Juillet 2021 Par Benjamin SOUDIER Timothée DELESCLUSE Initiatives

Pour le Groupe CAPS, Timothée DELESCLUSE, Promotion Santé Normandie / Fédération National d’Education et de Promotion de la Santé et Benjamin SOUDIER, Société Française de Santé Publique.  

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La prise de décision et la pratique en prévention et promotion de la santé s’appuient sur une combinaison des connaissances issues de sources multiples. Les données issues de la littérature manquent de lisibilité sur les modalités d’intervention. Ces connaissances, rédigées sous forme d’articles ou de rapports, pour être utilisées et intégrées en pratique, nécessitent des activités d’adaptation et d’appropriation1.

De plus, le paradigme prédominant de la recherche clinique fait que les productions fournissent des données insuffisamment mobilisables, car concentrées sur les effets des interventions. Il y a un manque de données probantes sur les solutions : le « comment faire ? »2,3 .

La démarche de capitalisation d’expériences en promotion de la santé, en complément de la recherche interventionnelle, est une perspective prometteuse. Encore émergente dans notre secteur, elle valorise les connaissances issues de l’expérience et illustre les formes d’interventions possibles pour résoudre les problèmes de santé des populations.

Depuis 2016, le groupe de travail « CAPS »4 piloté par la Fédération Nationale d’Education et de promotion de la Santé (FNES) et la Société Française de Santé Publique (SFSP), réunit acteurs, chercheurs et décideurs dans la perspective de structurer et valoriser la capitalisation d’expériences en promotion de la santé et d’en partager les productions. Nous souhaitons ici en présenter les bases pour une appropriation dans le champ des acteurs de la promotion de la santé en Belgique.

La capitalisation d’expériences en promotion de la santé : de quoi parle-t-on ?

La capitalisation d’expériences, c’est « transformer le savoir en connaissances partageables »5 . Elle produit des connaissances dont les acteurs pensent qu’elles sont utiles à partager à d’autres. Grâce à un procédé qui s’inspire de méthodes de recherche en sciences sociales, la structuration synthétique du récit du porteur de projet éclaire et illustre une pratique. Elle ne débouche pas sur des recommandations mais tire des enseignements pour comprendre comment se déroulent les interventions et les rend tangibles et accessibles pour d’autres.

Très concrètement, une démarche de capitalisation se divise en cinq grandes étapes :

  1. Le cadrage de la démarche pour préciser les objectifs, l’ampleur, la thématique de la capitalisation. Il conviendra de préciser les canaux de diffusion et d’appel à contributions à la démarche. En fonction du nombre de projets à capitaliser, plusieurs critères permettent de déterminer de la pertinence de choisir parmi les projets. Plusieurs niveaux de capitalisation peuvent être mis en place selon l’importance du projet ou le degré de finesse et de compréhension qu’on souhaite avoir du projet. Cela implique alors d’adapter la méthode de recueil d’informations.
  2. Le recueil d’information est fait par un professionnel qui n’est pas impliqué dans le projet « capitalisé ». Cet accompagnateur va questionner, à partir d’une grille d’entretien, les professionnels qui pilotent le projet : ce sont les contributeurs. L’objectif de la rencontre est d’identifier les « nœuds »6 des projets qui ont amené les acteurs à modifier ou innover dans leurs pratiques. Selon le niveau de capitalisation souhaité, on peut se limiter à interroger une personne qui a mené le projet mais cela peut aussi être complété par un focus groupe avec des partenaires voire les bénéficiaires.
  3. L’analyse des données recueillies : la retranscription des entretiens permet d’aller explorer le récit du contributeur pour décortiquer les informations et l’analyser selon les critères et objectifs de capitalisation. C’est à cette étape que peut être fait le lien avec des connaissances issues d’autres sources comme des modèles théoriques, des résultats d’analyse de transférabilité, etc.
  4. La rédaction et la validation d’une fiche de capitalisation qui correspond à la synthèse des éléments et enseignements à partager. Elles permettent d’avoir une vision d’ensemble du projet tout en illustrant les façons de faire des acteurs.
  5. La diffusion des fiches selon différents canaux qui doivent également être combinés avec des activités d’appropriation pour faciliter l’utilisation des connaissances issues de la fiche de capitalisation.

Quels projets capitaliser ?

Quelques critères non exhaustifs pour guider vos choix :

  • Projet abouti ou ayant été mis en place depuis un moment (au moins un an de mise en œuvre)
  • Respecte les principes éthiques de la promotion de la santé
  • Implique plusieurs partenaires
  • Prend en compte les inégalités sociales de santé dans son projet
  • S’inscrit sur le long terme
  • Adapte ses messages en fonction du public
  • Articule interventions individuelles et collectives
  • S’inscrit dans un cadre politique déterminé….
  • S’assure d’une participation

La capitalisation d’expériences, une démarche aux finalités multiples La capitalisation d’expériences en promotion de la santé a plusieurs finalités bénéfiques à tous ceux qui exercent dans le champ.

D’abord, la capitalisation a une finalité pédagogique. Elle permet à la personne qui partage son projet d’avoir un temps de réflexivité sur sa pratique et de prise de recul. Elle a une finalité formative voire de modification de pratique.

Ensuite la démarche de capitalisation a une finalité informative sur le comment agir. Elle permet de décrire une façon de faire sur un projet donné, dans un contexte donné et à une période donnée. Elle représente, nous l’avons vu, une source de savoirs expérientiels inspirant d’autres porteurs de projet.

Dans sa finalité scientifique, la démarche de capitalisation permet la production d’un corpus de données utiles à des fins de recherches. En effet, les entretiens souvent retranscrits sont une mine de données pouvant être exploitées soit pour faire émerger de nouvelles questions de recherche, soit pour alimenter une recherche d’un savoir d’expérience. De plus, la capitalisation d’expérience peut se faire sur une thématique et regrouper plusieurs projets souhaitant résoudre le même problème mais avec des façons de faire différentes : c’est la capitalisation transversale. La matière alors produite grâce aux entretiens avec les porteurs de projet est une source de données pour des analyses croisées entre les différents projets. Ces « analyses transversales » ou « méta-capitalisations » permettent de tirer des conclusions sur les façons de faire grâce à des récurrences de leviers d’interventions.

Enfin, la capitalisation a une finalité politique en permettant de valoriser et rendre visible la déclinaison pratique des politiques nationales ou locales de santé.

Les perspectives de la capitalisation des expériences en promotion de la santé  

Le groupe de travail souhaite répondre à différents enjeux pour le secteur de la promotion de la santé. Il s’agit notamment de diffuser la démarche à plusieurs échelons, de permettre de construire une mémoire et un récit commun au champ et d’alimenter une interaction et une rencontre entre acteurs, chercheurs et décideurs. CAPS a atteint une vitesse de croisière et multiplie les chantiers pour les années à venir : d’abord, dans une perspective de partage des démarches de capitalisation, un portail numérique doit voir le jour. Les démarches de capitalisation pourront y figurer. Ce portail sera l’occasion de fédérer une communauté de pratiques permettant d’avoir un espace de ressources et d’échanges sur la capitalisation, voire de production collective sur une même thématique.

D’un point de vue formatif, une première session de formation pour les accompagnateurs a été faite à l’EHESP début 2021 et d’autres sessions seront disponibles par la suite. Un guide pratique pour mener une démarche de capitalisation doit également voir le jour. Enfin, en matière de valorisation, plusieurs articles, interventions et interpellations sont prévues pour faire avancer la réflexion et l’utilisation de la démarche dans le secteur.

Pour aller plus loin…

La revue française La Santé en action publie ce mois-ci un numéro thématique :

« Santé des populations : conjuguer données scientifiques et savoirs issus de l’expérience », La Santé en action, Santé publique France, n°456, juillet 2021.

Quelques illustrations de capitalisation et pour plus d’informations

Plusieurs membres de D-CAP partagent leurs fiches de capitalisation :

  1. Pagani Victoria, Kivits Joëlle, Minary Laetitia, Cambon Linda, Claudot Frédérique, Alla François. La complexité : concept et enjeux pour les interventions de santé publique. Santé Publique 2017 ; 29(1) : 31-9
  2. Terral Philippe. Développer une science des solutions pour les interventions en santé en France : les RISP, un espace intermédiaire de pluralisation des expertises. Revue française des affaires sociales 2020 ; 4 : 53-72
  3. Potvin Louise, Di Ruggiero Erica, Shoeveller Jean A. Pour une science des solutions : la recherche interventionnelle en santé des populations. La santé en action 2013 ; 425 : 13-15.
  4. Dont les membres sont : Aides, ARS Normandie, Collège de Médecine Générale, EHESP, Fabrique Territoires Santé, France Assos Santé, FNES, Institut Renaudot, IREPS Auvergne Rhône Alpes, IREPS Bourgogne Franche Comté, Le Réverbère, Promotion Santé Normandie, Promo Santé Ile de France, Santé publique France, Société Française de Santé Publique, Universités de Lorraine et de Côte d’Azur.
  5. Villeval P et Lavigne-Delville P, capitalisation d’expériences et expériences de capitalisation, comment passer de la volonté à l’action, Traverses N°15, handicap international et GRET, octobre 2004
  6. De Zutter P. Des histoires, des savoirs et des hommes : l’expérience est un capital. FPH ; 1994 (35) 137 pages.