Octobre 2006 Par C. MAILLARD Initiatives

Le débat pour supprimer les collations de matinée a été lancé en France, alors que chez nous, les programmes développés par les écoles pour proposer des collations saines prennent un élan important. Dès lors, qui a raison et qui a tort? Et les deux positions sont-elles inconciliables?
La collation de milieu de matinée dans l’enseignement maternel et primaire soulève de multiples questions qui concernent tant la qualité que l’opportunité de celle-ci. Pourtant, autour de nous, les écoles sont de plus en plus nombreuses à instaurer des programmes de collations saines, avec plus ou moins de réflexion sur ce concept.
Les défenseurs de ces programmes avancent le fait que bien qu’une majorité des enfants prennent un petit-déjeuner rendant cette collation inutile, ce premier repas essentiel n’est équilibré que dans 1 cas sur 10 (produit laitier, céréales et fruits). Ils avancent également le fait que certains enfants mangent très tôt le matin, avant de rejoindre la garderie, ce qui rend l’attente du repas de midi très longue, avec les répercussions négatives que l’on imagine sur leurs performances intellectuelles et physiques.
Enfin, ils insistent sur le fait que le fractionnement des repas au cours de la journée présente un impact positif sur le risque d’obésité. Ils préconisent donc des collations que l’on pourrait qualifier de «saines»… Toutefois, on le verra plus tard, ce terme reste flou pour de nombreux intervenants…
Les détracteurs, pour leur part, affirment que les collations sont très souvent grasses, sucrées, en tout cas déséquilibrées; ils poursuivent en fustigeant l’apport énergétique non pas complémentaire à celui des autres repas, mais supplémentaire, conduisant à des quantités énergétiques journalières trop importantes. Et, élément essentiel, ils insistent sur le fait qu’une grande majorité des enfants prenant un petit-déjeuner, cette collation ne serait alors bénéfique que pour la minorité qui saute ce repas pourtant indispensable.
Au sein de l’APES-Ulg (1), Service communautaire de Promotion de la santé intégré dans l’Ecole de Santé publique de l’Université de Liège, ce débat a été documenté bien avant l’engouement récent pour les «collations saines». « Depuis un certain temps , des programmes développés à l’école abordent la question de la santé et du bien être sous l’angle de l’alimentation et , entre autres , des collations , car cela permet d’aborder la santé de façon plus concrète , et peut éventuellement se prolonger dans d’autres domaines , comme l’activité physique , par exemple », explique Emmanuelle Caspers , membre de l’équipe pluridisciplinaire de l’APES-ULg.
Le thème des collations saines a ainsi une portée éducative: il est facile à circonscrire et permet l’apprentissage d’une certaine autonomie de l’enfant dès la maternelle. Chantal Vandoorne , directrice de l’APES-ULg, revient alors sur la polémique: «collations ou pas collations?», abordée du point de vue de la santé publique.
«La première question à se poser est de savoir si l’enfant, pris individuellement, a besoin de cette collation. Faut-il nécessairement intégrer tous les enfants dans les programmes nutritionnels? L’élément essentiel est le temps qui s’écoule entre le moment du petit-déjeuner pris par l’enfant et celui du repas de midi: l’enfant qui mange à 8 heures et déjeune à 11h45 n’a pas besoin de collation; par contre, pour celui qui se lève tôt, mange à 7h et doit attendre le service de 12h30, une collation peut être nécessaire. Il faudrait idéalement que chaque école mène une petite enquête auprès de chaque enfant pour déterminer ses besoins nutritionnels réels (prend-il un petit-déjeuner, à quelle heure et que mange-t-il à cette occasion?). En France, des circulaires administratives récentes proposent l’interdiction des collations: la collation étant un phénomène nettement plus récent en France qu’en Belgique où le «dix heures» est un classique depuis plusieurs dizaines d’années, interdire les collations est plus facilement et largement accepté chez nos voisins.»

Vous avez dit «saine»?

Pour en revenir aux collations auxquelles on accole facilement le qualificatif de «saines», force est de constater que cette notion ne fait pas l’unanimité…
« Quelle définition donneriez vous d’une collation saine ? En réalité , il n’y en a pas dans la pratique . Tout le monde a évidemment en tête le phénomène à éviter : l’accumulation de barres chocolatées et autres paquets de chips au fil des récréations et de la semaine . En théorie , on pourrait parler de fruits , de légumes , de certains laitages , de certaines céréales et exceptionnellement d’une « douceur chocolatée ou salée ». Mais , dans les faits , une collation n’est vraiment saine que si elle s’intègre harmonieusement dans l’alimentation habituelle de chaque enfant , contribuant à l’équilibre journalier ou hebdomadaire entre les différents apports recommandés . Par exemple , il n’est pas utile de donner des fruits en collation à des enfants qui en mangent beaucoup durant le reste de la journée ; par contre , un fruit en collation sera utile pour des enfants qui n’en consomment pas suffisamment …», poursuit Chantal Vandoorne.
Ceci dit, la question qui se pose est donc de savoir s’il faut des collations à la carte, à l’heure où les écoles contrôlent de plus en plus ce moment ou l’exploitent comme une occasion idéale d’aborder l’alimentation équilibrée et de donner des clés pour manger sain, en favorisant les bonnes habitudes chez les enfants.
« Certains programmes en milieu scolaire essayent d’amener les enfants à réfléchir sur leur propre consommation . Ainsi , les enfants disposent de collations différentes , leur laissant la liberté de choix , mais en faisant toujours référence à leurs connaissances sur l’alimentation . En primaire , des programmes plus élaborés complètent cette réflexion individuelle : l’enfant classe ce qu’il a consommé au petit déjeuner dans les trois grands groupes alimentaires et est ensuite incité à choisir une collation en fonction du groupe lésé », évoque Chantal Vandoorne. « Il est indispensable de donner à l’enfant les clefs pour être acteur de sa santé , de son alimentation , et donc de sa collation . Il pourra ainsi prendre conscience que la collation possède une double signification : le plaisir du goût associé à celui d’un moment d’arrêt dans le rythme scolaire mais aussi l’utilité ou le danger de certains aliments pour le bien être de son corps …».
« Ce soutien à la réflexion et de nombreux supports peuvent être utilisés dès que les enfants sont en maternelle , mais il est important de poursuivre la démarche en l’adaptant à l’âge , à l’intérêt de l’enfant , puis du jeune », prolonge Emmanuelle Caspers, évoquant la notion de «curriculum en spirale». Par ailleurs, ce travail d’éducation et les projets de promotion de la santé doivent, pour viser l’efficacité, intégrer la gestion personnelle de ses besoins par l’enfant, et considérer l’environnement proche de l’école, comme les épiceries, les snacks et autres fast-food… « Si l’enfant a appris dès son plus jeune âge à gérer l’offre alimentaire , on peut espérer que cette réflexion laissera des traces lors de ses premiers achats autonomes , puisque , classiquement , c’est vers les friandises que se tournent les enfants pour leurs premières utilisations de l’argent de poche », poursuit Chantal Vandoorne.

Enseignants: piliers du savoir, des apprentissages et du développement des enfants

Le rôle des enseignants est donc essentiel: en plus d’enseigner des connaissances en français, en calcul et mathématiques, géographie et autres sciences de l’environnement, ils peuvent faire un lien avec d’autres objectifs, notamment de santé, et y sensibiliser les enfants… « Dans les programmes d’alimentation saine , les enseignants doivent pouvoir préalablement s’informer et réfléchir en profondeur à ce qu’ils vont faire . Sinon , ils risquent de se baser exclusivement sur leurs propres stéréotypes et préjugés à propos de l’alimentation . Car l’alimentation est un sujet courant qui intègre des apports profanes et culturels d’un côté , des apports scientifiques , de l’autre . Il faut permettre aux enfants , aux enseignants et aux parents d’analyser comment ces différents aspects influencent leurs choix », précise Chantal Vandoorne. Une étape considérée comme importante par nos deux interlocutrices.

Un programme complet sur l’alimentation

A Berchem-Ste-Agathe, commune bruxelloise, l’école communale mise sur l’alimentation saine. Toute l’année, l’alimentation est déclinée dans son projet éducatif, dans différentes matières, dès la maternelle.
Voilà déjà 15 ans qu’un programme pour une alimentation saine est organisé par cette école, la positionnant parmi les pionniers en la matière.
Au départ, c’est avec l’apport d’une diététicienne de ce que l’on appelait encore l’IMS. « Elle est venue me voir , nous avons réfléchi à la question et durant une année , elle est passée dans les classes pour réaliser des animations sur le thème d’une alimentation saine avec les enfants . Ensuite , ce sont les instituteurs qui ont pris la relève », se souvient Danielle Lelubre, directrice.
Aujourd’hui, en ce qui concerne les collations, l’école a choisi d’être plus directive: « Dès l’inscription , les parents doivent s’engager à apporter une collation selon le programme établi par l’école et obligatoire , à savoir une collation qui entre dans une famille d’aliments selon les jours : laitages , céréales , fruits , produits de la boulangerie , et , le vendredi , ils ont le choix entre ces 4 familles .» Pour s’assurer de la bonne collaboration des parents, une collation diététique a été organisée le matin, au moment où les parents viennent conduire leurs enfants, afin qu’ils voient ce que les enfants vont recevoir. L’accueil a été plus que positif, puisque tous les parents ont pris le temps de cette collation, même s’ils étaient pressés, assure Mme Lelubre…
Mais pour que les enfants comprennent bien les raisons d’être de ces collations, cette contrainte s’inscrit dans un programme plus vaste qui part du principe que les bonnes habitudes s’acquièrent dès le plus jeune âge.
«Notre école se divise en 3 sites qui abordent, chacun à sa manière, la découverte des aliments. Dans les trois cas, la pyramide alimentaire est un point de départ vers d’autres découvertes. Ainsi, celle des cinq sens, notamment le goût évidemment, mais aussi des ateliers pour découvrir d’où viennent les aliments et comment les préparer, l’hygiène, etc. Et, depuis cette année, nous avons également mis en place un goûter diététique, en collaboration avec l’équipe éducative de la garderie. Pour couronner le tout, la fête scolaire de fin d’année intègre ce projet, avec les autres menés durant l’année.»
Pour établir ce programme, la directrice puise son inspiration dans différentes sources, depuis les programmes «clé sur porte» de sociétés privées qui viennent proposer leurs jeux et autres activités pour promouvoir leurs produits en prenant le prétexte de l’alimentation saine, aux ouvrages plus sérieux sur la qualité de l’alimentation en milieu scolaire, édités par la Communauté française. Car un bon programme n’est certainement pas un programme tout prêt à l’utilisation, mais bien celui qui a été pensé en fonction des élèves qui fréquentent l’école et les ressources de celle-ci…
CM

Reste alors à déterminer comment préparer ces programmes de sensibilisation.
Le support le plus fréquent des différents projets éducatifs est la fameuse pyramide alimentaire. Mais il ne suffit pas de l’étudier durant deux ou trois leçons, de l’afficher sur un mur de la classe pour l’oublier le restant de l’année… « Si les outils ne sont pas inscrits dans la durée , ils seront inutiles . Par ailleurs , ils doivent intégrer non seulement l’aspect santé , mais aussi le plaisir de manger et d’apprendre . La convivialité , l’interactivité et le caractère ludique doivent être au rendez vous de l’éducation alimentaire , même s’il faut les situer dans un cadre et des informations plus objectives . Le plaisir est un moteur d’apprentissage : il est essentiel de dispenser un savoir de manière positive , sans commencer par des interdits », renchérit Emmanuelle Caspers.

La participation active des parents, un «plus»

A propos de la question des collations, on peut aussi s’interroger sur le rôle de la famille, notamment des parents. Les collations imposées peuvent-elles être refusées par les parents qui n’adhèreraient pas? Les collations distribuées par les enseignants, et payées par les parents peuvent-elles induire une discrimination financière?
«Les programmes instaurés ne doivent pas renforcer ces discriminations qui peuvent toujours survenir, et impliquer de manière plus large la participation des parents, en tenant compte des habitudes alimentaires de la famille ou la fonction de la nourriture dans cette famille, sans porter de jugement. Si les parents ne sont pas impliqués dans ces programmes, on va droit dans le mur, et les programmes peuvent même être contre-productifs.
Par exemple , lorsque des enfants demandent des aliments qualifiés de sains à l’école mais que ceux ci n’ont pas leur place dans les habitudes de la famille , l’enfant peut être rabroué , avec l’impression que , pour exagérer un peu , ses parents ne lui donnent pas d’aliments favorables à sa santé . Cette difficulté d’impliquer les parents est une réalité , mais cela peut se faire par des rencontres à l’occasion de fêtes , de l’organisation de petits déjeuners sains le matin , etc .», poursuivent Chantal Vandoorne et Emmanuelle Caspers.
Les initiatives des écoles pour proposer des collations saines peuvent être très variées: les enseignants se chargent des achats et distribuent aux élèves des classes d’aliments différents selon les jours, avec participation financière des parents; l’école propose ou impose chaque jour des collations déterminées aux parents; des parents se chargent des courses à tour de rôle pour donner les collations contre rétribution des autres parents; des écoliers vendent des collations saines de différentes sortes.
« Très souvent , les écoles sont dans le « formatage » des collations : la même pour tous . Si les systèmes où il existe une gestion collective des collations sont souvent intéressants , ils n’intègrent pas suffisamment la notion de choix , donc de réflexion par l’enfant sur ce qu’il va manger et sur la nécessité même de manger telle ou telle collation . Si la collation est payée à l’avance , l’enfant est quasiment obligé de la consommer , même s’il n’a pas faim et que manifestement , elle ne se justifie pas Ecueil évité si le paiement se fait a posteriori comme dans les initiatives de petits magasins gérés par les élèves », explique Chantal Vandoorne.
D’autres difficultés peuvent se poser en matière de collations, notamment le problème du cadre: les enfants disposent-ils des infrastructures pour prendre leur collation? « Généralement , en maternelle , les enfants se mettent à table pour manger . Par contre , en primaire , ils sont bien souvent dans la cour de récréation et la pomme distribuée finit régulièrement par terre ou à peine entamée dans la poubelle , histoire de jouer plus rapidement C’est pourquoi , les programmes les plus efficaces intègrent un temps où la collation est prise à table , assis , afin que manger soit aussi chez les enfants , un acte réfléchi , contrairement au grignotage Par ailleurs , ce moment , pris sur la récréation ou sur les cours , est aussi un temps d’échange , d’information sur l’alimentation . Dans les classes qui ont instauré ce moment , il y a bien eu ici et là quelque tollé , mais après avoir donné une explication sur le sens de la collation , de la convivialité qu’elle nécessite et la possibilité d’en parler , les critiques se sont tues », poursuit Chantal Vandoorne.

Pas trop de normes!

Une autre question qu’on est en droit de se poser porte sur l’efficacité de ces programmes d’alimentation saine, notamment à travers les collations, si l’entourage familial ne respecte pas les «consignes» apprises à l’école.
«Je vais être peut-être un peu brutale, mais cette question est moins importante qu’on ne le laisse entendre. On cherche toujours la cohérence entre la maison et l’école. Ce pourrait être un idéal en termes de santé publique. Toutefois, il faut apprendre aussi aux enfants à gérer les incohérences. Cela fait partie du rôle démocratique de l’école: elle peut apprendre aux enfants à découvrir ce qui ne se pratique pas à la maison, notamment à travers l’offre alimentaire. Le rôle de l’école n’est pas d’éduquer les parents, elle ne doit pas tout contrôler. Même si le projet n’est pas relayé à la maison, mais bien réalisé à l’école, celle-ci a rempli sa mission; et si les parents participent, c’est un plus!
Evidemment , il faut garder une juste mesure et l’école doit éviter de faire miroiter des idéaux impossibles à atteindre , notamment par les populations les plus défavorisées . L’école ne doit pas être normative au point que l’enfant se dise que ce qui est pratiqué chez lui n’est pas bien . Si l’école applique une approche non normative et respectueuse , l’enfant peut apprendre que l’on vit d’une telle manière à tel endroit , et autrement ailleurs . Un peu comme quand il sait que chez ses grands parents , il peut regarder telle série télévisée qu’il ne le peut pas regarder à la maison . Plus tard , en fonction de la multitude et de la force des expériences rencontrées sur son parcours , il adoptera un mode de vie qui lui sera propre . Restons toutefois vigilants quant à cette tendance excessive à la normativité , qui imprègne de plus en plus fréquemment les programmes d’éducation à la santé relatifs aux modes de vie ( tabac , alimentation , activité physique )», conclut Chantal Vandoorne.
Carine Maillard

(1) APES, pour Appui en Promotion et Education pour la Santé: l’APES-ULg a pour mission d’apporter une assistance logistique et méthodologique permanente à tout organisme ou personne qui développe des actions de prévention, d’éducation pour la santé et de promotion de la santé ainsi qu’aux acteurs associatifs, administratifs et politiques qui oeuvrent dans le cadre du décret du 14 juillet 1997 (adapté le 14 juillet 2003) organisant la promotion de la santé et la médecine préventive en Communauté française de Belgique. Dernièrement, l’APES-ULg a été plus particulièrement chargé, comme Service Communautaire, d’une mission d’appui aux services PSE (ex-IMS), dans le cadre de la réforme et de la réorganisation de leurs missions et activités auprès des publics scolaires.