De plus en plus répandue en Belgique, la drépanocytose reste méconnue, même parmi le personnel médical. Incurable pour l’instant, ses effets peuvent cependant être atténués, à condition de connaître la maladie, de la reconnaître, et de savoir comment réagir.
La drépanocytose est, à Bruxelles et sans doute dans d’autres grandes villes belges, la première maladie génétique. Un nouveau-né sur 2000 y est atteint d’un syndrome drépanocytaire, contre 1 sur 3000 pour la mucoviscidose par exemple. A Liège, des examens effectués sur 3000 nouveau-nés en un an et demi montrent que 1,3 pour 1000 présentaient une drépanocytose majeure, et 35 pour mille étaient porteurs. C’est beaucoup, et pourtant, cette maladie reste méconnue de nombre d’acteurs de santé.
« La drépanocytose , explique le Prof. Robert Girot , de l’Hôpital Tenon, à Paris, est une maladie génétique de l’hémoglobine , chronique et caractérisée le plus souvent par la survenue de crises aiguës .» Elle s’attaque aux globules rouges et provoque des occlusions des vaisseaux sanguins. Elle se manifeste, extérieurement, par des crises à périodicité irrégulière mais extrêmement douloureuses. « Les manifestations varient fortement d’un individu à l’autre , explique le Dr Didier N’Gay , qui anime à Bruxelles l’asbl Action Drépanocytose. Certains font des crises une fois par mois , d’autres n’en font pas pendant cinq ans . Les enfants fort malades montrent parfois des signes annonciateurs , telles des difficultés à respirer et une douleur dans la poitrine .» Certains contextes favorisent l’apparition de crises; c’est le cas d’une canicule comme celle de 2003.
Dépistage…
Génétique, la drépanocytose dépend de la combinaison de gênes transmis par les parents à l’enfant, selon la table de Mendel. Si un de ses parents est ‘sain’, un enfant ne risque pas d’être malade. Par contre, deux parents ‘porteurs sains’ qui ne présentent aucun symptôme peuvent donner naissance à un enfant malade.
Les complications aiguës sont les mêmes à tous les âges, précise le prof. Girot: crises douloureuses vaso-occlusives, infections, anémies (la drépanocytose est aussi appelée anémie falciforme ), micro-thromboses pulmonaires notamment. Les complications chroniques, elles, sont plus fréquentes chez les adultes: nécroses osseuses, ulcères des jambes, séquelles neurologiques, d’insuffisance rénale, pulmonaire, cardiaque. Les grossesses des femmes touchées sont à haut risque: certaines complications inhérentes à toute grossesse auront sur elles des effets aggravés ou prendront des proportions alarmantes et la drépanocytose provoque elle-même des pathologies obstétricales. Résultat, selon le Dr Patricia Barlow , du CHU Saint-Pierre: « La mortalité maternelle reste 100 fois plus élevée par rapport aux autres femmes .»
La connaissance de la drépanocytose et de ses conséquences, notamment sur les femmes enceintes, ne peut donc être limitée à quelques spécialistes: urgentistes, gynécos, orthopédistes, dermatologues, néonatologues… sont tous concernés, sans même parler, hors du monde médical, des enseignants, par exemple, qui doivent pouvoir faire face à des crises soudaines de leurs élèves.
La prévention joue aussi un rôle significatif. D’abord sous la forme du dépistage, pré- et néo-natal. Une convention avec l’INAMI permet d’y procéder dans toutes les maternités de Bruxelles, pendant 2 ans, alors qu’Erasme le fait depuis 10 ans, en partie sur fonds propres. A Liège, l’Hôpital de la Citadelle y procède aussi, et des contacts sont en cours avec les hôpitaux du CPAS d’Anvers. Les grandes villes sont les premières concernées, parce que c’est là que sont concentrés les migrants africains, vecteurs principaux (mais pas uniques, loin de là, de la maladie). Idéalement, ce dépistage devrait aussi impliquer les futurs parents; s’ils sont porteurs, ils doivent décider en connaissance de risque d’avoir ou pas des enfants.
… et information
L’autre forme de la prévention concerne en effet l’information préalable des populations à risque sur l’existence et les mécanismes de transmission de la drépanocytose. Le Dr Vertongen relève que « pour des pathologies très similaires ( thalassémie ) présentes dans le pourtour méditerranéen , un gros travail de prévention a été réalisé et , malgré des contraintes religieuses évidentes par rapport à l’interruption de grossesse , presque plus aucun enfant ne naît avec ces pathologies , parce le diagnostic ante – natal a été généralisé dans les années 1970 – 80 .»
Enfin, lorsqu’un enfant est atteint, quelques conseils permettent de limiter l’ampleur des crises: boire beaucoup, éviter tout ce qui peut favoriser le ralentissement circulatoire, de même que les sports violents et la haute altitude, se rendre à l’hôpital dès qu’il y a de la fièvre…
Des documents reprenant ces conseils existent. A Bruxelles, en effet, deux associations (1) s’attaquent aux défis posés par cette maladie. L’une est le Réseau des hémoglobinopathies, qui informe principalement les acteurs médicaux, mais dispose aussi de feuillets destinés aux familles des malades.
L’autre est une asbl, Action drépanocytose, qui se consacre à l’accompagnement des malades et des familles, malheureusement sans guère de moyens. L’association développe principalement des activités d’information. Les unes sont générales et anonymes, destinées au public susceptible d’être concerné par la maladie: dépliants, présence dans les lieux où les Africains de Bruxelles se retrouvent, information sur les radios étudiantes… D’autres s’adressent directement aux malades: ce sont les réunions mensuelles qui ont lieu à la Maison africaine, à Bruxelles, et où patients et familles se retrouvent et échangent leur expérience. Pour Didier N’Gay, ces rencontres sont essentielles, parce que les familles « s’y rendent compte que d’autres familles sont aussi concernées . Le fait d’en parler brise leur isolement . Dans l’association , prestataires et usagers de soins se parlent librement , sur pied d’égalité . Ils échangent aussi des idées sur ce qui peut être modifié dans leur environnement et dans leur comportement pour faciliter la vie avec cette maladie .»
André Linard , InfoSud, (avec la collaboration de Suzanne Dubois, licenciée en éducation pour la santé)
(1) Réseau des hémoglobinopathies , association de praticiens et spécialistes; http://www.redcellnet.be , une partie du site est accessible uniquement au monde médical, avec un code d’accès. Contact: Dr Françoise Vertongen, à l’Hôpital St Pierre et Dr Béatrice Gulbis, à l’Hôpital Erasme.
Action drépanocytose : contact: Didier N’Gay, 0496 79 97 11. Site http://www.actiondrepano.be.tf