«S’asseoir ça fait déjà du bien»
Je suis infirmière scolaire depuis 27 ans. J’ai toujours été passionnée par tout ce qui touche à la relation humaine. J’ai réalisé des milliers d’entretiens avec des jeunes en souffrance, des parents désemparés, des enseignants démunis…
Confrontée au mal-être des élèves même très jeunes, j’ai constaté qu’aucune structure n’existe dans les écoles primaires pour permettre aux enfants de parler de leurs problèmes, contrairement au collège où il existe des lieux et de nombreux interlocuteurs (conseiller principal d’éducation, enseignant, assistante sociale, infirmière…).
J’ai donc décidé de mettre en place une cellule d’écoute dans une des écoles primaires de mon secteur. L’objet de cet article est de présenter cette cellule que j’ai appelée la ‘p’tite boîte » et que j’ai animée pendant cinq ans.
Trois thèmes récurrents
Ma rencontre avec un directeur d’école primaire très sensibilisé à la problématique des droits de l’enfant a été le déclencheur de mon expérimentation. Je lui ai proposé que son école mette en place une permanence que j’animerais tous les jeudis matin. Après avoir exposé mon projet et recueilli l’accord de l’équipe enseignante ainsi que des délégués de parents, j’ai expliqué aux enfants ce qu’était la ‘p’tite boîte’. Les parents d’élèves ont également été informés du projet par courrier.
Une boîte aux lettres a été mise à disposition des enfants pour qu’ils puissent y déposer un petit billet avec leur nom afin d’obtenir un rendez-vous. Une salle de l’école a été réservée pour les entretiens.
Voici des exemples de billets (j’ai gardé l’orthographe d’origine):
- Bonjour, je me san un peut triste.
- Très chère Elen, j’ai un petit problème.
- Problème de famille. Viens me chercher le plus tôt sera le mieux.
- J’ai besoin de vous.
- Depuis l’an dernier, j’ai des petits problèmes et j’ai besoin de conseils. Tu peux m’en donner?
- Quand je veux dormir, je n’arrive pas.
- Tous les matins, je me sens triste.
- Cher iffermière, je voudrais vous voir.
- Bonjour, mon problème c’est la récréation.
Les enfants se sont tout de suite appropriés l’outil et ils ont montré qu’ils avaient un réel besoin de parler. Je recevais une dizaine d’enfants par matinée, certains revenant plusieurs semaines de suite. Trois thèmes principaux étaient abordés dans les entretiens: la famille, la santé et l’école.
J’ai choisi pour chacun d’entre eux quelques phrases d’enfants ainsi qu’une histoire.
Le thème de la famille
- Tout le monde peut se disputer, papa et maman se disputent aussi. Il faut quand même se marier…
- J’ai peur pour mon frère, il dit des fois qu’il va sauter par la fenêtre…
- Mon père est à l’hôpital, je m’inquiète…
- Mes parents ne sont pas assez avec moi, j’aimerais passer plus de temps avec eux…
- J’aurai bientôt une petite soeur demain ou après-demain, mon père est parti ce matin en Bosnie.
- Mon père me frappe souvent avec la ceinture ou une sandalette sur les fesses. C’est tout le temps dans la tête d’avoir peur.
- Je voudrais vivre avec des parents qui tapent pas. Je crois que je devrai quitter la maison. Je suis déjà triste.
- Papa et maman, on dirait qu’ils ne m’aiment pas.
Le thème de la santé
- J’ai l’impression que je vois pas bien…
- Je suis trop grosse…
- Qu’est que c’est les règles?
- Je voudrais parler à la classe de mon handicap.
- Je fais pipi au lit, je veux pas aller en classe verte.
Le thème de l’école et des copains
- J’ai le coeur brisé parce que je me suis disputée avec ma copine.
- Quand j’ai des soucis, je ne peux en parler qu’avec moi-même…
- Je suis comme les autres mais un peu plus méchante.
- Je passe toute la récré aux toilettes tellement j’ai peur.
- J’ai peur de lui, j’ai peur d’être avec lui jusqu’au lycée. (un élève de CE2).
- J’ai très peur de la maitresse.
- Je n’arrive pas avec les mots, ils arrivent tout mélangés. Je ne sais pas lire…
- J’écris toutes les insultes que l’on me dit et vous me direz si c’est normal qu’on me traite comme ça…
Enfants lucides
Lors des entretiens les enfants montraient une très grande capacité d’analyse et une grande compréhension de ce qui leur arrivait. J’étais loin d’imaginer tout ce que les enfants peuvent amener lors d’une rencontre: réflexion, pertinence, sensibilité, émotion (même ceux décrits comme perturbateurs). Je mettais à leur disposition des outils (dessin, marionnettes, théâtre) pour les guider et ils trouvaient en général eux-mêmes les solutions à leurs problèmes.
Après avoir expérimenté une piste discutée en entretien, ils revenaient très souvent me dire tout sourire: «Ca a marché!». Ou encore «L’orage est passé!», «Je vais mieux sur le chemin du deuil!», «Mes parents m’ont écouté!». Ils étaient passés à travers leur difficulté et avaient retrouvé du bien être en étant acteurs de leur vie.
Certains n’avaient pas de demande particulière en venant à la ‘p’tite boîte’. Par exemple un enfant est venu pour discuter de son quotidien au sein du foyer social où il vivait. Trois petites filles d’origine étrangère sont venues me montrer des danses folkloriques de leur pays. Un petit garçon me disait: «Mon papa est en prison, je vais le voir ce week-end. Je lui ai fait un joli dessin, regarde…».
Les enfants venaient parfois poser des questions existentielles:
- C’est quoi l’amitié? C’est quoi l’amour? Dieu? Et la mort?
- Pourquoi on est amoureux, comment on le sait?
- Pourquoi a-t-il tué ses enfants?
- Pourquoi y-a-t-il des enfants qui ont faim?
Et je me rappelle également de cette petite fille de 10 ans qui disait: «À quoi ça sert d’aimer si l’autre ne nous aime pas?»
Lorsque j’ai interrogé les enfants au sujet de la ‘p’tite boîte’, ils m’ont confirmé l’importance d’une permanence d’écoute à l’école en disant:
- On peut parler des soucis qu’on a, des problèmes. Si on n’a pas envie d’en parler à la famille, ça nous soulage.
- On pense plus tout le temps à ça et on travaille mieux.
- Je me sens plus tranquille.
- On relâche la pression.
- Je n’ai plus peur, je suis en sécurisation avec vous.
- J’en avais assez d’être triste dans ma tête.
De riches enseignements
Dès le départ, l’équipe éducative a encouragé les élèves à venir à la ‘p’tite boîte’. Si un enseignant remarquait qu’un enfant n’allait pas bien, il lui rappelait son existence mais c’est toujours (sauf en cas d’urgence) l’élève qui décidait en dernier lieu de venir ou pas. Pour un enfant timide ou en difficulté relationnelle il y avait souvent un gros travail de persuasion de la part de l’enseignant. Il est arrivé qu’une jeune fille arrive en pleurs à l’école le matin et que le maître lui suggère de venir à la ‘p’tite boîte’. Cette élève a accepté de venir me parler. Elle avait vécu une scène difficile (un décès dans la famille) et je l’ai reçue en urgence. Une autre avait été agressée en chemin, je l’ai rencontrée après son passage chez le directeur.
Lors d’un conseil des maitres, des enseignants m’ont dit: «c’est un soulagement pour nous de savoir qu’un enfant que l’on sait en souffrance vient te voir». Ils me disaient aussi que les élèves qui revenaient de la ‘p’tite boîte’ étaient plus détendus. Personnellement je le constatais souvent dans leur sourire quand ils me disaient au revoir à la fin d’un entretien.
Il m’arrivait de solliciter une rencontre avec les parents avec l’accord des enfants. Les parents acceptaient volontiers de me parler ou de me rencontrer. Nos relations se sont toujours passées dans un climat de confiance et la plupart du temps, les parents ont été des partenaires bienveillants dans l’aide à apporter à leur enfant. Les situations se résolvaient plus facilement qu’au collège où les relations sont souvent plus tendues entre parents et adolescents.
Quelques clés pour réussir
La mise en place d’une ‘p’tite boîte’ suppose que soient réunies un certain nombre de conditions.
Tout d’abord l’accord de toute l’équipe éducative de l’école est indispensable. Il s’agit d’un travail d’équipe au service des enfants, ce qui suppose une bonne communication entre les différents acteurs.
Ensuite l’intervenant devra s’entourer d’un réseau de personnes (médecins, assistantes sociales, psychologues…), la ‘p’tite boîte’ se voulant un lieu d’écoute et de mise en lien mais en aucun cas un lieu de thérapie.
L’intervenant devra de plus ne pas rester seul face à certaines situations difficiles amenées par l’enfant (maltraitance, idées suicidaires…) et n’hésitera pas à se faire superviser.
Le but de ces entretiens étant de faciliter la libération de la parole, leur réussite nécessite l’établissement d’une relation de confiance avec l’enfant. Celui-ci doit être assuré de la confidentialité des sujets abordés (le travail scolaire, l’école, la famille, les copains, la santé). La confidentialité peut toutefois être levée dans le cas où l’intervenant estime que l’enfant est en danger.
L’originalité de cette action réside dans le fait que les enfants sont considérés comme acteurs de leur santé. Ils ne sont pas adressés par l’enseignant ou un autre adulte mais la demande vient d’eux-mêmes. L’enfant ne doit jamais être forcé à venir à la ‘p’tite boîte’.
Une évaluation qualitative et quantitative respectant la confidentialité des entretiens doit être réalisée régulièrement et toute l’équipe éducative doit être informée des résultats.
J’ai ouvert ce lieu d’écoute pour essayer de répondre à un manque que j’avais identifié à l’école primaire. J’ai réalisé plus de mille entretiens d’élèves en cinq ans et tous les moments partagés avec eux ont été d’une grande richesse. Cette expérience d’écoute m’a montré que les enfants possèdent souvent en eux les ressources suffisantes pour gérer au mieux les problèmes qu’ils rencontrent. Ils ont juste besoin qu’on les accompagne dans leur cheminement. La célèbre maxime de la pédagogue Maria Montessori «Aide-moi à faire seul», pourrait être la devise de la ‘p’tite boîte’.
Pour finir voici la réponse qu’une petite fille m’avait donnée quand je lui demandais ce que lui apportait la p’tite boîte: «S’asseoir, ça fait déjà du bien.»
Alors, à quand une ‘p’tite boîte’ dans chaque école primaire?