Février 2024 Par Clotilde de GASTINES Outils

L’asbl I.Care va outiller les détenus, l’administration pénitentiaire et le personnel soignant pour tenter d’atteindre l’objectif fixé par l’OMS : éradiquer l’Hépatite C d’ici 2030. Initialement destinés à la prison, l’affiche, les fiches et les flyers, conçus avec des détenus et disponibles en 17 langues, pourront être utilisées hors du milieu carcéral. 

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L’hépatite C aujourd’hui, on en guérit !”, annonce un grand poster aux tons bleu ciel qui sera bientôt affiché dans les couloirs des services médicaux des prisons belges. Un pari complexe, car la Belgique compte 12 000 personnes détenues, parmi lesquels 4 à 5 % seraient probablement porteuses du virus de l’Hépatite C (VHC). Cette maladie, qui provoque une inflammation et une fibrose du foie, est potentiellement mortelle. 

En 2023, l’Asbl I.Care, qui mène des actions de promotion de la santé en détention, a accompagné la création d’un outil dédié, désormais téléchargeable en ligne, pour sensibiliser le personnel soignant, les surveillants et les personnes détenues à la problématique. 

« L’idée de cette campagne de sensibilisation est de transmettre un message positif en prison : le dépistage de l’hépatite C est possible, un traitement existe, il se prend sous forme de comprimé et il provoque très peu d’effets secondaires par rapport aux anciens traitements », explique Rachelle Rousseaux chargée de mission chez I.Care.  

Au départ, un appel à projet en littératie en santé 

Un appel à projet de la fondation Roi Baudouin sur la littératie en santé organisationnelle est à la genèse du projet baptisé “Translation”. Au démarrage, à l’été 2022, le projet est d’abord envisagé d’un point de vue global avant de se recentrer sur le champ médical pour répondre aux besoins identifiés par la direction générale des établissements pénitentiaires sur le VHC. 

« J’ai commencé par faire une première analyse des besoins en santé à la prison de Lantin, en collectant des données par le biais de journées d’observation, d’interviews avec les détenus sur l’accès aux soins et de questionnaires aux agents et aux membres du personnel médico-psycho-social. Quand la rencontre avec l’infirmière-cheffe a été déterminante  », relate Rachelle Rousseaux. 

La soignante fait part à I.Care de l’injonction de l’OMS, qui somme les Etats d’éradiquer l’hépatite C d’ici 2030. Comme la population carcérale fait partie des groupes-cibles pour atteindre cet objectif, les prisons doivent donc être plus proactives et lancer un dépistage massif. L’administration imagine faire de la centrale de Lantin, une prison-pilote, d’autant que l’établissement dispose d’une polyclinique au sein de laquelle exerce un hépatologue, référent pour toute les prisons de Wallonie. Le service médical a fait une tentative en lançant une première campagne de dépistage du VHC au sein de la maison de peine, mais elle n’a pas marché aussi bien que souhaité. La moitié des détenus ont refusé de se rendre en consultation ou de se soumettre à une prise de sang. 

Apaiser la défiance 

I.Care se lance alors dans l’analyse des freins pour identifier les éventuels besoins de littératie en santé organisationnelle. Les raisons s’avèrent multiples. Sur la méthode d’abord, le flyer a été glissé sous la porte de la cellule, en français uniquement, laissant dans l’incompréhension les détenus allophones. Le contexte carcéral génère aussi des comportements de rejet ou de désaffection. Certains détenus critiquent le fait que les soins de santé soient financés par le ministère justice, ce qui les fait douter de l’indépendance du service médical quant à la confidentialité de leurs données de santé. D’autres se révèlent très sensibles à des théories complotistes. 

Plus généralement, les craintes sont nombreuses, qu’elles soient basiques – liée à la peur de la piqûre, ou plus complexes : comme le fait d’être confronté à un diagnostic de maladie infectieuse, alors que le détenu est loin de ses proches et sans soutien social. Beaucoup expriment aussi leur peur d’être stigmatisé si le résultat de la prise de sang s’avère positif, sachant que les modes de transmission les plus connus sont le fait d’avoir des relations homosexuelles non protégées et de consommer des psychotropes.  

Quoiqu’il en soit, I.Care constate que les connaissances sur la maladie, les méthodes de dépistage et les traitements sont peu connus. Or l’asbl sait qu’elle peut s’appuyer sur deux avancées médicales majeures : les méthodes de dépistage sont beaucoup moins invasives qu’avant et les nouveaux traitements sont compatibles avec la consommation régulière d’alcool ou de drogue, présents en prison. 

affiche femme vhc

Favoriser la participation 

Associer les bénéficiaires au sein de focus group n’a pas été possible, notamment pour des raisons de logistique carcérale. Pour valider chaque étape de la construction des outils de sensibilisation, un comité d’accompagnement réunissait toutefois des membres de la direction de l’établissement, de la direction des services pénitentiaires, et des services de la santé, Cultures&Santé et un représentant de l’asbl Macadam spécialisée sur l’usage des drogues. 

I.Care a esquissé les outils, et a tout de même pu les tester à différents stades d’élaboration – auprès des détenu.es de Lantin, de Marche-en-Famenne, puis d’Haren, auprès de femmes et d’hommes. Au cours de ce processus, I.Care a fait appel à des graphistes de l’association française “The Ink Link” qui met la bande dessinée au service de projets santé et sociaux. 

L’affiche annonçait initialement : “L’hépatite C, on a le droit d’en guérir ”. Mais la formule a fait réagir les détenu.es. “Le protocole garantit seulement l’accès aux soins pour les détenus condamnés qui ont vocation à rester dans la prison au moins trois mois, – la durée complète du traitement. Par ailleurs, ceux qui sont en détention préventive pourraient être dépistés, mais ils n’auraient pas accès au traitement antiviral”, explique Marion Guémas, coordinatrice du plaidoyer et de la recherche chez I.Care. La formule a donc été modifiée. “L’hépatite C aujourd’hui on en guérit !” pour ne pas créer de déception chez ceux qui sont en détention préventive. 

Le poster décliné avec un protagoniste masculin pour les quartiers hommes et féminin pour les quartiers femmes – présente à l’aide de quatre vignettes dessinée – sans texte – tout le processus de prise en charge : les signes de la maladie (les douleurs au foie), la prise de sang, la prescription du médecin et le traitement sous forme de comprimé. 

Les détenu.es ont pu faire part de leurs appréciations sur les couleurs, de leurs incompréhensions sur la posture de certains personnages en fonction de leur niveau de littératie et faire des propositions d’aménagement. Les contenus ont été adaptés pour éviter d’être trop marqués « carcéral » ou de stigmatiser certains groupes en particulier. 

Une fiche complémentaire détaille la conduite à tenir pour éviter les transmissions (utiliser du matériel d’hygiène et de consommation propre – par exemple pour la brosse à dent ou les seringues -, avoir des relations sexuelles protégées). Elle sera disponible en 17 langues car plusieurs membres du personnel soignant ont fait part des difficultés qu’ils rencontrent lorsqu’ils veulent interagir avec des détenus allophones. Leur seule option est souvent d’utiliser Google traduction, ce qui laisse le champ à de nombreux contre-sens et insatisfactions de part et d’autre. 

Améliorer la continuité des soins même après la libération 

Un livret pour le personnel soignant rappelle aussi de manière accessible le protocole de prise en charge de la maladie : de la prévention à la mise sous traitement et fait état des évolutions technologiques et thérapeutiques de ces dernières années par rapport aux méthodes de dépistage et aux traitements. L’asbl réfléchit également à réaliser une déclinaison de l’outil pour les agents de surveillance pénitentiaire, qui en ont exprimé le besoin. 

I.Care a aussi mis au point un flyer d’information spécifique à la sortie de prison – qui sera différent pour chaque région belge. Téléchargeable et disponible en plusieurs langues, il mentionne les structures assurant le suivi des soins et l’accompagnement psycho-social hors détention. Les adresses et les numéros de téléphone seront actualisés au fil du temps. 

Une fiche de suivi permettra enfin aux personnes de garder une trace de leurs résultats d’examens et des soins réalisés pendant l’incarcération et d’inscrire leur rendez-vous de suivi.  “L’idée est de remédier aux problèmes d’errance post-diagnostic et la déperdition des informations, car il n’existe pas de procédure pour transmettre le dossier médical de la personne détenue aux services de santé extérieurs. Elles doivent penser à demander une copie au moment de leur sortie de prison, ce qui n’est pas toujours aisé. Si on ne les accompagne pas, la santé n’est pas toujours la préoccupation principale à la sortie”, explique Rachelle Rousseaux. 

La prison n’est pas un lieu de soin, mais c’est un lieu d’opportunité de soin et d’accompagnement”, conclut Marion Guémas. L’outil sera utilisé dans la prison de Lantin où le projet s’est déroulé. I.Care espère ensuite une diffusion à plus grande échelle, dans d’autres prisons de Belgique mais également auprès d’associations qui accompagnent des personnes usagères de drogue ou précaires sur tout le territoire. 

Grâce à de nouveaux financements de l’AVIQ, I.Care va poursuivre le projet Translation en 2024 et explorer la possibilité de développer de nouveaux qui répondent aux enjeux de littératie en santé, en lien avec le VHC ou non.

Pour aller plus loin :

Tous les contenus sont accessibles et téléchargeables en ligne, gratuitement sur le site https://www.i-careasbl.be/outils-vhc.

La mobilisation du Réseau Hépatite C de Bruxelles contre les discriminations entre les détenus condamnés et les prévenus : lire leur communiqué de presse.

A propos d’I.Care :

L’asbl I.Care met en œuvre des projets directement auprès des personnes détenues, et mène en parallèle des activités de plaidoyer dans l’espoir d’obtenir des changements structurels au bénéfice de l’ensemble des personnes détenues.  

I.Care travaille dans une logique de promotion de la santé. L’Asbl est financée en tant que tel par la COCOF et la région wallonne, et bénéficie également d’un financement du SPF Santé publique dans le cadre de projets pilotes Drogues et détention – développés dans le cadre du transfert de la compétence des soins de santé en prison de la Justice à la Santé publique.  

I.Care est aussi financé.es à Bruxelles depuis 2018 (historiquement dans la prison de Saint-Gilles et désormais à Haren) et depuis l’été 2023 à Jamioulx (Charleroi). Dans le Plan de Promotion de la Santé bruxellois (2018-2022), le milieu carcéral était indiqué comme un des milieux prioritaires dans les milieux de vie spécifiques, ce n’est plus le cas dans le plan 2023-2028. 

Plus d’info sur l’asbl : https://www.i-careasbl.be