En cette période où les crises de différentes natures se succèdent sans se ressembler, nos capacités d’adaptation et de changement sont mises à rude épreuve. Entre espoirs d’innovation liés aux avancées de la recherche et sentiment d’impuissance face aux problèmes environnementaux, les réactions peuvent être vives et variées. Les recherches dans le champ de la psychologie positive ont mis en évidence plusieurs processus psychologiques sur lesquels il est possible d’agir afin d’aider les individus, les groupes et les institutions à avancer en direction de solutions constructives qui contribuent par là-même à maintenir une bonne santé mentale et relationnelle.
La psychologie positive est une orientation relativement récente en psychologie qui propose d’étudier plus spécifiquement les facteurs protecteurs en santé mentale pouvant être développés en amont des problématiques et favoriser ainsi la capacité à faire face aux événements de vie et la résilience. Elle a ainsi été définie comme l’étude des conditions et des processus qui contribuent à l’épanouissement et au fonctionnement optimal des individus, des groupes et des institutions (1).
Réduire le biais de négativité par rapport à soi, aux autres et à l’existence
Nous avons une tendance naturelle à être davantage marqués par les aspects négatifs du quotidien et à nous remémorer ces événements le soir quand nous rentrons chez nous (2). Ce sont ces dimensions de notre quotidien qui vont aussi avoir tendance à tourner en boucle dans notre tête et nous empêcher d’orienter notre attention vers le moment présent et les personnes qui nous entourent. Or, plus nous ressassons ce qui nous dérange chez l’autre, ce que nous n’avons pas apprécié au travail ou un échec que nous avons essuyé, plus cela oriente notre attention vers d’autres aspects négatifs du quotidien, ce qui à son tour augmente les affects négatifs. On se retrouve alors embarqués dans une dynamique qui peut nous empêcher d’identifier les ressources en nous et autour de nous pour avancer de manière constructive.
Les recherches issues du champ de la psychologie positive ont expérimenté l’efficacité de pratiques permettant de réduire ce biais de négativité en apprenant à observer dans le quotidien d’autres aspects qui passent plus souvent inaperçus et que l’on a tendance à oublier rapidement : les éléments positifs et satisfaisants de la vie de tous les jours. Souvent, nous nous habituons rapidement à ce qui est positif ou agréable dans notre vie. Mais nous pouvons choisir de regarder à nouveau de plus près par exemple en réalisant un journal d’attention dans lequel on note chaque jour une ou plusieurs choses satisfaisantes qui se sont produites comme le fait d’avoir eu une conversation très intéressante avec un collègue ou d’avoir rencontré une personne chaleureuse qui a été à l’écoute. Ce type de pratique permet d’améliorer la satisfaction par rapport à la vie et diminuer les symptômes d’anxiété et de dépression (3). C’est l’un des processus qui permet de maintenir un équilibre psychologique.
Il existe également de nombreuses autres pratiques dont l’objectif est de développer une attitude bienveillante à l’égard de soi en diminuant la tendance à l’auto-critique répétitive négative. Au-delà du changement de regard que l’on porte sur soi grâce à ces pratiques, cela permet de diminuer la tendance à la procrastination et au sentiment d’impuissance face à la situation rencontrée. Cette forme de bienveillance envers soi représente un facteur protecteur important en santé mentale, comme nous avons pu l’observer pendant la période de pandémie auprès des parents (4) ou des étudiants par exemple (5). Développer de la compassion pour soi est aussi associé à de meilleures relations avec les autres, ce qui représente le facteur protecteur le plus important en santé mentale. Les interventions de psychologie positive ciblent ainsi spécifiquement des moyens de cultiver des relations constructives et permettre de développer des relations d’interdépendance positive (6).
Développer une culture de l’interdépendance positive
À une période où l’interdépendance a été au premier plan avec la situation de pandémie qui a mis en évidence de manière spectaculaire nos interdépendances à tous les niveaux : entre humains, avec les animaux, avec l’environnement, nous avons eu tendance à considérer que l’interdépendance était plutôt quelque chose de problématique. Toutefois, cette période a aussi révélé la possibilité de développer une interdépendance positive à travers des comportements solidaires qui ont été mis en œuvre, de nouvelles initiatives dans les villages, les quartiers, les immeubles pour aider les personnes âgées ou les personnes en difficulté pour faire leurs courses et prendre soin d’elles.
Durant cette période nous avons ainsi pris davantage conscience de l’importance de la qualité des relations avec les commerçants, les éboueurs, les voisins, les passants… En raison de la raréfaction des relations sociales en face à face, chaque interaction étant davantage valorisée. Nous avons davantage pris conscience des efforts de chacun, ce qui a pu faire émerger de la gratitude que l’on a pu exprimer envers les soignants en applaudissant le soir à 20h à la fenêtre. Cette expression de gratitude augmente le sentiment de proximité sociale et de confiance, un terreau favorable au développement de ce que l’on appelle l’interdépendance positive.
L’interdépendance positive est liée à la conscience que l’on partage un objectif commun et au fait de considérer que travailler ensemble est plus efficace et plus pertinent parce que l’on peut s’appuyer sur la richesse des différences et des complémentarités.
Cette relation est mutuellement bénéfique grâce au sentiment de lien social : chacun peut recevoir de l’aide sans se sentir inférieur, et peut à son tour apporter une contribution à d’autres à sa manière.
Dans le cadre d’une relation d’interdépendance positive, il s’agit de combiner les compétences complémentaires plutôt que de développer un esprit de compétition. L’idée de fond consiste à accepter que l’humain est incomplet, imparfait, mais que chacun possède des compétences pouvant être mises à profit dans le cadre d’un projet commun. Les recherches ont mis en évidence que la relation d’interdépendance positive offrait un contexte permettant de faire émerger le meilleur de chacun. Dans la relation, grâce au lien de confiance, cela permet d’accéder au mieux à ses compétences et qualités. De plus, le sentiment de proximité relationnelle modifie même la perception des difficultés qui sont alors davantage perçues comme un défi à relever plutôt que des menaces. Ce sentiment de lien social augmente également la vitalité et la persévérance.
Des chercheurs (7) avaient ainsi fait venir des participants au laboratoire en leur proposant de venir accompagné d’un ou une amie. Puis, soit cet ami restait dans la salle d’attente, soit elle entrait dans le laboratoire. Puis l’expérimentateur demandait au participant d’évaluer la raideur de la pente d’une colline. Les chercheurs ont alors observé que lorsque les participants étaient accompagnés d’un ami, ils percevaient la pente comme étant moins raide, comme si cela nous donnait l’impression d’avoir plus d’énergie et de ressources à disposition pour faire face à la situation.
Pourtant, nous vivons dans une société qui sur-valorise l’indépendance, souvent comprise comme le fait de montrer que l’on n’a pas besoin des autres. Il pourrait ainsi être utile de développer une culture de l’interdépendance dès le plus jeune âge. Des recherches dans le champ de l’éducation ont ainsi montré que l’interdépendance de moyens ou de buts augmente la motivation et l’engagement dans la tâche et ainsi la réussite scolaire.
Il existe aujourd’hui de nombreuses pratiques validées par la recherche pouvant contribuer au développement de relations d’interdépendance positive, notamment en favorisant le développement des compétences psychosociales, l’identification des forces et des complémentarités des individus à travers des pratiques de psychologie positive, ou encore grâce aux pratiques de pleine conscience, qui permettent de développer une plus grande ouverture à l’autre et peuvent faire émerger.
Les compétences psychosociales, ou compétences utiles à la vie, sont les ressources sociales (relation aux autres), affectives (émotions, vécu…) et cognitives (connaissances…) à mobiliser, de façon combinée et appropriée, face aux aléas de la vie (a) . Elles permettent de renforcer le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives (b).
Plus d’infos sur le sujet dans un prochain numéro d’Education Santé en 2023.
(b) Santé publique France 2022
Pendant la période de confinement, avec un collectif de chercheurs et d’associations nous avons souhaité rendre ces outils accessibles pour développer des relations d’interdépendance positive à tous les niveaux dans le champ de l’éducation, à l’école et dans la famille. Vous pouvez retrouver ces outils sur le site https://covidailes.fr.
Pour aller plus loin
- Shankland, R. (2019). La psychologie positive. 3e édition. Paris, France : Dunod.
- Shankland, R. (2016). Les pouvoirs de la gratitude. Paris : Odile Jacob.
Rebecca Shankland est Professeure des Universités en psychologie du développement, Université Lumière Lyon 2
Références
(1) Gable, S. L., & Haidt, J. (2005). What (and why) is positive psychology? Review of General Psychology, 9 (2), 103–110.
(2) Baumeister, R. F., Bratslavsky, E., Finkenauer, C., & Vohs, K. D. (2001). Bad is stronger than good. Review of General Psychology, 5, 323–370.
(3) Emmons, R.A., McCullough, M.E. (2003). Counting blessings versus burdens : an experimental investigation of gratitude and subjective well-being in daily life. Journal of Personality and Social Psychology, 84, 377-389.
(4) Paucsik, M., Urbanowicz, A., Leys, C., Kotsou, I., Baeyens, C., & Shankland, R. (2021). Self-compassion and rumination type mediate the relation between mindfulness and parental burnout. International Journal of Environmental Research and Public Health, 18, 8811.
(5) Paucsik, M., Leys, C., Marais, G., Baeyens, C., & Shankland, R. (2022). Self‐compassion and savoring buffer the impact of the first year of the COVID‐19 pandemic on PhD students’ mental health. Stress & Health. https://doi.org/10.1002/smi.3142.
(6) Shankland, R., & André, C. (2020). Ces liens qui nous font vivre : Eloge de l’interdépendance. Paris : Odile Jacob. (7) Schnall, S., Harber, K. D., Stefanucci, J. K., & Proffitt, D. R. (2008). Social Support and the Perception of Geographical Slant. Journal of experimental social psychology, 44(5), 1246–1255.