Juin 2011 Par Delphine MATOS DA SILVA Bernadette TAEYMANS Patrick TREFOIS Initiatives

Près de deux années après son démarrage, le temps est sans doute venu d’une réflexion globale sur le déroulement du programme de dépistage du cancer colorectal en Communauté française.
En tant que Service communautaire en promotion de la santé agréé pour la communication, Question Santé asbl a été chargé de coordonner la campagne initiale de communication de ce programme pour l’ensemble de la Communauté française. Susciter l’intérêt du public pour le dépistage du cancer colorectal, l’informer sur ce sujet largement méconnu et l’inciter au dépistage constituaient les principaux et délicats défis à relever.

Présentation de la campagne de communication

La campagne s’adresse tant au grand public qu’aux professionnels concernés par la mise en place et l’accompagnement du programme: médecins généralistes, gastro-entérologues, acteurs de promotion de la santé… Chaque outil d’information, de formation, de communication s’est inscrit en cohérence avec l’ensemble du programme. Une cohérence de contenu et de forme pour que le message soit clair et compréhensible pour tous les destinataires.
L’image choisie pour la campagne de communication est celle du logo «ruban bleu», représentation visuelle du dépistage du cancer de l’intestin, créée par le National Colorectal Cancer Roundtable (USA) et reconnue au niveau international. Le ruban bleu est utilisé notamment par nos voisins français. Cette accroche est reprise dans l’ensemble du matériel d’information et de communication, qui comprend des outils à destination du médecin comme du patient.(1)
En voici un rapide aperçu:
-une brochure explicative pour le médecin généraliste;
-un questionnaire médical;
-une enveloppe pré-adressée «port payé par le destinataire» à remettre au patient pour renvoyer le test Hemoccult® et le questionnaire;
-le dépliant d’invitation ‘Dépister le cancer de l’intestin, c’est possible!’ joint au courrier de départ; dans une version adaptée, il est aussi diffusé largement, entre autres par les mutualités;
-le dépliant informatif ‘Un test simple à faire chez soi’ pour le patient devant réaliser le test Hemoccult®;
-un dépliant spécifique ‘Pourquoi un dépistage par coloscopie?’ pour le patient référé;
-le formulaire standardisé de prescription de la coloscopie;
-les spots TV et radio;
-un site internet http://www.cancerintestin.be .
– …

Quels sont les résultats du Programme?

Le Centre de référence pour le dépistage des cancers a communiqué quelques chiffres pour la période du 1er mars 2009 au 28 février 2010 (2).
On dénombre pour cette première année 42.928 personnes qui ont participé au Programme (entre le 1er mars 2009 et le 31 janvier 2010, 535.926 invitations ont été envoyées). Notons ici une première difficulté: le taux de participation de la population est difficile à chiffrer avec précision, puisqu’une partie de la population invitée (estimée à ± 7%) réalise des coloscopies en dehors du Programme (cadre diagnostic ou curatif); pour ces patients, il n’est transitoirement pas nécessaire de pratiquer le dépistage par Hemoccult®. On peut néanmoins constater que le démarrage du programme est timide et que 15% environ de la population cible bénéficient d’une forme ou l’autre de dépistage.
Pourtant, un des acquis et points forts du Programme est l’adhésion scientifique des médecins généralistes, puisque plus de 4.600 d’entre eux (sur une population de médecins généralistes ayant une pratique effective évaluée à environ 7.000) sont actifs dans le cadre de ce dépistage, avec, en moyenne, 8,9 tests Hemoccult® par médecin.

Parmi les 40.866 tests Hemoccult® reçus, 1.280 étaient positifs, soit 3,1 %, ce qui est conforme aux valeurs attendues. Un test positif nécessite la réalisation d’une coloscopie totale. À ce jour, le Centre de référence dispose des résultats de la coloscopie pour 1089 personnes (85,1 % des Hemoccult® positifs). Ces coloscopies ont permis de détecter, en ne tenant compte que de la lésion la plus péjorative, 222 adénomes avancés (3) chez 174 personnes et 1 cancer chez 85 personnes.
Une coloscopie d’emblée a été recommandée dans 2.062 cas, dont 1.323 résultats ont été obtenus à ce jour (64,2%). Ces coloscopies ont permis de mettre en évidence, en ne tenant compte que de la lésion la plus péjorative, 97 adénomes avancés chez 87 personnes et 1 cancer chez 22 personnes.
Au total, le taux de détection des cancers est de 2,5‰ et celui des adénomes, avancés et autres, est de 16,8‰. Les résultats obtenus pour les indicateurs décrits ci-dessus sont similaires à ceux obtenus à l’étranger, et confirment la bonne performance du Programme en Communauté française.

Quelques éléments qualitatifs de perception du public

Après une année de diffusion, que pense le public de cette campagne ? Quelles sont ses connaissances sur le cancer colorectal ? Comment comprend, perçoit ou vit-il le dépistage?
Pour obtenir un premier éclairage sur ces questions, le SCPS Question Santé a réalisé deux groupes focalisés réunissant des hommes et des femmes de 50 à 74 ans. Le focus groupe est une méthode qualitative de recueil d’informations, basée sur une discussion semi structurée et modérée par un animateur, qui permet notamment de recueillir les représentations des participants. L’aspect quantitatif n’est pas pris en compte dans cette approche.
Il sera ici question des propos des participants concernant leurs connaissances sur les cancers et leur attitude face au dépistage d’une manière générale, pour ensuite épingler les différents freins et moteurs au dépistage du cancer colorectal et quelques avis et suggestions émis par les participants sur le programme.

Connaissances générales sur les cancers et attitudes face au dépistage

Selon la plupart des répondants, les cancers qu’il est possible de dépister sont le cancer du sein, le cancer du col de l’utérus et le cancer de l’intestin.
En fonction de leurs expériences personnelles, les participants expriment des avis assez divergents sur le dépistage. En effet, quelques personnes jugent qu’il est utile et efficace de faire de la prévention pour écarter, au plus tôt, tout risque de maladie et augmenter les chances de guérison. Pour eux, le dépistage est synonyme de longévité et vécu comme une chance. D’autres personnes ont un avis plus négatif: elles estiment que le dépistage, même réalisé régulièrement, ne permet pas d’écarter la maladie.
D’une manière générale, le dépistage est vécu par la plupart des répondants comme une source d’angoisse et d’anxiété, probablement liée à la peur du résultat.(4)

Les freins au dépistage du cancer colorectal

Si la majorité des participants connaît ou a déjà entendu parler du cancer de l’intestin, que ce soit à travers la lettre d’invitation, des témoignages d’amis ou suite à une visite chez le médecin, leurs expériences du dépistage restent néanmoins assez marginales.
Diverses raisons sont invoquées:
-pas de signes extérieurs ou de symptômes visibles: «j’irai le jour où j’aurai un signe», «quand c’est en interne, on ne pense pas à dépister, on ne le sent pas»;
-pas d’antécédents: «moi j’ai demandé au médecin généraliste, mais il était contre parce que je n’ai pas d’antécédents»;
-pas de motivation: «faire le dépistage, je ne me sens pas motivé, je ne sais pas pourquoi…»;
-un manque de sensibilisation: «je ne me sens pas tellement concerné par ce cancer»;
-une méconnaissance due à un manque d’informations: «on sous-estime l’importance de ce cancer car on ne le connaît pas, on manque d’informations».
Pour la plupart des participants, le dépistage du cancer colorectal nécessite une coloscopie. Rares sont ceux qui connaissent le test de recherche de sang dans les selles proposé par le Programme de dépistage en Communauté française. Par ailleurs, quand ils parlent de coloscopie, la majorité des participants manifeste une réelle appréhension à faire l’examen. Ils soulignent le côté désagréable et intrusif de l’examen ainsi que son aspect parfois douloureux: «la coloscopie a mauvaise presse, elle fait mal», « j’ai peur parce que c’est désagréable», «l’examen n’est pas évident à faire parce que ça touche quand même certaines parties du corps».

Les leviers au dépistage du cancer colorectal

Les diverses réponses des participants confirment l’importance de l’avis et du conseil du médecin traitant dans leur démarche de dépistage: «J’ai alors été voir mon médecin généraliste qui m’a dit qu’il ne fallait pas faire une coloscopie d’emblée à tout le monde. Il fallait d’abord faire le test». Une autre personne, faisant le lien avec le dépistage du cancer du sein, explique: «mon gynécologue m’a dit qu’il n’était pas en faveur du mammotest, pour des questions de qualité… Mais moi j’étais pour, alors à un moment j’ai dû choisir et j’ai pris l’avis de mon médecin».
D’autres incitants au dépistage sont également évoqués par les participants: les risques liés à l’âge, la lettre d’invitation, les diverses lectures spécialisées, les campagnes de sensibilisation, l’héritage familial.

Le programme de dépistage: avis et suggestions

La majorité des participants n’exprime pas de réticences vis-à-vis de la campagne de communication. Toutefois, certains avis sont paradoxaux. D’une part, des répondants estiment que la campagne de communication manque d’impact et est plutôt terne; les annonces télévisées seraient trop courtes et de ce fait elles dérangeraient, feraient peur et laisseraient le spectateur sans solutions. D’autre part, lorsque la possibilité de modifier la campagne leur est offerte, les répondants proposent d’introduire des données qui interpellent, qui soient frappantes, qui fassent peur. Finalement, la plupart des participants s’accordent pour dire que pour qu’un message ait un impact et qu’il soit idéalement véhiculé, il faut que l’information soit relayée par le médecin.

Perspectives

Selon les données issues des groupes focalisés, outre les réticences relevées par chacun, la caractéristique anatomique du cancer colorectal, son mode de dépistage et la gêne qu’il suscite constitueraient des freins au dépistage. Pour dépasser ces obstacles et inscrire le dépistage dans les habitudes, il semble nécessaire de travailler à la banalisation de ce comportement . Concrètement, cela consisterait notamment à rendre l’information encore plus accessible et plus diffusée, idéalement à l’aide d’un discours au vocabulaire simplifié, compréhensible par tous et proposant un message qui insisterait sur l’importance du dépistage pour favoriser la guérison. Il semble également important de redire que le dépistage du cancer colorectal peut se faire à l’aide d’un test simple à faire chez soi.
Ces groupes focalisés ont par ailleurs permis de confirmer le rôle déterminant du médecin auprès du patient en tant que conseiller en prévention. Le médecin informe, rassure et prescrit. Il est le principal moteur de l’action. Ceci conforte également le travail déjà réalisé avec les médecins généralistes et incite à le poursuivre.
Une démarche d’ approche globale de la prévention , dans le cadre du Dossier médical global plus (DMG+), pourrait être développée en collaboration avec les associations de médecins généralistes.
Lors des pré-tests d’une nouvelle version d’un dépliant de sensibilisation, le SCPS – Question Santé a été confronté à de fortes réticences de la part de patients. Une partie des personnes interpellées a en effet refusé de participer au pré-test. Il semblerait que le thème du cancer (malgré notre perspective d’information sur le dépistage) soit un sujet assez [ i ] difficile à aborder [/ i ] pour certaines personnes . En effet, pour ces patients qui à un moment donné de leur vie ont été touchés par la maladie (personnellement ou pas), aborder le sujet représentait une épreuve supplémentaire et douloureuse à laquelle ils ne voulaient plus se soumettre.
D’autres patients encore, qui avaient commencé à lire le dépliant, ont arrêté la lecture car cela évoquait trop de mauvais souvenirs . Nous avons également noté que le mot cancer fait toujours peur aujourd’hui; que le fait de voir le mot cancer sur un dépliant ne donne pas envie de le lire.
Ces quelques réticences et refus auxquels nous avons été confrontés sont fort interpellants car ils semblent représenter un frein majeur au dépistage. Aborder le thème du cancer est pour certains quelque chose de difficile à faire, et, pour d’autres, carrément non envisageable.
Il s’agit donc là d’une indication importante à tenir en compte dans les perspectives de communication sur le dépistage du cancer. Il semble qu’ un des enjeux de la communication autour du dépistage du cancer, résiderait dans l’interpellation de ceux qui refusent d’aborder le sujet : parce que le cancer fait peur, parce que la seule évocation du mot cancer les ramène dans des souvenirs d’épreuves douloureuses auxquels ils ne veulent plus être confrontés et dont ils ne veulent plus entendre parler.
Une étude en cours, menée par le RESO-UCL, devrait amener des éléments complémentaires de compréhension et des pistes d’actions pour améliorer la perception et l’adhésion aux comportements de dépistage.
Par ailleurs, il serait utile de se référer à l’expérience et aux pratiques du programme de dépistage du cancer colorectal mis en place chez nos voisins français. Les départements obtenant les meilleurs scores de participation (40 à 50% – calculés en excluant du dénominateur les personnes non concernées comme celles ayant eu une coloscopie au cours des années précédant l’invitation) mettent en œuvre des moyens de communication répétés: envoi d’une première invitation, rappel après un mois; en cas de non réponse, envoi direct de tests Hemoccult® à domicile; formations des médecins généralistes et actions médiatiques préalables aux vagues d’invitation, etc.
Delphine Matos da Silva , Bernadette Taeymans , Patrick Trefois , SCPS Question Santé asbl
(1) Pour plus de détails voir: TAEYMANS B., DE BOCK C., «Le dépistage du cancer colorectal en Communauté française» in Éducation Santé , n° 244, avril 2009
(2) in «Santé en Communauté française» n°6 – Mars 2011
(3) Adénome avancé = adénome de plus d’un cm, ou 3 adénomes ou plus, ou contingent villeux, ou dysplasie de haut grade
(4) Les participants parlent indifféremment de divers cancers.