le jeu.
Il relève la présence d’une vraie solidarité entre les joueurs, qui se décentrent de leur propre personne, au profit du groupe et d’un partage sous forme de temps de réflexion collectif et de négociations. On retrouve donc des compétences dites culturelles (le développement d’un bagage de connaissances communes pour pouvoir se comprendre et interagir) et sociales (gestion du groupe, équité, négociation, respect des règles, sociabilité, humour).
Au niveau technologie, les joueurs développent constamment des nouvelles techniques pour améliorer l’efficacité de leur jeu. Ils essayent de trouver des astuces pour décharger leur esprit des contraintes techniques (organisation du champ de vision de leur écran, paramétrage du jeu…) et ainsi pouvoir se consacrer un maximum au déploiement de leur stratégie.
Est-ce que ces compétences peuvent avoir un champ d’application dans le monde professionnel et scolaire? Le chercheur en est convaincu.
Dépendance ?
Mais qu’en est-il des addictions liées à l’usage problématique des jeux sur internet? L’engagement personnel dont font preuve certains gamers peut-il être excessif et déboucher sur un trouble psychiatrique reconnu?
Actuellement, ‘l’addiction à internet’ est un concept fourre-tout pour lequel il n’existe pas de critères précis. La reconnaissance complète d’une addiction aux plateformes web de jeux vidéo doit être confirmée par des études scientifiques qui devront attester de l’existence de cette pathologie et valider ou infirmer les critères proposés pour son identification.
C’est l’objet de la recherche de Jory Deleuze, doctorant à l’Institut de recherche en sciences psychologiques de l’UCL.
Il évalue dans quelle mesure certains facteurs psychologiques peuvent prédire l’intensité de l’engagement personnel dans les jeux vidéo en ligne. Ces facteurs peuvent se révéler propres au joueur mais aussi être motivationnels et liés aux éléments qui font l’identité du jeu.
Le chercheur a comparé deux échantillons de joueurs (un groupe présentant un comportement ‘pathologique’ sur base des critères actuels du DSM et un groupe sans comportement pathologique selon ces mêmes critères). Le groupe de joueurs présentant un comportement ‘pathologique’ ne semble toutefois pas avoir de comportements plus impulsifs et irréfléchis que les joueurs dits normaux. Est-ce que les critères proposés dans le DSM ne reflèteraient donc pas la réalité de l’addiction aux jeux en ligne? La suite de ses recherches devra le clarifier.
La 5e édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM, Diagnosticv and Statistical Manual of Mental Disorders, ouvrage référençant les troubles psychiatriques reconnus) propose pourtant des critères d’addition aux jeux sur internet.