A mi-chemin entre la conférence classique et l’animation, accompagnée d’une note militante, la conférence gesticulée est un outil d’éducation populaire. C’est un peu « un savoir froid et chaud qui ne devient pas tiède mais donne de l’orage » comme le soulignait Manoë Jacquet qui introduisait, le 16 octobre dernier, la conférence gesticulée autour du nouveau référentiel d’auto-santé des femmes. Ce référentiel est issu d’une collaboration entre trois acteurs de la santé et de la promotion de la santé : l’ASBL Femmes et Santé, l’ASBL Le Monde selon les femmes et la Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial. Et comme son nom l’indique il met la santé des femmes au cœur de la discussion
Qui sont ces trois ASBL ?
Femmes et Santé : « L’association Femmes et Santé souhaite de promouvoir la santé des femmes à un niveau individuel et collectif toujours dans la perspective de favoriser leur auto-détermination en matière de santé et de valoriser leurs ressources et compétences propres. » Elle organise son travail autour de trois grands axes : la transmission d’informations et les échanges, la mise en commun des savoirs et la pratique corporelle lors d’ateliers accessibles à toutes les femmes. Le Monde selon les femmes : « Le Monde selon les femmes est une ONG féministe active dans le monde du développement, de l’éducation permanente, de la recherche action; elle valorise les savoirs locaux en appui aux mouvements sociaux. Sa vision est celle d’un monde où l’on aurait transformé les rapports de domination entre les femmes et les hommes et entre le Nord et le Sud en relations construites sur l’égalité et la solidarité. Elle reconnait l’interdépendance des sociétés et l’enrichissement mutuel. »
La Fédération des Centres Pluralistes de Planning Familial : la FCPPF « est un organisme qui assure deux missions principales : – la représentation des 23 centres de planning familial affiliés sur le territoire de la Fédération Wallonie – Bruxelles ;– la production d’outils pédagogiques et/ou services sur les thématiques liées à l’EVRAS (Éducation à la Vie Relationnelle, Affective et Sexuelle). »
Le référentiel d’auto-santé des femmes
En reprenant les différents ateliers et pratiques menés depuis des années par l’ASBL Femmes et Santé, ce référentiel est un vrai outil d’empowerment pour les femmes ! Il a pour point d’encrage « la nécessité de donner la parole aux femmes, de stimuler une approche participative et collective de la santé et de promouvoir ainsi l’émergence d’une nouvelle culture de transmission et d’échange entre femmes »Un des piliers du référentiel comme son nom l’indique est le principe de l’auto-santé ou self-help. Ce principe, issu du Mouvement pour la Santé des Femmes, a vu le jour un peu partout dans le monde durant les années 1970. On retrouve dans l’auto-santé, comme nous le rappelle Catherine Markstein lors de la conférence gesticulée, le désir de démédicaliser le cycle de vie des femmes. Au travers de l’histoire on constate que ce qu’on pourrait nommer « les grandes étapes » de la vie d’une femme sont associées à des termes et donc à des pratiques médicales. L’accouchement associé à la chirurgie, la ménopause à une maladie chronique ou encore la sexualité à une fluctuation hormonale. On retrouve derrière ces associations, les femmes, dépossédées de leurs propres connaissances et compétences ! S’il est évident que le référentiel ne met pas en doute le recours à la médecine officielle, il veut laisser aux femmes l’opportunité de se réapproprier – voire de s’approprier – leur corps et leur santé. Elle leur demande en revanche de pouvoir porter un regard critique sur l’autorité médicale et la transmission verticale des informations, illustrant la relation de hiérarchie entre les deux parties. Ceci peut s’illustrer par l’intérêt d’expliquer aux femmes qu’elles ont le droit de poser des questions sur les examens ou les traitements qui leurs sont prescrits. Prendre conscience de ses droits c’est cheminer d’une médecine normative vers une médecine inclusive, collective et solidaire où la personne est au centre des soins et conserve le pouvoir d’agir.
L’auto-santé qui peut se résumer par « c’est prendre sa santé en main » met en exergue que chaque femme peut agir sur sa santé, sa qualité de vie et son environnement mais cette démarche fait également appel au principe de collectivité. En effet, l’idée est que le bien-être de l’autre me concerne aussi, dès lors une démarche solidaire et responsable est de mise !
«Ce référentiel c’est l’ idée d’un bien-être qui n’oublie pas le corps » – Manoë Jacquet. Le référentiel d’auto-santé des femmes est construit autour de 4 modules :- « prendre sa santé en main »,- « femmes autour de la cinquantaine »,- « rencontres intergénérationnelles »,- « week-end en auto-santé ».Ces modules contiennent les différents ateliers à réaliser avec comme point commun le fait de le commencer par une citation en lien avec la thématique travaillée. Ces ateliers se construisent sur base de la pédagogie féministe autour de deux axes principaux que sont la santé et le bien-être. Cette pédagogie s’appuie sur différents éléments :
- différents objectifs de soutien et de respect des femmes, établir des relations de confiance et de solidarité, mettre en valeur les propres ressources des femmes, etc.
- l’implication de chaque participante en ayant une approche participative pour leur permettre de s’exprimer comme elles le souhaitent sur les sujets abordés,
- favoriser l’intersectionnalité qui essaye de manière générale de croiser les multiples inégalités de genre, d’ethnie, d’âge, d’orientation sexuelle, etc.
- permettre la créativité de chaque femme pour valoriser les différents modes d’expression, l’utilisation de plusieurs outils et supports lors des animations qui permet aux participantes de pouvoir s’approprier à leur façon les contenus,
- le militantisme comme force importante dans la construction des savoirs collectifs et l’application de la pédagogie féministe dans la lutte pour les droits des femmes.
« Militer c’est bon pour la santé ! » – Catherine Markstein
A qui s’adresse-t-il ?
Ce référentiel est un outil pédagogique qui s’adresse aux personnes relais, qu’elles soient professionnelles ou non, qui réalisent des animations sur l’auto-santé des femmes. S’il est une base solide pour construire les différents ateliers, il laisse également la place à l’imagination et la créativité de l’animateur et des participantes. Les différents ateliers peuvent en effet être adaptés pour répondre aux besoins des groupes. Il y a là une volonté de permettre aux groupes de s’autogérer autour des thématiques de santé et de bien-être.
Nous avons rencontré Catherine Markstein de Femmes et Santé…
ES : D’où est née l’idée de faire ce référentiel ?
On a commencé avec Mimi Szyper en 2004-2005 à faire les premiers groupes de femmes autour de la cinquantaine, groupes que j’ai animé. Après il y a eu les groupes intergénérationnels, des ateliers qu’on a nommés « créatrices de la santé », parce que ce sont des ateliers qui stimulent la créativité par rapport à la santé (atelier santé des femmes, périnée, …). Ce fut une grande expérience pour moi. Par la santé communautaire je me suis rendue compte qu’on est quand même encore très fort dans une verticalité. Cela veut dire « moi médecin, Mimi médecin » mais les animatrices autour de moi et les jeunes femmes m’ont vraiment interpelée par rapport à cette certaine verticalité et au fur et à mesure que j’avançais dans ce domaine, dans ce travail avec les femmes, je me suis rendue compte de l’énorme trésor qu’est le savoir des femmes. Du coup, j’ai changé cette animation en quelque chose qui est beaucoup plus horizontal : l’échange, le respect du savoir de l’autre, l’échange entre nous. Ça c’est l’idée, c’est ma propre expérience par rapport à ma déformation professionnelle de médecin (rire) qui se met toujours dans une position de verticalité.
ES : Avez-vous l’impression qu’il y a eu une demande des femmes d’avoir plus d’ateliers ou une demande des animateurs d’avoir un référentiel pour les guider ?
Je n’ai pas fait une enquête par rapport à ça, c’est plutôt un désir que j’ai ressenti. Il n’y a pas de demandes explicites par contre j’étais de plus en plus en contact avec des collectifs autogérés, en Belgique et en France. Autogérés dans le sens où ils organisaient déjà, entre femmes, des séances d’informations, d’échanges. Elles m’invitaient pour être là, avec un savoir parmi d’autres savoirs, ça a été mon apprentissage. Mais, il n’y a pas eu une demande explicite de faire le référentiel. Par contre, j’ai vu de plus en plus émerger, ou bien se construire, une sorte de culture des femmes, une nouvelle culture d’échanges d’informations autour des sujets du corps, de santé, de sexualité. Là je me suis dit « maintenant je vais finir mon mandat de salarié au sein de l’association et devenir une militante pure ». C’est à cette occasion exceptionnelle et parallèlement à ma formation et à la conférence gesticulée où je suis aussi dans la transmission, que j’ai pu trouver les deux autres organisations pour éditer toute cette expérience que nous avons accumulée et tous ces outils pendant les derniers 12 ans. Ceci dans le but de les mettre dans la main des femmes, des collectifs de femmes, des groupes de femmes complètement non professionnalisés pour qu’elles mettent en place leur propres ateliers. Nous avons mis dans ce référentiel des pistes et des outils.
ES : Comment avez-vous priorisé les ateliers à intégrer dans le référentiel ?
En principe on retrouve dans le référentiel la totalité des ateliers comme ils ont été pensés, c’est-à-dire qu’il y a le contenu et l’expérience. J’ai commencé avec un atelier qui s’appelait « femme autour de la cinquantaine », ça c‘est toute l’idée mais qui a énormément évoluée par rapport à ce contact avec les femmes et ce que les femmes ont apporté et changé dans les ateliers. Il y a aussi la paroles des femmes, qui a joué un grand rôle : on est parti d’une proposition assez structurée, presque directive pour arriver maintenant à une évolution extrêmement participative et inclusive, on a fait réellement un processus de travail. Et à l’aboutissement de ce processus, on est passé d’une certaine verticalité où moi j’étais la personne qui apprenait quelque chose aux autres à des outils qui stimulent les compétence et les savoirs de chacune.
ES : Avez-vous rencontré des freins lors la réalisation ou de la diffusion?
A la réalisation de l’outil, non, pas du tout, on était extrêmement enthousiaste. On a fait des interviews avec des femmes, heureusement on avait une stagiaire avec nous et qui nous a aidé. Manoë Jaquet et Pascale Maquestiau sont des personnes avec une énorme expérience dans le réseau d’animation et Manoë plus spécifiquement dans le réseau des productions des outils. On a, toutes les trois, une culture féministe, des échanges féministes et on a fait des interviews avec des femmes dans différentes régions avec lesquelles j’avais l’habitude d’animer. On a récolté leurs observations, critiques, modifications et avec tout ça, on a créé le référentiel. Ça a été un travail extrêmement constructif dans la joie, le bonheur, sans frein, pour moi, vraiment sans frein. C’est l’aboutissement d’un grand rêve qui a commencé très tôt dans ce travail avec le groupe de femmes.
ES : Dans ce référentiel on parle de la santé des femmes, on y précise que la médecine officielle n’y est évidemment pas exclue. Quel est l’accueil réservé au référentiel par les acteurs de cette médecine officielle (médecins, gynéco, sage-femme, …) ?
On a pas encore l’expérience. Par contre, ce qu’on remarque c’est qu’on a de plus en plus de jeunes femmes médecins qui viennent vers nous . Pendant longtemps nous avons eu dans notre assemblée générale (AG) l’une ou l’autre sage-femme mais il n’y avait pas de médecins. Maintenant on a deux médecins dans l’ AG de Femmes & Santé. Deux jeunes médecins qui vont prendre le relais. Ce qui est important c’est que les professionnelles de la santé doivent d’abord être femmes parmi les autres mais aussi envisager leur expertise particulière comme étant une expertise parmi les autres. Cela veut dire qu’il faut vraiment se fondre dans un groupe sans prendre le gouvernail parce qu’on pense que son savoir est supérieur au savoir des autres. C’est très bien qu’il y ai des professionnels, on se respecte mutuellement. J’ai toujours dit « moi j’ai ma formation de médecin, je peux amener quelque chose de particulier au groupe mais il y a une autre femme qui elle, a une transmission importante de sa mère ou de sa grand-mère par exemple ». Je suis vraiment très impressionnée. En santé communautaire ce sont souvent des femmes maghrébines assez traditionnelles et c’est un savoir d’or qu’elles ont ! Alors leur savoir doit être aussi valorisé que mon savoir ! C’est très chouette s’il y a des sages-femmes, des médecins dans le groupe mais sans la verticalité. Je respecte mon savoir et je respecte le savoir de l’autre et je ne fais pas une hiérarchisation des savoirs.
ES : C’est donc une vison vraiment horizontale…
C’est vraiment ça et c’est ça le défi !
ES : Pensez-vous pouvoir toucher un large public de femmes ? Ne risque-t-on pas de n’atteindre que des femmes sensibles à la cause féministe et aux droits des femmes ?
Oui, c’est un risque mais ici, en novembre et décembre, nous consacrons deux mois à la diffusion de l’outil. Nous pouvons venir expliquer le référentiel un peu partout. Nous avons toutes les trois nos racines dans ce qu’on appelle en France « l’éducation populaire ». Cela veut dire travailler avec des milieux précarisés, des femmes issues du milieu populaire qui n’ont pas accès à une information comme nous l’avons. On travaille aussi pas mal avec Vie féminine qui est une association féministe. Et là, j’ai déjà deux-trois rendez-vous pour travailler avec des groupes qui touchent les femmes populaires.
ES : Comment voyez-vous l’avenir de ce référentiel ?
Je dois encore réfléchir comment on peut l’évaluer, le changer… mais tout simplement je rêverais que les femmes apprennent mutuellement les unes des autres, fassent plus confiance à leurs compétences et ce déjà avant la consultation médicale où il y a la possibilité de travailler des questions de santé. Je ne parle évidemment pas de maladie, on est très content qu’il y ai une belle médecine, une médecine qui peut guérir. Parce que, ce que j’ai dit encore récemment, c’est que si on est plus ensemble, dans le groupe, on échange, on se soutient. Le jour où il y un pépin de santé et où nous avons besoin de professionnels, de quelque chose de plus pointu, on aura déjà créé un réseau de soutien entre nous et ça aussi j’y crois ! C’est très important pour la guérison !
Comment obtenir le référentiel ?
Le référentiel auto-santé des femmes peut être commandé en ligne sur le site de l’ASBL Le Monde selon les femmes (http://www.mondefemmes.be/) et sur le site de la FCPPF (http://www.fcppf.be/ ) au prix de 8 euros.
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