Avril 2009 Par Martine BANTUELLE Réflexions
Le 7 octobre dernier se déroulait la deuxième journée liégeoise de promotion de la santé, organisée par le Centre liégeois de promotion de la santé à l’occasion de son 10e anniversaire. Réalisée en collaboration avec l’École de Santé publique de l’Université de Liège, cette journée portait sur une problématique tout à la fois urgente, passionnante et complexe à appréhender, celle des inégalités sociales de santé.
S’appuyant sur un travail préparatoire intense, son objectif était de mettre en évidence des initiatives locales, d’offrir une tribune à des partenaires incontournables du combat pour la réduction des inégalités (autorités politiques, mutualités, CPAS), et bien entendu d’impliquer concrètement les participants dans des ateliers débouchant sur la réaffirmation du caractère collectif de la promotion de la santé et sur une série de recommandations aux décideurs liégeois.
Éducation Santé a eu le plaisir de réaliser les actes de cet événement, disponibles au CLPS, Bd de la Constitution 19, 4020 Liège. Tél.: 04 349 51 44. Fax: 04 349 51 30. Courriel: promotion.sante@clps.be. Internet: http://www.clps.be .
Nous vous proposons de découvrir ci-dessous l’intervention de Martine Bantuelle , présidente sortante du Conseil supérieur de promotion santé de la Communauté française, en début de journée. Nous publierons aussi prochainement celle de Chantal Leva , directrice du CLPS, et les conclusions du Prof. Sébastien Brunet , du Spiral (Spiral and Public Involvement in Risk Allocations Laboratory) de l’Université de Liège.
CDB

Avant tout, rappelons-nous deux choses: la promotion de la santé a pris comme point de départ les progrès accomplis grâce à la déclaration d’Alma Ata sur les soins de santé primaires, dont nous venons de fêter les 30 ans; d’autre part, gardons aussi à l’esprit que si la santé augmente dans le monde, les écarts se creusent de plus en plus entre les groupes de populations, les régions et les pays.
En Belgique, un groupe de travail «inégalités en santé» constitué par la Fondation Roi Baudouin rappelait la répartition inéquitable de la santé parmi la population belge.
Deux exemples: selon la place que l’on occupe dans l’échelle sociale, l’âge moyen du décès est entre 3 et 5 ans plus précoce chez les personnes défavorisées. Celles qui ont un faible niveau de scolarité vivent en bonne santé en moyenne 18 à 25 années de moins que celles qui ont un haut niveau d’études.
Et pourtant, le nombre de recours aux soins en hospitalisations et en contacts avec le médecin généraliste est en moyenne 2 fois plus élevé chez les personnes ayant le moins de revenus.

Constats internationaux

Il apparaît que les inégalités de santé dépendent bien moins du système de soins que de la répartition des richesses et de la solidarité organisée par les États.
Pierre Aiach et Didier Fassin mettent en évidence le problème de la définition et de la qualification des inégalités sociales de santé qui est essentielle pour les différencier des inégalités de santé longtemps considérées comme naturelles.
Selon eux, deux conditions sont nécessaires pour que l’on parle d’inégalités sociales de santé: la première est qu’elles portent sur un objet socialement valorisé, à savoir la vie par opposition à la mort, la santé et le bien-être par opposition à la maladie, au handicap, à la souffrance… La seconde est que cet objet socialement valorisé concerne des groupes sociaux hiérarchisés en classes sociales, catégories socioprofessionnelles, appartenance ethnique…
Il s’agit d’inégalités si ces disparités ont un effet sur la santé des groupes en question; dans le cas contraire, on parle de différence.
Les inégalités sociales de santé sont le produit final des disparités structurelles en termes de ressources, de logement, d’alimentation, d’emploi et de travail, de scolarisation et de formation. Celles-ci caractérisent la solidarité sociale d’un pays ou d’un territoire.
À deux reprises, l’OMS a publié un document intitulé «Les faits». Il s’agit d’un outil qui a pour objectif de faire en sorte que la politique menée à tous les échelons tienne compte des derniers résultats de la recherche, selon lesquels une société en bonne santé est créée grâce aux interventions d’un ensemble large de secteurs.
Que savons-nous aujourd’hui?
Que pour améliorer la santé, il faut réduire les taux d’échec scolaire, l’insécurité et le chômage, et améliorer l’habitat. Les sociétés qui permettent à tous leurs citoyens de jouer un rôle utile dans la vie sociale, économique et culturelle sont dans une meilleure situation sanitaire que celles qui se caractérisent par l’insécurité, l’exclusion et la pauvreté.
Qu’à l’école, sur le lieu de travail et ailleurs, la qualité de l’environnement social est souvent aussi importante pour la santé que l’environnement physique.
Les cadres favorisant un sentiment d’appartenance, de participation et de valorisation de l’individu sont plus propices à la santé que ceux dans lesquels on se sent exclu, ignoré et exploité.
Que l’existence de bonnes relations sociales peut réduire les réactions physiologiques au stress. Un soutien social peut accroître le taux de guérison de maladies diverses et favoriser le bon déroulement d’une grossesse chez les femmes vulnérables.
Que la réduction de la circulation routière diminue le nombre de décès et de traumatismes graves consécutifs aux accidents de la route et diminue la pollution liée aux gaz d’échappement. Par ailleurs, les banlieues accessibles uniquement aux voitures tendent à isoler les personnes non motorisées, en particulier les personnes âgées et les jeunes. Contrairement à l’utilisation de la voiture, qui isole les gens, la marche à pied, le vélo et les transports en commun stimulent les contacts sociaux.
Ces quelques exemples suffisent pour se rendre compte que mener une politique de santé pour tous aujourd’hui c’est prioritairement agir sur les déterminants sociaux de la santé et engager tous les niveaux et les secteurs dans cette action .
Margaret Whitehead a mis en évidence que les facteurs qui ont une influence sur les inégalités sociales de santé se situent à différents niveaux, allant du niveau individuel, du niveau de la communauté, du niveau des services et structures, au niveau macro-social, ayant de l’influence les uns sur les autres selon leur importance.
Il en découle une combinaison d’actions stratégiques de renforcement de ces quatre niveaux:
-renforcement des personnes par des interventions sur les modes de vie;
-renforcement de la communauté: cohésion horizontale et verticale;
-renforcement des conditions de vie et de travail, de l’accès aux services et structures;
-renforcement des mesures économiques, sociales, culturelles et environnementales qui diminuent les inégalités.
Les conclusions d’une étude toute récente réalisée au Québec mettent en évidence que des interventions doivent se développer au niveau macro-social et être orientées vers les populations les plus démunies et qu’en fonction des inégalités observées entre les territoires, mais surtout à l’intérieur de ceux-ci, les interventions doivent être ciblées localement.

En Communauté française

Ces orientations sont rappelées dans le Plan communautaire opérationnel de promotion de la santé de la Communauté française (2008-2009).
Il a pour finalité « d’améliorer la qualité de vie et la santé des personnes en agissant sur les déterminants de la santé , en s’appuyant sur les structures et les acteurs de tous les secteurs concernés et en veillant à réduire les inégalités face à la santé en s’appuyant sur les stratégies de promotion de la santé ».
Les auteurs du Plan rappellent que « pour comprendre l’impact négatif de la précarité socio économique , il convient de mieux cerner les conditions et situations de vie des personnes défavorisées » et que « les programmes de promotion de la santé tiennent compte des publics vulnérables ainsi que de la relation entre problèmes de santé et situations vécues par certains groupes de population ».
Renforçant encore ce point de vue, le Conseil supérieur de promotion de la santé, dans son avis pour la rédaction du Programme quinquennal de promotion de la santé 2009-2013, recommande qu’il mette encore plus l’accent sur la réduction des inégalités face à la santé.
Il précise que ce choix implique:
-une large participation de la population aux programmes élaborés;
-la prise en compte de l’ensemble des déterminants de santé en cause dans les problématiques de santé;
-une approche intersectorielle impliquant l’ensemble des acteurs (populations, professionnels, élus).
Il constate aussi que:
-certains programmes peuvent être générateurs d’inégalités face à la santé;
-le concept de participation peut être réduit à une responsabilité individuelle risquant de rompre les solidarités;
-les approches intersectorielles sont difficiles à initier faute d’identifier correctement et complètement les déterminants en cause et faute d’accords aux différents niveaux politiques de décision.
Le Conseil supérieur insiste aussi sur:
-la nécessité de veiller à ce que chaque programme de promotion de la santé contribue à réduire les inégalités face à la santé;
-le collectif et le communautaire plus que sur la responsabilisation individuelle;
-l’implication des acteurs de tous les secteurs afin que progressivement chaque initiative mise en place soit porteuse de santé dans une logique de développement durable.
L’initiative prise par le CLPS de Liège et ses partenaires d’organiser la Deuxième journée liégeoise de promotion de la santé le 7 octobre 2008, s’inscrit parfaitement dans cette voie, tant par la dynamique préparatoire à cette journée que par les perspectives qui en découleront. Notre meilleur souhait est celui de voir ces recommandations prises en compte dans l’élaboration des politiques.
Martine Bantuelle , Présidente du Conseil supérieur de promotion de la santé

Bibliographie

P.Aiach, D.Fassin, L’origine et les fondements des inégalités sociales de santé, in Revue du Praticien, vol 54, n°20, Paris 2004
OMS, Les faits, Les déterminants sociaux de la santé, deuxième édition, Copenhague, 2007
Fondation Roi Baudouin, Inégalités en santé, recommandations politiques, Bruxelles, 2006
D. Deliège, Accès à la santé et aux soins, Journée du réseau wallon de lutte contre la pauvreté, 2006
X.Leroy, I.Neirynck, Disparités régionales en soins de santé chez les personnes âgées, étude interuniversitaire, UCL-SESA, 1992.