Mai 2002 Par C. LAFONTAINE Outils

Cinq petites histoires

A la crèche, les enfants de la section des grands (2-5 ans) se chamaillent beaucoup. Après mûre réflexion, les puéricultrices décident d’instaurer deux ‘moments de folie’. Juste avant le repas et dans le milieu de l’après-midi, on pousse tous les meubles, on sort les grands coussins et les vélos. Les enfants sont invités à crier, à lancer les coussins en l’air, à les boxer, à foncer dedans avec les petits vélos… Ils doivent se donner à fond…
‘C’est bon pour eux’ , nous dit une puéricultrice. ‘Ils apprennent qu’on ne peut pas exploser à tout moment, qu’il y a d’autres moyens de se défouler que de mordre un copain. C’est comique, nous dit l’une d’entre elles, on dirait qu’ils sont plus cool après tout ça’.

C’est le nouveau concierge qui a lancé le mouvement. Il trouvait l’immeuble morose. ‘ Ca me foutait le bourdon’ . Il veillait à mettre des petits mots gentils dans les boîtes, à souhaiter les anniversaires… Maintenant, tout le monde s’ y est mis. Le samedi, quand le temps le permet, les locataires se réunissent dans la cour intérieure. On profite des meubles de jardin qu’on a achetés collectivement. Quand quelque chose ne va pas, on en discute tous ensemble: les poubelles qui encombrent le couloir, le manque d’espace pour les jeux des enfants…
On cherche des solutions, on réfléchit à la meilleure façon de les mettre en œuvre. Une école connaît des problèmes récurrents de pédiculose. Elle se met en contact avec le personnel du CPAS qui propose d’offrir un soutien concret aux familles pour gérer le problème. Il se déplace à domicile pour aider au nettoyage des literies, du matériel de toilette, pour l’achat des shampooings…
Les familles minimexées sont aidées pour l’accès économique aux remèdes. ‘ C’est quand même plus logique de s’attaquer aux causes du problème plutôt qu’à leurs symptômes… et puis c’est notre travail aussi d’aider à améliorer la vie quotidienne de ces personnes’ . La dirigeante d’une petite entreprise familiale décide d’aménager un coin repas confortable et convivial. Pendant un week-end, toute l’équipe rénove un local, y installe un frigo, un four à micro-ondes, une radio. Cette responsable explique: ‘J’en avais marre de voir les ouvriers manger leurs tartines dans un coin de l’atelier et puis, comme ça, ils se parlent et arrêtent de manger tous les jours n’importe quoi…. Ils sont plus détendus après la pause…’ Le personnel d’une section de la Croix-Rouge décide de ne plus donner les vêtements aux personnes qui se présentent à la permanence mais de vendre chemises, pantalons, robes… pour un prix symbolique. De plus, il choisit d’impliquer les personnes en difficultés dans la tenue du petit magasin…’ Ca leur rend une certaine dignité, un réseau social, des responsabilités …’ Savez-vous que vous venez de lire quelques exemples d’actions de promotion de la santé? Pourtant, les personnes qui les ont initiées ne se qualifient pas de promoteurs de santé. A les entendre, la santé ne serait pas leur affaire. Ils font de la promotion de la santé sans le savoir ou le revendiquer….

Qu’est-ce qui nous permet d’avancer de telles affirmations?

Plusieurs éléments interviennent dans notre diagnostic:
– ces interventions reposent sur une vision large de la santé. Elles font référence à la santé morale (avoir le bourdon, être stressé….), sociale (ne pas se parler, s’agresser…)… en plus de la santé physique (mal manger, avoir des poux…);
– ces interventions ont pour effet d’améliorer, à long terme, la santé du public concerné (les enfants apprennent à gérer le stress et la vie en groupe, les familles gèrent les causes de la pédiculose, les ouvriers acquièrent de nouvelles habitudes alimentaires, les personnes en difficulté retrouvent leur dignité, les habitants retrouvent des relations sociales…);
– ces interventions mettent en œuvre une ou plusieurs des stratégies sur lesquelles repose la promotion de la santé (les services du CPAS élargissent leurs missions habituelles et permettent aux personnes d’acquérir de nouvelles capacités, la responsable d’entreprise modifie le milieu en collaboration avec le public, les puéricultrices changent le milieu pour permettre la mise en pratique de nouvelles capacités…).
Ces exemples illustrent donc bien les critères clés de l’intervention en promotion de la santé. Ils montrent qu’au-delà de l’amélioration de l’état de santé (objectif classique de la santé publique, de la médecine préventive et de l’éducation pour la santé), il s’agit de renforcer l’emprise de la population sur les différents facteurs qui déterminent sa santé. Ce qui donne à la promotion de la santé non seulement un objectif de changement sanitaire, mais aussi de changement social.

Afin de vous permettre de poser à votre tour un diagnostic par rapport à vos activités ou de vous donner l’envie de vous lancer dans l’action, nous vous rappelons brièvement ici les indices qui permettent de parler d’une intervention en promotion de la santé.

L’intervention en promotion de la santé repose idéalement sur la conjonction de plusieurs stratégies

L’action communautaire
Promouvoir la santé, c’est inscrire celle-ci à l’ordre du jour des communautés (village, quartier, entreprise, école..) en renforçant la participation et le contrôle de la population sur sa santé.
Exemples: un hôpital consulte son personnel pour définir ce qui est favorable/défavorable à sa santé, une entreprise organise des groupes de réflexion où les ouvriers évoquent leurs inquiétudes liées à la manipulation de produits dangereux, le personnel éducatif et les élèves d’une école choisissent comme priorité de rénover les WC de l’établissement, les décideurs, les habitants et les professionnels d’une commune décident d’agir ensemble pour rénover les sentiers communaux, des habitants d’un quartier décident d’embellir les maisons…

L’amélioration du milieu de vie
Promouvoir la santé, c’est inscrire celle-ci à l’ordre du jour de tous les milieux de vie (là où on travaille, où on étudie, où on habite, où on se détend,…) en modifiant les conditions matérielles et organisationnelles qui influencent directement le bien-être des personnes.
Exemples: un réfectoire où l’espace est fractionné en petites cellules pour diminuer le bruit, une entreprise organise des cours de gymnastique pour son personnel sur le temps de midi, un magasin d’articles de sport met des fontaines à eau à disposition du public… Le développement des aptitudes individuelles et sociales
Promouvoir la santé, c’est inscrire celle-ci à l’ordre du jour de chaque individu , au sein de son groupe social, en lui donnant les aptitudes nécessaires (les savoirs, les savoir-faire, les savoir-être) pour poser des choix personnels favorables à sa santé.
Exemples: un dentiste montre à l’enfant comment se brosser les dents correctement (savoir-faire), une entreprise organise des ateliers où les ouvriers apprennent des postures qui ménagent leur dos (savoir-faire), un groupe de femmes apprend ce qu’est un médicament générique (savoir)… La réorientation des services de santé
Promouvoir la santé, c’est inscrire la santé à l’ordre du jour des professionnels de différents secteurs en leur apportant le soutien nécessaire pour pouvoir intégrer dans leurs pratiques professionnelles la prise en compte du bien-être de leur public. Cette stratégie bien sûr peut déboucher à terme sur une mise en question institutionnelle et organisationnelle.
Exemples: une formation à la promotion de la santé est organisée pour le personnel d’une prison, une pièce de théâtre sur le dialogue patient-médecin à propos du sida et plus globalement de la santé est proposée aux médecins… L’élaboration d’une politique publique saine
Promouvoir la santé, c’est inscrire celle-ci à l’ordre du jour des responsables politiques des divers secteurs (et pas seulement de la santé) en les éclairant sur les conséquences que leurs décisions peuvent avoir sur la santé et en les aidant à situer leur responsabilité à cet égard.
Exemples: l’établissement de normes de sécurité pour les jouets, le port obligatoire de la ceinture de sécurité, la création de pistes cyclables sécurisées, l’interdiction de la publicité pour le tabac, les mesures favorables au transport en commun, la création d’un espace vert dans une ville sont des décisions politiques qui ont un lien étroit avec la santé même si elles n’appartiennent pas à la sphère de compétence du ministre de la santé.

La promotion de la santé s’appuie sur quelques postulats fondamentaux

La santé, ce n’est pas seulement l’absence de maladie. La santé est physique mais aussi morale, affective, sociale…
La santé est influencée par de nombreux facteurs: l’habitat (le logement, l’aménagement du quartier…), l’espace (ville, village…), les relations avec les collègues, avec les copains, l’ambiance familiale, les modes de vie (pratique d’une activité sportive, consommation régulière de fruits et de légumes, rythme du sommeil…), les décisions politiques, les mesures législatives… Lorsqu’on agit sur ces facteurs, on intervient en faveur ou au détriment de la santé.
La santé est vécue et engendrée dans tous nos cadres de vie quotidiens: la maison, le lieu de travail, le lieu de loisir… La santé, c’est l’affaire de tous. Ce n’est pas une matière à part, une affaire de spécialistes.
La santé résulte de la prévenance que l’on s’accorde et que l’on dispense aux autres, de l’aptitude à prendre des décisions et à contrôler ses conditions de vie…
La santé nécessite des conditions préalables: la paix, un logement, de la nourriture, un revenu…Toute amélioration du niveau de santé s’ancre solidement dans ces éléments de base. Si on agit sur ces conditions, on agit sur la santé.

A vous de jouer, sans complexe

Nous sommes convaincus que beaucoup d’entre vous développent des actions de ce type. Mais vous ne les identifiez pas comme promotrices de santé ou alors vous n’osez pas en parler parce qu’elles vous semblent bien trop modestes pour mériter l’attention.
Nous sommes donc tentés de considérer que:
Soit, vous vous êtes lancés dans l’action. Que vous ayez mis sur pied une action modeste ou un projet très ambitieux, vos récits d’expériences intéressent la revue Education Santé . Elle peut vous soutenir pour la rédaction d’un article. N’hésitez pas à la contacter.
Soit, vous avez envie de vous lancer dans une action de promotion de la santé mais vous n’osez pas. N’hésitez pas à solliciter les professionnels du secteur qui se feront un plaisir et un devoir de vous aider dans vos démarches.

Nous espérons que la lecture de cet article vous a permis de réaliser que quels que soient votre statut et votre position, vous pouvez être un promoteur de santé.
Vous pensiez peut-être que la promotion de la santé était une pratique extrêmement compliquée, que seul un professionnel spécialisé était capable de mettre en œuvre. Nous avons voulu contribuer à nuancer cette vision qui nous paraît tout à fait improductive. En effet, les résultats de promotion de la santé seront significatifs si d’autres acteurs que les experts (les professionnels de tous bords, les décideurs institutionnels, les citoyens, les politiques…) adoptent cette démarche et l’intègrent dans leur quotidien.
Carine Lafontaine , APES-ULG
APES-Ulg, Sart Tilman, B 23, 4000 Liège. Courriel: stes.apes@ulg.ac.be. Internet: http://stes-apes.med.ulg.ac.be