Février 2004 Par A. LEVEQUE Martine BANTUELLE Initiatives

Quelques points de repère

En Belgique, les accidents sont la première cause de mortalité chez les enfants de moins de 15 ans (1) . De ce point de vue, la situation est comparable avec celle des autres pays industrialisés. En 1997, pour l’ensemble de nos Régions et Communautés, le pourcentage de décès par accidents non liés au transport était de 26% chez les enfants entre 1 et 4 ans, 19% chez les enfants de 5 à 9 ans et de 10% chez les enfants de 10 à 14 ans (2) .
Les accidents mortels chez les bébés sont surtout dus aux suffocations (entre des barreaux, par une cordelette, par inhalation d’objet ou par enfouissement sous les couvertures). Chez les enfants de 1 à 4 ans, 1/3 des décès est dû aux noyades et le reste aux incendies, à l’inhalation d’objets, aux intoxications et aux chutes. Au-delà de 5 ans, les noyades comptent pour la moitié des décès, l’autre moitié concerne les chutes et les incendies (3) .
Selon l’enquête nationale de santé 2001, 10% des enfants de moins de 14 ans ont été victimes d’un accident dans les 12 mois qui précèdent l’interview (4) .
En 1996, les 136 médecins vigies ont enregistré 3 039 cas d’accidents domestiques pour une population estimée à 141 086 habitants (5) . Selon ces données, l’incidence annuelle des accidents domestiques nécessitant l’intervention du médecin généraliste a été estimée à 2,2 par an (2.194/100.000 habitants), c’est-à-dire 220.000 personnes pour l’ensemble de la Belgique, par an, dont 45.353 enfants de moins de 14 ans.
Chez les enfants, la nature des accidents était:
autres intoxications, étouffement,
noyade, électrocution)

Chute 42
Coup, frappement, collision 21
Glissement et trébuchage 16
Pénétration corps étranger 12
Brûlure 3
Autres (intoxication au CO,
6

Qu’en pensent les médecins généralistes

?
Une enquête menée en 2001 auprès des médecins généralistes et des pédiatres en Communauté française (6) a montré combien les praticiens de première ligne sont fortement impliqués dans la prise en charge des traumatismes. C’est surtout à cette occasion qu’ils donnent les conseils préventifs, question d’opportunité. En dehors de ces occasions, les médecins généralistes et les pédiatres n’ont pas l’habitude de faire des démarches proactives systématiques vis-à-vis des parents pour la prévention des accidents domestiques. Ils estiment manquer de temps, manquer de connaissance des techniques de prévention efficaces dans ce domaine et manquer d’outils qui leur permettent d’appuyer leurs conseils aux parents. Ceci dit, les médecins estiment quasi tous qu’ils ont un rôle à jouer dans la prévention des traumatismes. Ils font des propositions très concrètes de formation et d’information qui leur seraient destinées aussi bien qu’à leurs patients.

Comprendre la prévention des traumatismes

(7)

Cadre

Au terme d’accident, on préfère celui de traumatisme ou de blessure. Ces termes mettent l’accent sur les atteintes corporelles ou psychologiques et ils englobent l’événement et ses conséquences. Au contraire du terme accident, le terme traumatisme permet une recherche non fataliste de solutions.
Pour mieux comprendre les possibilités de prévention d’un type de traumatisme, on utilise en général la matrice de Haddon. une application aux traumatismes du modèle épidémiologique des maladies transmissibles. Elle conçoit la relation agent – hôte en trois temps (pré-événement, événement et post-événement) et trois groupes de facteurs (l’hôte, le vecteur et/ou le véhicule et l’environnement physique et/ou socio-économique).

Matrice de Haddon: exemples de facteurs

Phases Hôte (homme) Vecteur (véhicule) Envir. physique Envir. socio-écon.
Pré-évènement alcool Phares défectueux météo Installation bricolée
Evènement Maladie chronique Surface anguleuse Matériaux inflammables Coût protections
Post-évènement Type de lésion Rapidité SAMU Accessibilité soins

Evidence scientifique

La prévention des traumatismes fait l’objet de recherches, de publications et de recommandations basées sur des principes d’évidence scientifique. Ainsi, selon les recommandations du Guide canadien de médecine clinique préventive (8) , les actions qui ont un niveau de preuve suffisant (recommandation A) pour pouvoir être menées de façon systématique en pratique quotidienne sont:
-la connaissance du numéro de téléphone du centre antipoison;
-l’identification des sources de danger à la maison afin de prévenir les chutes et les brûlures;
-le «counselling» au sujet des chutes et des brûlures à la maison;
-la promotion de l’installation de matériel de protection à la maison: garde-corps aux fenêtres et barrières aux escaliers;
-la suppression des trotteurs;
-la promotion du détecteur de fumée, des vêtements de nuit ininflammables et des couvertures anti-feu (pour friteuses);
– les conseils aux parents de ne jamais laisser un enfant seul dans sa baignoire;
– l’abaissement de la température de l’eau chaude sanitaire en dessous de 50°;
-et quand l’enfant est plus grand, le conseil du port du casque à vélo.

Quelles préventions

?
La prévention des traumatismes peut se développer de manière passive et de manière active.
En prévention passive, on parlera de promotion des mesures de protection et renforcement de la législation et de protections. Par exemple, limitation de la température des chauffe-eau, port du casque obligatoire, pistes cyclables, barrières aux escaliers et aux fenêtres.
En prévention active, on parlera d’éducation individuelle et collective: changement de comportement, amélioration de la vigilance des parents, prise de conscience des risques.
Les stratégies actives et passives peuvent être combinées dans une approche qui ne se fonde pas uniquement sur les relations linéaires de cause à effet, mais qui repose sur une approche systémique, impliquant différents niveaux de prévention et différents professionnels de santé ou du secteur social.
La prévention passive prend une place de plus en plus importante dans les programmes. En effet, les stratégies de prévention passive qui utilisent des mesures universelles de réduction des traumatismes se sont révélées plus efficaces pour réduire l’écart entre les groupes sociaux que les stratégies visant spécifiquement les groupes à risque (9) .
Dans les programmes «Communauté sûre» en France, en Belgique et au Québec, des trousses contenant du matériel de sécurité domestique – de prévention passive – ont été déposées dans les familles. Là où ces trousses ont été déposées, il a été prouvé que le comportement sécuritaire des parents était renforcé de manière plus importante que là où on n’avait délivré que des conseils (prévention active).

Qu’en pensent les parents

?
Lors d’une enquête menée dans 14 pays européens, en 2001 (10) , 95% des parents européens signalent qu’ils prennent personnellement des mesures pour éviter les traumatismes accidentels chez leurs enfants. En matière de sécurité, la crainte majeure des parents est que leur enfant soit renversé par une voiture. Les parents signalent aussi leurs difficultés de surveiller les enfants en permanence.
Les parents ont une demande très forte pour que les produits destinés aux enfants soient conçus en tenant compte de la sécurité et que les produits qui peuvent prévenir les traumatismes chez les enfants soient bon marché pour que tout le monde puisse les acheter. Les trois quarts des parents sont d’accord pour dire que la plupart des accidents d’enfants peuvent être évités.

L’action du médecin généraliste

Une collaboration avec la SSMG a été mise en place en ce début 2003 pour mettre au point une démarche faisable par le généraliste lors de ses consultations et de ses visites à domicile. Le médecin généraliste bénéficie d’un crédit tout à fait particulier auprès de la majorité de la population et ses démarches proactives systématiques de prévention sont appréciées par les patients (11,12) . Des démarches préventives ont été mises au point par la SSMG sur d’autres thèmes prioritaires et une pédagogie qui prend en compte les difficultés de la prévention est utilisée régulièrement en formation continue.

Objectifs

En attendant l’aboutissement de ce travail de concertation, certains éléments de la démarche peuvent être précisés. Concernant les objectifs de la prévention des accidents domestiques, par exemple, l’ONE les définit pour les consultations médicales comme suit (13) :
-améliorer la connaissance des parents par rapport au développement psychomoteur de leur(s) enfant(s) et aux risques liés à chaque âge et à chaque stade de développement;
-améliorer les connaissances des parents par rapport aux mesures préventives efficaces;
-rendre accessibles aux parents les moyens utiles au renforcement de la sécurité de l’environnement de l’enfant;
-favoriser chez les parents et les enfants l’acquisition des capacités nécessaires à la gestion des situations à risque.

Stratégie

Lors de ses consultations et surtout de ses visites, le médecin généraliste qui désire prévenir efficacement les accidents domestiques des jeunes enfants peut intervenir auprès des parents:
– en donnant des conseils ciblés en fonction de l’âge de (des) l’enfant(s);
– en faisant la promotion du matériel de prévention passive;
– en identifiant les risques spécifiques dans la famille.
Le fait de cibler les messages en fonction de l’âge, du matériel essentiel de prévention passive et d’une liste de risques spécifiques à la famille permet d’agir rapidement et de manière progressivement intégrée à l’ensemble des visites et des consultations.
Donner des conseils systématiques, ciblés
Le médecin généraliste peut donner des conseils généraux, mais ciblés en fonction de l’âge de l’enfant, c’est-à-dire en fonction de son développement psychomoteur. Ces conseils (14) en fonction de l’âge sont repris dans certaines brochures, comme celles de l’ONE (‘Grandir en toute sécurité’, quatre documents en fonction de l’âge de l’enfant disponible au 02 – 542 15 71). Les trois conseils essentiels sont:
(1) ne jamais laisser un enfant seul , dans son bain, sur la table à langer, dans la cuisine, au jardin ne fût-ce que quelques minutes;
(2) mettre hors de portée les produits dangereux, les médicaments et les objets brûlants (attention aux manches de casserole au bord de la cuisinière!);
(3) pour les plus grands le port du casque de vélo .
Promouvoir le matériel de prévention passive
Une gamme assez étendue de produits existe sur le marché. Certains équipements sont plus essentiels que d’autres, sachant que les chutes, les intoxications, les noyades et les brûlures sont les accidents les plus fréquents. Les équipements prioritaires sont:
(1) le détecteur de fumée ;
(2) les barrières de protection (escalier, fenêtre, piscine);
(3) les systèmes de blocage (armoires à produits d’entretien ou à médicaments, fenêtres, portes dangereuses).
(4) Dans les maisons pourvues d’installations électriques anciennes, on conseillera en outre les caches pour prises électriques .
Ces matériels sont disponibles dans les magasins d’équipement pour enfant ( Natalys, Prémaman, Baby-Hall, Baby-Rose, Tout pour l’enfant), dans certaines grandes surfaces (Cora, Central-Park) et dans les magasins Ikea. Une étude comparative de la qualité et de la facilité d’utilisation de ces matériels est prévue. Les détecteurs de fumée First Alert ® se trouvent dans les grandes surfaces telles que Brico, Gamma, Hubo et Makro. D’autres détecteurs de fumée de marque BRK et EI sont disponibles chez des grossistes de matériel électrique et d’électro-ménager.
Identifier les risques spécifiques dans la famille et en partager l’analyse avec les parents
Les risques spécifiques concernent trois domaines distincts:
(1) le contexte éducatif: attitude autoritaire ou laxiste des parents;
(2) les défauts d’aménagement du domicile et de ses alentours: installation électrique, température de l’eau chaude sanitaire, rangement des produits dangereux, des objets coupants, accès aux objets brûlants, accès aux escaliers;
(3) les situations psychoaffectives difficiles: deuil, séparation, déménagement, maladie.

Epilogue

Une démarche de ce type répond en plusieurs points aux préoccupations et aux difficultés exprimées par les généralistes et les pédiatres lors des enquêtes menées sur les thématiques de prévention systématique, entre autres l’enquête de 2001 sur les accidents domestiques.
La démarche est brève et elle s’appuie sur des évidences scientifiques. Comme c’est le cas pour d’autres thématiques préventives, la démarche proactive peut étonner la famille, surtout si le motif de la consultation ne s’y prête a priori pas, mais elle sera appréciée dans la plupart des cas.

Martine Bantuelle , Educa-Santé,
Dr Alain Levêque , Ecole de Santé Publique ULB,
d’après un exposé donné au Centre Hospitalier de l’Ardenne le 17 mai 2003

Bibliographie

(1) PROMES – Université Libre de Bruxelles – Educa-santé, Accidents domestiques, la situation épidémiologique en Belgique, Santé Pluriel, 7 & 8, 1992. retour
(2) Institut de Santé Publique, Standardized Procédures for Mortality Analysis, [L=http://www.iph.fgov.be/sasweb/spma/spma.htm]www.iph.fgov.be/sasweb/spma/spma.htm[/L] retour
(3) Prévention et petite enfance, ONE, 1997, p. 266 – 267. retour
(4) Institut de Santé Publique, Enquête de Santé par interview 2001, [L=http://www.iph.fgov.be/epidemio/epifr/index4.htm]www.iph.fgov.be/epidemio/epifr/index4.htm[/L] retour
(5) Dirk Devroey, Viviane Van Casteren, Denise Walckiers, Institut de Santé Publique, Section Epidémiologie, Accidents domestiques nécessitant l’intervention du médecin généraliste, enregistrement du réseau des médecins vigies en 1995 et 1996, avril 2001.[L=http://www.iph.fgov.be/epidemio/epifr/index0000.htm]www.iph.fgov.be/epidemio/epifr/index0000.htm[/L] retour
(6) Dr Alain Levêque, Dr Michel Moreau, Prof Danielle Piette, Résultats de l’enquête menée auprès des médecins généralistes et des pédiatres de la Communauté française de Belgique, ULB-PROMES, octobre 2001. retour
(7) Dr Alain Levêque, Traumatismes et Epidémiologie Thèse de Doctorat en Santé Publique, Université Libre de Bruxelles, 2001. retour
(8) Groupe d’étude canadien sur l’examen médical périodique, Guide canadien de médecine préventive, Editions du Gouvernement du Canada, 1994. retour
(9) Diane Sergerie, Céline Farley, Un biais positif en faveur de stratégies populationnelles versus de groupe à risque pour diminuer les inégalités sociales liées aux traumatismes non intentionnels illustré à l’aide de trois mesures: le casque de vélo, le détecteur de fumée et les aires de jeu, European Consumer Safety Association, Colloque International, Inégalités socio-économiques et prévention des risques, Paris, septembre 2001 retour
(10) Alliance européenne pour la sécurité des enfants, La perception par les parents de la sécurité des enfants, Enquête dans 14 pays européens, 2001. retour
(11) Levêque A., Berghmans L., Lagasse R., Laperche J., Piette D., Style de pratique en médecine générale et activités préventives en Communauté française de Belgique, Archives of Public Health, volume 55, number 5-6, p145-158, 1997. retour
(12) Berghmans L., Boutsen M., Swennen B., Wanlin M., La prévention en médecine générale, rapport de recherche inédit, Ecole de Santé publique, ULB, Bruxelles, 1990. retour
(13) Prévention et petite enfance, ONE, 1997, p. 263.
retour

(13) Vous trouverez un ‘Aide-mémoire de prévention des accidents domestiques de l’enfant entre 0 et 5 ans’ à l’adresse [L=http://www.pipades.ch/pdf/aide-memoire.pdf]www.pipades.ch/pdf/aide-mémoire.pdf[/L]
retour